samedi 4 juin 2022

France — Le français menacé par le franglais dans les écoles de commerce

Des étudiants de HEC (ici un cours), ont décidé de traduire tous les mots en français

Le franglais est le quotidien des étudiants en école de commerce qui découvrent avec stupéfaction cette nouvelle « langue ». Certains étudiants ne l’acceptent pas.

« L’accélérateur emlyon business school propose une gamme de programmes […] destinés à différentes catégories d’entrepreneurs early stage et late stage avec des objectifs précis : élaboration du business model, connexions à des users et clients […] ». Voici le charabia qu’on peut lire en ce moment sur le site de l’EM Lyon à propos d’une session de cours d’entreprenariat.

Après toute une scolarité en français, les étudiants qui arrivent en école de commerce se heurtent à un mélange d’anglais et de français, qui s’impose aussi bien en cours que dans les associations étudiantes. Une pratique largement encouragée.

« Cette invasion de l’anglais est grave : on se saborde culturellement »

Jean-Marie Rouart

Déjà, les étudiantes d’HECJF (École de haut enseignement commercial pour les jeunes filles) fondée en 1916, qui sera intégrée à HEC en 1975, mettaient déjà le holà dans un rapport, « L’invasion des mots anglais dans le français moderne », en 1964. Aujourd’hui, Jean-Marie Rouart, ancien directeur du Figaro littéraire, académicien et auteur engagé pour la défense de « l’âme française », s’indigne depuis longtemps de cette dérive : « Cette invasion de l’anglais est grave : on se saborde culturellement et on doit donner un signal d’arrêt sinon le français ne sera plus qu’un pidgin. Notre langue est en train de mourir ».

Le vocabulaire utilisé en école de commerce est le même que celui en entreprise

Pour beaucoup pourtant, ce n’est pas si choquant, car [pour eux] c’est la langue des affaires. « Le monde du business est international, ce serait archaïque de franciser des termes techniques venus du monde anglo-saxon », soutient Benoit, 48 ans, associé dans un fonds d’investissement. Le vocabulaire utilisé en école de commerce est le même que celui en entreprise, où on staffe un event (s’occuper d’un évènement), on « brainstorm » (on réfléchit), on se retrouve pour un « after-work » (soirée [, après-turbin]) sur le « rooftop » (terrasse de toit), après le cours de « corporate finance » (finance d’entreprise). Julien, co-fondateur d’une start-up dans la foodtech, avoue en utiliser quelques-uns comme « after work, team building, lunch, food et click and collect ».

Des mots porteurs de nouveaux sens

Dans une émission de France culture, intitulée Pourquoi s’inquiéter du franglais ?, Julie Neveux, linguiste et auteur de Je parle comme je suis (Grasset) explique que ces nouveaux termes sont porteurs de nouvelles pratiques : parler de la fin de semaine au lieu du week-end occulte une nuance de sens. [Notons qu’il y a une différence entre fin de la semaine et fin de semaine.] La professeur à Sorbonne-Université, conclut en disant : « Il y a certes beaucoup de mots anglais, mais ce sont les pratiques et la réalité de cette domination économique qui est le problème de l’Académie française, et non pas la langue qui ne fait que refléter cette réalité ».

Des réunions en anglais alors que les professeurs comprennent le français

Bernard Laurent, professeur d’économie à l’EM Lyon, explique que ce phénomène est aussi lié à l’internationalisation des écoles de commerce, où les étudiants étrangers sont nombreux. Désormais, environ 25 % des cours ont en anglais selon Bernard Laurent. [Aargh !] Mais si le professeur considère qu’il est normal que les étudiants aient des cours en anglais, celui-ci déclare toutefois ne pas comprendre « l’invasion de la langue française par les mots anglais ». Il déplore aussi le ridicule des réunions en anglais alors que la plupart comprennent le français. [pas tous !?]

Une langue qui fait « chic »

Car utiliser des mots anglais, c’est aussi un effet de mode, « ça fait chic, c’est une forme de snobisme », ajoute Jean-Marie Rouart. L’anglais sonne moderne avec ses mots [souvent] plus courts et donc plus « marketing » dans un monde de la publicité où le slogan prédomine. [Pourtant « challenge » et « opportunité » remplacent les plus courts « défi » et « chance » ou « occasion »].  L’adopter permet de s’afficher en tant que « jeune cadre dynamique ». Benoit, habitué à travailler à l’international pour son fonds d’investissement, voit dans cet usage des termes anglais une forme d’appartenance à une communauté.

Des étudiants d’HEC ont banni le franglais

Malgré tout, certains étudiants n’acceptent pas ce qui leur apparaît comme une fatalité. Et si préserver le français devenait un jeu ? Des étudiants d’HEC Paris, notamment les membres de l’association de rugby, ont décidé de bannir les mots anglais dans leur quotidien. « Tu m’envoies le Puissance Point par courriel s’il te plaît ? ». 

Alexis, président de l’association de rugby HEC, en relate les origines : « Au début, c’était simplement pour marquer à l’oral notre rivalité avec l’Angleterre. C’est notre ennemi historique ; pour les partisans de rugby, ça fait sens. Et puis ça me fait marrer », explique-t-il avec un sourire en coin. 

Une particularité vite adoptée par l’ensemble des élèves : tous se rendent en soirée parés de leurs plus belles écotasses, un terme qui semble un brin suranné pour désigner les ecocups (littéralement, des gobelets réutilisables, terme qu’auraient pu emprunter nos étudiants). « Je pense que c’est un peu un moyen de repousser ce qui nous attend plus tard dans notre vie pro, où on ne pourra pas se passer d’anglais », nous explique Alexis. Seul le rugby ne risque pas d’être traduit. En effet, il tient son nom du Rugby College, où furent définies les règles de ce qui deviendra le rugby. [Ah, la soule…, les Italiens ont relevé le mot de calcio (une forme de soule médiévale) dès le début du XXe siècle et ce terme a remplacé le terme anglais jusqu’à aujourd’hui. Plus de détails sur l’italianisation du langage des sports.]

Source : Figaro étudiant

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