samedi 26 novembre 2022

« Tradition franque » d'hommes libres contre esclavage traditionnel méditerranéen y compris européen

Le commerce des hommes fut très développé en terres chrétiennes au Moyen Âge et jusqu’au XVIe siècle. Une réalité jusqu’ici négligée. Recension de l’ouvrage Maîtres et esclaves en Méditerranée de Claude Hocquet parue dans le Figaro Littéraire.

De nombreux ouvrages ont traité la question de l’esclavage. Le mérite de l’enquête de l’historien Jean-Claude Hocquet est de reprendre entièrement ce dossier et de souligner son importance trop souvent négligée autour de la Méditerranée. Car l’ancienne Mare Nostrum, probablement marquée par l’héritage antique, est une des rives où l’esclavage fut le plus diffus, du côté oriental, ce qu’on savait, l’islam ne se démarquant pas des sociétés antiques sauf sur une exception (il ne reconnaît pas l’esclavage pour dettes), mais aussi du côté occidental, ce qui reste assez ignoré.

Allégorie de la victoire de Lépante du roi d’Espagne Philippe II (et de ses alliés) contre les Ottomans en 1571. Tableau du Titien. En bas à gauche, un combattant turc réduit en esclavage.

Remettant en question les études de certains historiens de la Méditerranée, tout en s’inscrivant dans la lignée de Braudel, l’auteur nous fait découvrir une face très sombre de l’esclavage méditerranéen, qui était au Moyen Âge bien plus répandu qu’on ne saurait l’imaginer. On le retrouve non seulement dans les terres d’Afrique — puisque les Arabes furent d’importants marchands d’esclaves de cette époque — mais aussi dans les terres chrétiennes, ce qui offre une perspective nouvelle sur un dossier généralement sous-estimé, voire ignoré : la pratique de l’esclavage dans l’Europe chrétienne.

Le christianisme n’a pas mis fin au Moyen Âge à l’esclavage, même si, finalement, son message (la fameuse Épître aux Galates) a pu être décisif. Mais il n’a pas empêché, au moins jusqu’au XVIe siècle, le recours aux esclaves. Cet usage s’était répandu un peu partout dans les villes commerçantes de Venise, Gênes, Naples, Barcelone ou Valence, ce que l’auteur appelle les « cités esclavagistes de premier plan ». Toutes les terres méditerranéennes ont été frappées par cette pratique de l’esclavage, y compris des terres qui seront ensuite annexées à la couronne de France, comme le comté de Provence.

Mais le royaume de France se distingue des autres nations chrétiennes méditerranéennes et, pour une fois, « l’exception française » ne se contente pas d’être une simple posture. La justice du royaume des Lys affirme qu’il n’y a point d’esclave en terre de France. On cite souvent l’ordonnance de Louis X le Hutin (« chacun doit naître franc »). Mais l’auteur, qui ne la mentionne pas, insiste plutôt sur les procès qui ont eu lieu entre les possesseurs d’esclaves et la justice à partir du XVe siècle. Même si tous ces principes mettent un certain temps avant de s’établir. La Provence, avant d’être annexée à la couronne, a connu, précise l’auteur, un régime esclavagiste proche de celui en vigueur en Ligurie et en Catalogne.

France, mère de la liberté

Que vont devenir ces esclaves lorsque le comté est annexé à la France ? Il va y avoir de nombreuses actions en justice, car beaucoup de Provençaux exploitent des esclaves (on parle bien d’esclaves et non simplement de serfs). L’autorité royale semble vouloir combattre de telles pratiques. Ce sont les traditions « franques » d’un peuple libre qui servent de fondement à ce refus. Les élites se pensent alors issues des forêts de Germanie où dominait la liberté. En 1571, des esclaves « maures » qu’un marchand normand tentait de vendre après les avoir achetés sur les côtes barbaresques furent libérés par le Parlement de Guyenne, qui affirma : « La France, mère de la liberté, ne permet aucun esclavage. »

Cette tradition culturelle a profondément inspiré les élites de l’époque qui étaient fort attachées à cet esprit. Lors du siège de Metz, un général espagnol demandait au duc de Guise qu’il lui livre un esclave turc, et le grand défenseur de la Ligue le lui refusa, affirmant que c’est « le privilège de la France de temps immémorial, quand ce serait le plus barbare et étranger du monde, ayant mis seulement le pied dans la terre de France, il est aussitôt libre et hors de tout esclavage ». Évidemment, ce généreux discours ne vaudra, comme chacun sait, que pour la terre française. Il en sera bien autrement dans les colonies. L’auteur ne parle pas de la traite atlantique, mais il revient sur toutes les singularités de cet esclavage méditerranéen, il se demande pourquoi l’esclavage médiéval et moderne a ignoré les grandes révoltes d’esclaves à la Spartacus qui avaient émaillé l’histoire antique. Il disserte aussi sur les positions parfois équivoques des papes. Bref, autant de questions qui font l’intérêt d’un sujet à la fois dramatique et bien plus complexe qu’on ne l’a longtemps cru.


Maîtres et esclaves en Méditerranée,

de Jean-Claude Hocquet
paru le 20 octobre 2022,
aux éditions du CNRS,
330 pages,
ISBN-13 : 978-2271132994

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Radio-Canada nous « éduque » : « plus de 800 mille-z esclaves en sol canadien » en 1834

« La traite arabo-musulmane est volontairement occultée dans les mémoires de l’esclavage » 

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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Fort intéressant (et historiquement juste, ce qui est fort rare).

Un seul regret : on évoque l'esclavage par les chrétiens, l'esclavage par les musulmans, mais jamais le rôle de certaine autre communauté (dont les préceptes religieux sur ce point mériteraient à eux seuls d'être cités). N'est-ce pas de la plus élémentaire justice que de traiter tous sur un même pied ?