mercredi 1 mai 2024

Ces nouveaux mots du dictionnaire Larousse, reflets de notre époque et d'une sélection

Cela fait 120 ans que, chaque année, on découvre les nouveaux mots et sens du Petit Larousse illustré, le dictionnaire qui se retrouve dans la plupart des foyers français. Il est toujours fascinant d’observer à quel point il est le reflet de notre société et de notre époque. Un exemple frappant : l’édition qui avait le ou la Covid-19 avait vu naître 80 mots issus du lexique médical sur les 150 nouvelles entrées.

Expression des inquiétudes de la société

Quelle est la tonalité de ce Petit Larousse 2025 ? « Nous avons beaucoup de mots nouveaux qui reflètent cette année des inquiétudes, des évolutions ou des mouvements forts», répond Carine Giracmarinier, directrice du département dictionnaires et encyclopédies. Elle cite l’exemple du mot « masculinisme » (courant venu des États-unis, en opposition au féminisme, qui veut réaffirmer des valeurs masculines) ; ce terme fait son apparition de la même façon que le « platisme » (le fait de croire que la terre est plate). Elle ajoute qu’un mot intéressant est en train de s’imposer : « empouvoirement », calqué sur l’américain «empowerment». On le retrouve dans les courants de pensée féministes. Il correspond à un processus sociopolitique qui consiste à vouloir prendre le pouvoir (dans le dictionnaire, le terme prend un sens plus large). Tous ces mots sont le reflet d’évolutions marquantes dans les domaines social, économique, politique ou écologique.

Une nouvelle édition du dictionnaire peut presque répondre à la question : comment va notre société ? «Il y a encore des inquiétudes, et les mots se font l’écho de ces inquiétudes. L’entrée du mot “cyberterrorisme” illustre cette tendance, ainsi que dans le domaine écologique, “mégabassine”», répond Bernard Cerquiglini,

éminent linguiste, qui est le conseiller scientifique du Petit Larousse illustré. Dans le registre des risques et des enjeux environnementaux, on découvre, par exemple, « agrotoxique » (se dit d’une substance utilisée en agriculture et présentant un certain degré de toxicité). Quant aux nouveaux mots de la société, il faut noter l’arrivée de « visibiliser » que l’on entend de plus en

plus, « désanonymiser » (certains rêvent d’une loi), « fast-fashion », ce terme étant souvent péjoratif, il exprime un modèle économique qui consiste pour un segment de l’industrie du prêtà-porter, à proposer un renouvellement rapide de collections à petit prix et de qualité médiocre… « Permittent » suit un mouvement sociétal où se mêle permanent et intermittent. Quant à « déconjugaliser », il suit une mutation liée au droit fiscal, puisque c’est le fait d’effectuer le calcul d’une prestation sociale ou d’un impôt en se basant uniquement sur les ressources d’un allocataire ou d’un contribuable, sans plus tenir compte du couple.

« Il semble que face à toutes ces inquiétudes, notre société recherche de solutions, avec des mots tel que “écogeste” ou le nouveau sens donné à “verdir” (devenir plus respectueux de l’environnement) et les expressions “zéro déchet” et “polluant éternel”», note Carine Giracmarinier.

La gastronomie moins en forme que la santé

Habituée à apporter son lot de nouveautés, la gastronomie semble avoir donné presque tous ses fruits ! « C’est vrai, il y a de moins de moins de mots qui en sont issus : la langue française s’en est largement nourrie, si je puis dire », explique Bernard Cerquiglini. Il n’y a que quatre mots pour cette nouvelle édition, ce qui est peu. On note l’entrée de «kombucha»: cher aux boutiques bio, il vient du japonais, « thé d’algues kombu ». Le numérique, aussi, a fait le plein. Moins de mots, également, issus du régionalisme et de la francophonie, on notera l’intéressant « se repatrier », qui vient de l’afrique de l’ouest et signifie « retourner volontairement dans son pays, pour s’y installer et y travailler». En revanche, la santé, qui a toujours apporté son lot au dictionnaire, continue d’innover, avec cette année «mycobiote », et une extension de sens avec «ciseaux moléculaires» (technique de laboratoire qui utilise une enzyme servant de guide pour couper une molécule D’ADN à un endroit ciblé).

S’il faut chercher un peu de légèreté, c’est du côté du sport (année olympique oblige ?) et des loisirs qu’il faut aller voir. Entrent : « trottinettiste », « ultra-trail », « webtoon », « spéléonaute» et «skatepark» mais le Petit Larousse recommande « planchodrome ». Pas sûr que ce dernier s’impose…

IFaire entrer un nouveau mot dans le célèbre dictionnaire exige beaucoup de patience. Et de la ténacité ! La directrice du département dictionnaires et encyclopédies explique le processus : «On observe environ 5000 nouveaux mots et nouveaux sens chaque année. On commence à travailler à partir de deux critères. Le premier est quantitatif et correspond à la fréquence d’usage du mot : cela nous permet de retomber autour de 1500-2000 mots. Ensuite, on applique un critère qualitatif : on vérifie que le mot est partagé par tous, et notamment par toutes les générations et le grand public. » L’équipe éditoriale se réunit avec les conseillers internes et externes. C’est un travail qui s’effectue de janvier à décembre. Les lexicographes font des fiches sur lesquelles ils notent ce qu’ils voient et ce qu’ils entendent. « On débat sur chaque mot. La sélection n’est jamais simple. » Pour passer de 5000 à 150 nouveaux termes et sens, il n’y a qu’un principe qui s’impose : «Le Petit Larousse suit l’évolution de la société française. Nous réalisons une veille néologique permanente et nous n’intégrons pas un mot sans “attestation”, c’est-àdire sans qu’il colle à notre époque et à un usage courant. Seuls les mots qui font désormais partie de notre quotidien et qui ont dépassé tout phénomène de mode rentrent dans nos colonnes», affirme Carine Girac-marinier.

Comment naît un mot? Et face au wokisme?

Comment un dictionnaire se positionne-t-il face au wokisme, où la définition d’un mot devient une bataille idéologique? «On y réfléchit toujours,

dit Carine Girac-marinier. Quand on fait entrer des nouveaux mots, parfois certaines définitions sont longues à élaborer et demandent à être revues de nombreuses fois. Un adverbe mal placé peut changer une définition. On travaille beaucoup pour éviter toute polémique, toute interprétation. Quand nous avons défini woke et wokisme l’année dernière, nous avons introduit une note encyclopédique pour expliquer les différents sens et usages de ces deux termes. Chaque année, un travail d’orfèvre est réalisé dans le dictionnaire pour passer en revue des mots dont les sens sont devenus plus compliqués. Cela a été le cas du mot “race”, par exemple. À l’inverse, on a fait entrer “afrodescendant”, cette année, dont l’usage est très attesté. Pour certains mots, marqués comme péjoratifs ou polémiques, nous précisons que leur usage n’est pas souhaitable. Nous indiquons aussi, à travers des marqueurs, que certains termes ont vieilli et qu’il existe même des mots qui ne peuvent plus être utilisés aujourd’hui comme jadis. »

Il arrive également qu’il y ait avec le temps des modifications de définition mais aussi la décision de ne pas faire entrer certains mots. « Oui, par exemple, “iel”: nous ne l’avons pas retenu parce qu’il n’apparaît que dans des discours militants. C’est un usage militant, et nous, nous travaillons sur la langue commune », explique Bernard Cerquiglini. Il est aussi à noter que ce terme possède à ce jour peu d’occurrences et ne répond donc pas aux critères quantitatifs du Petit Larousse, fait remarquer la directrice du département dictionnaires et encyclopédies.

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