lundi 7 juin 2021

L’individu démocratique est plus que jamais libre, émancipé et plus que jamais seul et angoissé

La réédition de l’ouvrage d’Erich Fromm «La Peur de la liberté» est l'occasion pour Éric Zemmour de livrer sa critique du livre, une réflexion profonde, entre psychanalyse et histoire, sur la liberté et la tentation de la servitude volontaire. 

Erich Fromm (1900-1980), psychanalyste et sociologue, est l’un des premiers représentants de l’École de Francfort. Émigré aux États-Unis où il a vécu à partir de 1934, il a enseigné au Bennington College, à la Columbia University, puis à celle du Michigan et à Yale, ainsi qu’à l’Université nationale du Mexique. Il a aussi travaillé à l’École de Palo Alto et à Cuernavaca (Mexique) avec Paul Watzlawick. Au sein d’une œuvre considérable, on remarque L’art d’aimer, Avoir ou être, Espoir et révolution. Fromm a été le premier philosophe à plaider pour un revenu minimum universel.


Nous sortons à grand-peine de plus d’une année de confinement où nous avons eu tout loisir de réfléchir à la question de la liberté. Comme si nous revenions en classe terminale pour l’épreuve de philosophie, nous avons pu nous interroger sur les rapports subtils et complexes entre la liberté et la santé, la liberté et le risque de la mort, la liberté individuelle et la nécessaire solidarité nationale. Etc. C’est la première fois dans l’Histoire que nous vivons ce genre d’enfermement sanitaire dans le monde entier, mais ce n’est pas la première fois que l’Histoire nous contraint à nous interroger sur le sens de la Liberté.

Au XXe siècle, c’est l’émergence des régimes totalitaires qui trouble les meilleurs esprits. Erich Fromm est directement concerné. Il est de cette cohorte de juifs allemands qui ont fui la vindicte hitlérienne pour la plus grande gloire de l’université américaine. Il est psychanalyste et sociologue. Dans les années 1960, il sera l’un des plus brillants représentants de ce qu’on a appelé l’école de Francfort. Il se sert de l’héritage freudien, mais est plus proche d’Aristote: l’homme est un «animal social». Il s’interroge: pourquoi le nazisme? Pourquoi le peuple allemand s’est-il donné à Hitler et à sa tyrannie? Il connaît les explications économiques (la crise et le chômage) et historiques (le «diktat» du traité de Versailles), mais elles ne le satisfont pas entièrement. Il insiste sur les explications psychologisantes, la volonté masochiste des Allemands de se soumettre à un maître féroce: «L’amour pour la puissance et la haine pour l’impuissance, si typiques du caractère sadomasochiste, expliquent une grande partie des actions politiques de Hitler et de ses partisans.»

L’originalité de Fromm est qu’il s’efforce de marier ces deux types de causalité pour tisser une théorie de la liberté et de ses limites. Pour lui, l’homme est un produit de l’histoire, mais l’histoire interagit sur la psychologie de l’homme. La liberté est ce qui différencie l’homme de l’animal, soumis entièrement à l’instinct. «L’existence humaine et la liberté sont, depuis le commencement, inséparables.» Mais Fromm met un coup de projecteur particulier sur l’Europe et l’Amérique qui, à partir de la fin du Moyen Âge, vont faire émerger la figure de «l’individu». Comme beaucoup de penseurs progressistes ou réactionnaires, Fromm souligne le rôle majeur joué par le protestantisme. Luther, puis Calvin, ont émancipé l’individu du contrôle de l’Église ; mais Fromm ne s’arrête pas là. Il décrit l’angoisse des Allemands de cette époque, qui subissent à la fois un bouleversement économique avec l’avènement d’un capitalisme marchand venu d’Italie, et la remise en cause de leurs repères religieux avec la contestation intellectuelle du magistère de l’Église. Cette solitude anxieuse les pousse à chercher et à trouver un maître qui les rassure: «La relation à Dieu de Luther est celle d’une soumission sur la base de l’impuissance de l’homme (même s’il dit qu’elle est volontaire) (..). En même temps que Luther libérait les gens de l’autorité de l’Église, il les amenait à se soumettre à une autorité bien plus tyrannique, celle d’un Dieu qui exigeait une soumission complète de l’homme et l’annihilation de l’individu comme la condition essentielle de son salut.»

Calvin va encore plus loin: il distingue entre ceux qui ont la grâce divine et ceux qui ne l’ont pas. Fromm n’y va pas par quatre chemins: «La théorie de prédestination de Calvin a trouvé son plus puissant renouveau dans l’idéologie nazie: le principe de l’inégalité de base des hommes. Les calvinistes pensaient qu’ils étaient les élus et que tous les autres étaient ceux que Dieu avait condamnés à la damnation. Le protestantisme était la réponse aux besoins humains de l’individu effrayé, déraciné et isolé, qui devait s’orienter dans un monde nouveau et se relier à lui.»

On notera d’abord qu’à l’époque, aucun de ses contemporains ne traîna Fromm en justice pour «incitation à la haine des protestants». La bataille intellectuelle gardait encore ses lettres de noblesse. Plus profondément, Fromm montre l’ambivalence extraordinaire d’une religion qui libère et asservit à la fois ses fidèles. Sa thèse va bien sûr au-delà du protestantisme. C’est désormais le destin de l’individu moderne qu’il embrasse: «Plus l’homme gagne en liberté et plus il devient un individu qui n’a d’autre choix que de s’unir au monde ou alors de chercher une sécurité au travers de liens avec le monde qui détruisent sa liberté.»

Son livre a trouvé son cap et n’en variera plus: «La liberté revêt un double sens pour l’homme moderne: il a été libéré des autorités traditionnelles et est devenu un individu, mais en même temps, il est devenu isolé, impuissant, et s’est transformé en un instrument servant des buts extérieurs à lui-même, il s’est aliéné de lui-même et des autres.» Mais depuis la mort de Fromm, en 1980, les choses ont poursuivi leur cours. L’individu démocratique est plus que jamais libre, plus que jamais émancipé. Et plus que jamais seul, angoissé par sa toute-puissance. Les explications psychologisantes, qui étaient novatrices à l’époque de Fromm, sont devenues monnaie courante. Elles sont devenues banale culture de l’excuse, obsession du «ressenti». Fromm, lui, tentait de les marier avec des analyses historiques ou économiques. Mais il avait ouvert la boîte de Pandore en expliquant que «tout groupe est constitué d’individus et exclusivement d’individus, ainsi les mécanismes psychologiques que nous voyons opérer au sein d’un groupe ne peuvent donc qu’être les mécanismes qui opèrent au sein de l’individu». Il avait ainsi tourné le dos à la spécificité de la psychologie des foules, des masses, des peuples, qu’avait pourtant brillamment mise en évidence Gustave Le Bon. Désormais, la thèse de Fromm fait florès, bien au-delà des volontés de notre sociologue: un djihadiste tuant un policier ou une vieille dame au nom d’Allah est forcément un fou schizophrène et non plus un militant fanatisé d’une cause politico-religieuse.

Fromm avait compris notre avenir individualiste: «La démocratie est un système qui crée les conditions économiques, politiques et culturelles permettant le développement complet de l’individu.» L’individu roi d’aujourd’hui est donc un être royalement angoissé, isolé, anxieux, qui cherche à se vouer à un maître absolu, tyrannique, qu’il s’appelle le Marché, la Communauté ou Dieu.

 

 

La Peur de la liberté
par Erich Fromm,
publié le 19 mars 2021,
aux Belles Lettres,
à Paris,
263 pages,
ISBN-10 : 2251451714
ISBN-13 : 978-2251451718

Québec — Près de 70 % des francophones veulent que la loi 101 s'applique aux cégeps

Les Québécois (de toutes langues confondues) se disent en accord, à hauteur de 58 %, avec l’application de la Charte de la langue française aux cégeps.

Les Québécois souhaitent aller plus loin que la réforme de la Charte de la langue française proposée par le gouvernement Legault, notamment en imposant la loi 101 aux cégeps, révèle un nouveau sondage.

Le Journal de Québec révélait récemment que le gouvernement Legault avait en poche, au moment de présenter sa réforme de la loi 101, un sondage démontrant un appui massif des Québécois aux mesures qu’il comptait annoncer.

Aujourd’hui, le PQ réplique avec son propre coup de sonde, réalisé par la firme Léger.

Prêts à aller plus loin

Les résultats confirment l’inquiétude des Québécois pour l’avenir de la langue française : 64 % de la population estime qu’il y a « actuellement un déclin de la langue française au Québec ». Cette proportion grimpe à 78 % chez les francophones, mais seulement 16 % des anglophones partagent la même préoccupation. 


 

Mais surtout, 46 % des personnes sondées (49 % des francophones) estiment que le projet de loi 96, présenté par le gouvernement caquiste pour réformer la Charte de la langue française, n’est pas « suffisant pour renverser la tendance du déclin du français au Québec ».


Il faut toutefois noter que 31 % des répondants ont refusé de répondre ou étaient incapables de se prononcer. À l’inverse, seulement 24 % ont confiance que le gouvernement Legault pourra renverser le déclin avec sa réforme.

« Mesures pas suffisantes »

Pour Paul St-Pierre Plamondon, ces résultats démontrent que les propositions de sa formation répondent mieux aux préoccupations des citoyens.

« Il n’y a que le Parti québécois qui représente ces 46 % qui pensent – à juste titre, à notre avis –, que les mesures ne sont pas suffisantes », dit le chef péquiste.

Le PQ souhaite notamment imposer aux immigrants une connaissance préalable du français, en plus d’interdire aux francophones et aux allophones de fréquenter un cégep de langue anglaise au Québec.

Loi 101 au cégep

Sur ce dernier point, le nouveau coup de sonde porte à 58 % le nombre de personnes qui se disent « d’accord avec l’application de la Charte de la langue française (loi 101) aux cégeps ».

L’automne dernier, une question plus directe de la Fondation Lionel-Groulx (« Réserver la fréquentation des cégeps anglophones aux étudiants ayant fait leur secondaire en anglais ») avait récolté seulement 47 % d’appuis. Mais Paul St-Pierre Plamondon estime que, entre les deux sondages, la question a fait l’objet d’un débat dans les médias. « Et, clairement, à force d’en débattre, de réfléchir, ça a un impact sur l’opinion publique », dit-il.

LES RÉSULTATS DU SONDAGE 

 

 

Question posée : À votre avis, le projet de loi 96 déposé récemment par le gouvernent du Québec pour protéger la langue française sera-t-il, dans son état actuel, suffisant pour renverser la tendance du déclin du français au Québec ?

Oui: 24 %
Non: 46 %
Ne sait pas / Refus: 31 %

Question posée : Êtes-vous d’accord avec l’application de la Charte de la langue française (loi 101) aux cégeps ?

Oui: 58 %  (69 % chez les francophones, 51 % chez les jeunes toutes langues)
Non: 30 %
Ne sait pas / Refus 13 %

Méthodologie : Sondage web réalisé par la firme Léger auprès de 1004 Québécois(es) pouvant s’exprimer en français ou en anglais, du 28 au 30 mai 2021.

En Inde, l’avortement sélectif des petites filles menace de plus en plus l’équilibre du pays

Plusieurs dizaines de millions de filles n’ont pas vu le jour en Inde. Et d’après une récente étude publiée dans The Lancet Global Health[1], le problème ne fait que s’aggraver. Selon cette étude, au cours des dix dernières années le nombre de « filles manquantes » en Inde a augmenté de 60 % par rapport aux décennies précédentes.

La préférence pour les garçons est fortement ancrée dans la culture indienne. Elle s’est longtemps traduite par l’infanticide néonatal féminin. Si celui-ci disparaît doucement, il tend malheureusement à être remplacé par une banalisation de l’avortement des filles. En 1994, pourtant, la loi sur les techniques de diagnostic préconceptionnel et prénatal (PNDT Act) a formellement interdit la sélection du sexe. Mais force est de constater que cette loi n’a eu que peu d’impact. La médicalisation croissante de la grossesse, et le recours systématique aux échographies ont immédiatement été détournés pour faciliter la sélection garçon-fille trop ancrée dans les mœurs indiennes.

Des naissances manquantes de filles par millions

L’étude publiée dans The Lancet se penche sur la proportion homme-femme en Inde, qui ne cesse d’augmenter depuis 1987. Le ratio naturel se situe aux alentours de 950 filles pour 1000 garçons. En trois décennies (entre 1987 et 2016), les chercheurs ont constaté qu’il manquait 13,5 millions de naissances de filles : 3,5 millions entre 1987 et 1996, 4,5 millions entre 1997 et 2006 et 5,5 millions entre 2007 et 2016, une augmentation de 60 %.

Plusieurs facteurs influencent ces fœticides féminins, analysent les chercheurs. Tout d’abord, plus les familles sont riches et instruites, plus elles ont accès à des tests prénataux de plus en plus précis, et recours à l’avortement sélectif. Ensuite, certaines régions, comme le Pendjab, l’Haryana, le Gujarat et le Rajasthan affichent des proportions des sexes particulièrement déséquilibrés, la pression sur les familles y étant plus forte. Enfin, et c’est sans doute le facteur le plus déterminant, la place dans la fratrie et le sexe des premiers enfants joue un rôle capital : en 2016, parmi les enfants nés en deuxième position après une fille, la proportion des sexes n’était que de 885 pour 1000 (930 en 1981), et parmi ceux nés en troisième position après deux filles, il était de 788 pour 1000 (968 en 1981).

Les filles et les garçons ont la même valeur

Que faire, si les lois, peu appliquées, ne suffisent pas à endiguer le problème ? En 2019 l’Assemblée Générales des Nations Unies a condamné la sélection prénatale en fonction du sexe comme « néfaste », la jugeant directement liée à l’augmentation du trafic humain et de la violence envers les femmes. « En Inde et dans le monde entier, d’innombrables filles continuent d’être victimes de violences et de discriminations fatales avant même d’avoir la chance de naître, explique Giorgio Mazzoli, juriste de l’ONU pour ADF International (Alliance Defending Freedom). Quiconque croit que les femmes et les filles ont la même valeur et le même intérêt que les hommes et les garçons ne peut fermer les yeux sur ce qui se passe aujourd’hui ». Cette organisation a lancé une grande campagne de sensibilisation en Inde, intitulée « Vanishing girls ». L’objectif est de former des avocats locaux, de plaider pour la mise en œuvre de protections juridiques, d’influencer les perceptions culturelles, et enfin d’offrir un soutien aux femmes qui résistent à la pression d’avorter d’une fille. ADF a également appelé les Nations Unies à reconnaître officiellement la sélection prénatale parmi les actes de féminicides.

De la planification à l’eugénisme ?

L’avortement sélectif des filles choque le monde occidental, la planification familiale, elle, n’est nullement remise en cause. Mais est-ce que le contrôle des naissances ne glisserait-il pas immanquablement vers l’eugénisme ? La planification à tout prix de la naissance d’un enfant désiré passe progressivement à la recherche calculée d’un enfant parfaitement conforme au désir de ses parents. Cela provoque une intrusion croissante de la médecine dans la réalisation du « projet parental ». Et c’est le diagnostic prénatal, qui ne sert pas à soigner mais à identifier les fœtus non conformes au projet parental, qui vient définir quelle vie future vaut la peine d’être vécue. Pas de maladies génétiques pour certains, pas de filles pour d’autres… La dérive eugénique semble bien là.

[1] The Lancet, 8 avril 2021 : Trends in missing females at birth in India from 1981 to 2016: analyses of 2·1 million birth histories in nationally representative surveys

Source: Aleteia