vendredi 12 février 2021

France — Comment l’écriture inclusive prend le pouvoir à l’université

Syndicats, militants, enseignants : de plus en plus d’acteurs de l’enseignement supérieur font pression pour que cette graphie devienne la norme. Une pratique qui est loin de faire l’unanimité.

Une partie de l’enseignement supérieur a adopté l’écriture inclusive ces dernières années.

« Cher·e·s étudiant·e·s, vous êtes convoqué·e·s pour venir rencontrer vos interlocuteur·trice·s pour l’année. » Dans les universités françaises, les étudiants reçoivent ce genre d’e-mails [courriels] tous les jours. Administrations, enseignants, organisations étudiantes : ces dernières années, beaucoup se sont mis à cette formulation, qu’ils jugent « plus inclusive » pour les femmes.

Depuis son apparition, l’écriture inclusive, qui se manifeste notamment par l’usage du point médian (« professeur·e »), la mention systématique du genre féminin (« bonjour à tous et à toutes ») ou encore, la tendance à préférer des mots épicènes (les « scientifiques » plutôt que « les chercheurs »), cristallise les passions. Ses partisans y voient le signe de la fin d’une époque, celle de la « masculinisation » du français, quand Alain Rey, le père du Petit Robert, qualifiait l’affaire de « tempête dans un verre d’eau ». L’Académie française, elle, y a vu un « péril mortel » pour la langue. Force est de constater qu’une partie de l’enseignement supérieur n’a pas attendu la fin de ces débats enflammés pour adopter cette graphie, faisant fi de la circulaire d’Édouard Philippe, publiée en 2017, qui bannit l’usage administratif de l’écriture inclusive.

Que ce soit sur les panneaux d’affichage, dans les mails [courriels] de la présidence de l’université et même dans nos supports de TD… L’écriture inclusive est partout. On ne la remarque même plus.

Benjamin, étudiant

« Que ce soit sur les panneaux d’affichage, dans les mails [courriels] de la présidence de l’université et même dans nos supports de TD… L’écriture inclusive est partout. On ne la remarque même plus », constate Benjamin, étudiant en droit à Nanterre. « Les organisations étudiantes l’utilisent beaucoup », avance le jeune homme, qui cite notamment l’Unef. La présidente du syndicat de gauche s’en félicite d’ailleurs : « Nous écrivons de cette façon depuis cinq ans dans notre communication, affirme Mélanie Luce. Pour nous, c’est un moyen de rendre les femmes plus visibles dans la langue. »

À Paris Dauphine, Emma* se souvient notamment d’une enseignante qui l’utilisait dans les sujets de partiel. Exemple : « Dans quelle mesure une part croissante des citoyen.ne. s se désintéresse-t-elle de la politique ? » Mais aussi, dans les cours : « Électeurs et électrices sont, comme tous les agents sociaux, des hommes (et des femmes) pluriel(·le·s) ». Jacques Smith, le délégué général du l’UNI, syndicat étudiant de droite, livre à son tour une histoire éloquente : certains de ses militants lui racontent que des enseignants les obligent à adopter cette forme d’écriture : « Ils ne répondent pas aux courriels de ceux qui les contactent sans utiliser l’écriture inclusive. Ou alors ils leur objectent : “Merci de m’écrire en langue inclusive, dans le cas contraire, je ne vous répondrai pas”. »

Faire plaisir à la professeure

D’autres vont encore plus loin. Madeleine* était en deuxième année de licence lorsqu’elle et son groupe proposent de consacrer leur mémoire à la précarité menstruelle. « Lorsque nous avons publié un sondage à ce sujet sur l’un des groupes Facebook de ma fac, beaucoup d’étudiants nous ont reproché de ne pas être assez inclusifs dans nos questions. Selon eux, nous oubliions les personnes transexuelles », raconte-t-elle. Alors, elle en parle à son enseignante. « Elle nous a fortement recommandé d’avoir recours à l’écriture inclusive. J’ai dû reprendre absolument tout ce que nous avions écrit et ajouter des points partout, je pétais un câble. J’aurais préféré me concentrer sur le contenu. » La jeune femme de 19 ans est gênée par le sentiment d’avoir été « obligée d’y avoir recours ». « Nous avons compris qu’en le faisant, cela ferait plaisir à la professeure et que nous aurions une bonne note. » Ce qui fut le cas.

Killian, étudiant en informatique à l’université Grenoble Alpes, a été surpris de voir à quel point cette forme d’écriture rencontrait un large consensus parmi les étudiants de son établissement. Par curiosité, le jeune homme de 24 ans lance une discussion à ce sujet sur le logiciel de messagerie instantanée Discord que « la quasi-totalité des étudiants du département licence sciences et technologie » utilisent. « Toutes les personnes qui m’ont répondu étaient favorables à l’écriture inclusive. Une personne m’a presque traité de transphobe. Bref, j’ai arrêté la discussion, c’est parti vraiment loin. »

« Ostracisé par certains de ses collègues »

Les opposants à cette nouvelle forme d’écriture sont souvent qualifiés de « réactionnaires » ou de « conservateurs ». Jean Szlamowicz, professeur de linguistique à l’université de Bourgogne et auteur du livre Le Sexe et la langue, en a fait les frais. Fin 2019, dans le cadre d’un séminaire linguistique, l’enseignant devait tenir une conférence intitulée « L’écriture inclusive à l’épreuve de la grammaire ». Le lendemain de son intervention, annulée pour des raisons pratiques, il découvre que des collègues s’étaient de toute façon mobilisés pour empêcher la conférence en faisant pression sur le doyen. « Il y avait des appels à l’intimidation, ils me prévoyaient un sacré comité d’accueil », raconte l’enseignant-chercheur, qui reçoit également un mail du doyen de l’UFR lui indiquant qu’il n’est pas le bienvenu. « Le fait que vous soyez rédacteur de ce torchon sexiste et raciste qu’est Causeur vous discrédite d’un point de vue scientifique », lit-il notamment. Jean Szlamowicz l’assure, son discours sur l’écriture inclusive lui a valu d’être « ostracisé par certains de ses collègues ». « Dès que vous écrivez un mail, vous êtes fiché politiquement. Il y a une surveillance sous-jacente, une peur d’être pris à partie. Comme chacun est évalué par ses pairs, il est toujours possible qu’on vous refuse un financement en fonction de vos prises de position. »

Ils m’ont dit : soit vous le réécrivez en écriture inclusive, soit il ne sera pas publié. J’ai refusé, au nom de ma liberté académique

Yana Grinshpun

Sa collègue Yana Grinshpun, enseignante-chercheuse à l’université Paris-III Sorbonne-Nouvelle, en a également fait l’amère expérience. En 2017, une commande académique lui est faite : elle doit écrire un article sur le nouveau radicalisme pour L’Abécédaire de la haine. Au bout de plusieurs semaines, elle rend son travail, qui est accepté. Deux ans plus tard, ses collègues lui expliquent finalement qu’il faudra le retravailler. « Ils m’ont dit : soit vous le réécrivez en écriture inclusive, soit il ne sera pas publié. J’ai refusé, au nom de ma liberté académique », raconte l’enseignante, qui dénonce une « radicalisation progressive de l’espace universitaire ».

Généraliser la pratique de cette écriture

Ces dernières années, les établissements sont de plus en plus nombreux à vouloir généraliser la pratique de cette écriture. À l’université de Bourgogne, des enseignants du Centre interlangues travaillent actuellement au lancement d’un atelier d’écriture inclusive pour les étudiants. De même, depuis 2019, l’université Paris-Nanterre a nommé une chargée de mission égalité femmes-hommes et non-discrimination pour travailler, entre autres, à la généralisation de l’écriture inclusive dans l’établissement. « Notre objectif est de faire de la communication non stéréotypée. Nous essayons d’éradiquer tout ce qui ne présente pas un équilibre entre les femmes et les hommes », explique Maïlys Derenemesnil, en charge de la mission. Depuis son arrivée, l’université a notamment publié un petit guide de l’écriture inclusive expliquant les « vertus » de l’utilisation du point médian pour lutter contre le sexisme. « Toute la présidence utilise cette forme de communication et encourage fortement le reste de la communauté à le faire. À terme, je pense que nous créerons des formations obligatoires pour sensibiliser les responsables d’associations étudiantes sur ces sujets », annonce-t-elle.

Beaucoup ont adopté cette graphie sous la pression de quelques associations. Il est plus simple et plus commode de s’adapter si on ne veut pas être accusé de sexisme

Ancien président d’université parisienne

Et même lorsqu’ils ne sont pas forcément pour, les présidents d’université sont forcés de s’y mettre : « Beaucoup ont adopté cette graphie sous la pression de quelques associations. Il est plus simple et plus commode de s’adapter si on ne veut pas être accusé de sexisme », avoue un ancien président d’université parisienne. Même constat à Sorbonne-Université. Voilà environ quatre ans que Franck Neveu, professeur de linguistique française, observe une « demande d’inclusivisme linguistique de la part de certains syndicats étudiants et associations universitaires ». Une demande qui reçoit un « accueil favorable » de la part des membres de la communauté enseignante, constate-t-il. « Cependant, on ne peut certainement pas dire que l’écriture se répande de manière consensuelle. » Si, selon lui, la majorité des étudiants n’y prête pas vraiment attention, ceux qui la pratiquent ont une démarche qui « abrite souvent un fond de militantisme ». Quitte à omettre le fait que l’écriture inclusive « déstructure très largement la graphie ainsi que le lien qui doit naturellement s’établir entre la pratique orale et la pratique écrite », rappelle l’enseignant. « On sait très bien que cette écriture ne marche pas. Seulement, il ne s’agit pas de respecter une cohérence linguistique mais d’afficher une forme d’idéologie et de dénoncer le prétendu patriarcat de certains fonctionnements institutionnels. »

Quand la croyance étouffe la réflexion scientifique

Anne Dister, qui enseigne la linguistique française à l’université Saint-Louis–Bruxelles, renchérit : « L’écriture inclusive part d’une idée fausse qui est que le masculin dans la langue invisibilise les femmes. C’est une croyance qui n’est pas fondée sur le fonctionnement des genres en français où la plupart des usages du masculin sont inclusifs. » Exemple : si nous parlons de « nos voisins », nous partons du principe qu’il y a des femmes et des hommes parmi eux. « Faire du masculin un genre qui invisibilise les femmes, c’est faire comme si les mots n’étaient jamais utilisés dans un contexte qui nous aide à en comprendre le sens », analyse l’enseignante. « Je suis effarée de voir que face à ces arguments objectifs, il y a encore des acteurs dans l’enseignement supérieur qui défendent l’usage de cette écriture. Mais nous sommes dans une période où la conviction et la croyance ont plus de poids que la réflexion scientifique. » Et d’ajouter : « Il y a des chercheurs et des enseignants qui réinterprètent l’histoire de la langue en proclamant qu’au XVIIe siècle, des grammairiens seraient allés à l’encontre de l’usage de la langue en codifiant le français. En le masculinisant. C’est de la théorie du complot. »

Autre écueil : les partisans de l’écriture inclusive imposent à leur lectorat un français peu intelligible. « Cette forme d’écriture génère de l’insécurité linguistique, de l’hypercorrection », avance Mathieu Avanzi, linguiste et maître de conférences à Sorbonne-Université. « L’écriture inclusive revient à éloigner les gens qui ont des difficultés avec la langue. On ne peut pas militer pour un français plus accessible et la pratiquer », renchérit Anne Dister.

Ces pratiques, de plus en plus fréquentes, offusquent certains politiques. Le député LREM François Jolivet prépare une proposition de loi pour interdire l’écriture inclusive à l’école. Et s’il reconnaît la « liberté académique » des enseignants du supérieur, il est inquiet : « Je suis effaré que certaines universités l’adoptent dans leur communication et que de plus en plus d’étudiants l’utilisent dans leurs copies. Cette pratique est un bras d’honneur aux institutions gardiennes de la langue française. »

* Les prénoms ont été modifiés.

Source : Le Figaro

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« Enseignant, pourquoi je résiste en partie au numérique éducatif »

Le professeur de lettres et écrivain Aymeric Patricot (ci-contre) explique, dans une tribune au « Monde », que « le numérique reste un outil, dont l’éclat ne doit pas faire oublier la valeur de ce qu’il véhicule ». Aymeric Patricot est également, romancier et essayiste, il est auteur de « Les bons profs » (Plein jour, 2019).

Tribune. La crise sanitaire et le confinement n’ont fait qu’accélérer la voie que prend l’éducation nationale sur le chemin du numérique. Cours à distance, documents sur fichiers, corrections sur écran, autant de pratiques acceptées dans l’urgence, mais que l’institution nous incite à adopter, par petites touches, depuis des années, dans une perspective affichée de modernisation.

Je n’ai rien contre cette évolution. Non seulement je comprends l’utilité des écrans tactiles et des applications pédagogiques, mais j’ai du goût pour ces progrès. Je ne vois pas trop, après tout, quel genre de fatalité les rendrait néfastes — la télévision n’avait-elle pas, en son temps, suscité des controverses ? Dans ma vie privée, je consomme de la musique numérisée, des films sur Netflix et des jeux vidéo ; en tant qu’enseignant, j’envoie des vidéos par courriel, j’organise des ciné-clubs et j’emporte mon enceinte portative pour des extraits musicaux. En somme, je ne suis pas réfractaire à l’idée que la circulation accélérée des contenus permise par le numérique relance à une échelle inédite la révolution déjà opérée par Gutenberg.

Mes infinis découpages-collages

Malgré tout, je reste curieusement réfractaire à bien des usages. Je ne me résous pas à faire lire mes élèves sur tablette ni même à projeter des documents sur le tableau. Je ne me résous pas à truffer de documents l’espace numérique de travail. À la rigueur, créer ma page où les élèves se rendraient s’ils le souhaitent pour quelques lectures complémentaires. Mais j’ai déjà du mal à avoir recours à des manuels. Non seulement les textes proposés ne correspondent pas à ceux que j’ai lus, mais je me sentirais paresseux, et même corseté par une structure proposée par d’autres.

« On aurait pu croire qu’à l’heure des visioconférences et des fichiers joints la pratique du polycopié tomberait en désuétude… »

Pire, je n’ai jamais passé autant de temps à peaufiner mes documents photocopiés. Une part conséquente de mes préparations consiste à découper des extraits de livres que je possède — je ne veux pas me contenter d’extraits sélectionnés par d’autres — et à les organiser sur des pages A4. Pour la plupart des professeurs, le fantasme n’est-il pas toujours de tirer la substantifique moelle de livres qu’ils ont le plaisir de lire, de commenter, de tenir entre leurs mains, voire de griffonner, de surligner, d’agrémenter de commentaires ?

J’ai même continué mes infinis découpages-collages à l’occasion du confinement. On aurait pu croire qu’à l’heure des visioconférences et des fichiers joints la pratique du polycopié tomberait en désuétude… Mais, après quelques cours filmés, quelques enregistrements de mes cours, j’en suis revenu à mes découpages, que je prenais en photo pour les joindre à mes mails. L’idéal aurait été d’envoyer par courrier le résultat de mon travail… Et ce n’est pas d’un scanneur ou d’une caméra que j’aurais dû encombrer mon bureau, mais d’une antique photocopieuse et de ramettes A4 !

Primauté de l’œuvre

Vous me direz que le numérique offre précisément l’occasion d’ajouter des hyperliens, des couleurs, de la musique à des textes qui de cette façon gagnent en présence, se connectant à une sorte de conscience universelle et palpitante. J’aurais cependant peur, cédant à la séduction des sens et des ramifications, de perdre de vue le cœur même du métier et de cette littérature qui m’a donné la vocation : les mots, les phrases, les livres…

Alors que, attaché à mes ciseaux, distribuant avec méthode mes séries de pages noircies, je garde l’illusion — mensongère ou pas — qu’il existe une primauté de l’œuvre et qu’il vaut la peine de se concentrer sur elle, quitte à oublier qu’il existe un contexte et même un monde autour d’elle.

Je reste donc l’un de ces enseignants-artisans cumulant les volumes dans sa bibliothèque et travaillant le papier. S’agit-il de paresse ? D’inertie face au changement ? De méfiance vis-à-vis de l’image ? De goût pour les matières — bruit des feuilles, poids des volumes, crissement des ciseaux — faisant pièce à l’univers trop cérébral de la littérature ? De superstition vis-à-vis des rituels entourant la littérature, et qui paraissent détenir en eux-mêmes une part de vérité ? Un peu de tout cela sans doute, et je suis partagé sur l’interprétation — positive ou négative — à donner à ce qu’il faut bien appeler une résistance au numérique, que je ne crois pas être le seul professeur à vivre.

Deux façons de résister

Pour essayer d’y voir plus clair, je distingue désormais deux façons de résister, deux façons dans lesquelles je me retrouve en dépit de leur apparente opposition : une conservatrice et une progressiste — à vrai dire, une antilibérale de gauche.

La première consiste à préférer la tradition des beaux livres à la nouveauté des claviers, à considérer que cet amour de la technique cache un intérêt pour des méthodes alternatives perçues comme démagogues. Dans cette perspective, la dispersion numérique est comprise comme un gadget, menaçant une culture sanctifiée par le passage des ans. Cette tentation conservatrice, Hannah Arendt la décrivait dans son article « La crise de l’éducation » [paru en 1961 aux États-Unis], et la plaçait même au cœur du métier dans le sens où le professeur se donne avant tout pour mission de présenter à l’élève le monde tel qu’il existe, tel qu’il doit même le protéger vis-à-vis de la puissance créatrice de l’élève.

La seconde relève d’une prévention plus générale contre un certain ordre néolibéral fondé sur la circulation, la fluidité, le repérage des compétences et l’insertion de l’individu dans un réseau toujours plus serré d’optimisation des ressources. Le numérique devient l’avant-poste du monde entrepreneurial, prompt à utiliser les citoyens et à les rendre utiles à leur tour. Dans ce monde-là, l’épanouissement des personnes sert l’épanouissement du système, dans ses composantes économiques comme dans ses injonctions morales. À cet égard, tablettes et cours à distance deviennent le cheval de Troie de l’entreprise dans la forteresse humaniste.

Quel point commun partagent ces deux formes de résistance ? Sans doute la conscience que le numérique reste un outil, dont l’éclat ne doit pas faire oublier la valeur de ce qu’il véhicule. Rappelons-nous l’expression d’« exception culturelle » : elle supposait déjà l’existence d’une sphère à préserver des jeux cruels de la pure économie. Le monde de l’éducation vit perpétuellement de cette tension. On attend de lui qu’il prépare l’élève au monde professionnel — et au monde moderne en général — tout en lui fournissant l’épaisseur d’une culture humaniste. Or, on oublie parfois que ces idéaux-là peuvent être amenés à se confronter, notamment par cette question de l’usage du numérique en classe.

Source : Le Monde de l’éducation

La Presse de Montréal : « Cégep en anglais, mais pas pour la vie. » Vraiment ?

La Presse de Montréal (vos subventions à l’œuvre) a publié un article titré « En anglais pour le cégep, mais pas pour la vie ».

Extrait :

« Il n’y a pas de recherches qui ont montré que la fréquentation d’un cégep anglophone mène à l’anglicisation », souligne Marie-Odile Magnan, professeure à la faculté des sciences de l’éducation de l’Université de Montréal. Un seul cas sur les 37 étudiés a vraiment rejeté son identité de Québécois francophone. Pour les autres, l’expérience leur a permis de naviguer entre les deux langues au gré des occasions d’études et d’emploi par la suite.

Passons sur l’anglicisation de plus de 2,5 % des francophones dans ce petit échantillon. Que se passe-t-il avec tous les allophones de plus en plus nombreux dans la jeunesse du Québec ?

Et est-il vrai qu’il n’y a pas d’études qui montreraient que la fréquentation d’un cégep anglophone mène à l’anglicisation ?

Ce n’est pas l’avis de Frédéric Lacroix, auteur de Pourquoi la loi 101 est un échec :

Cette affirmation est erronée, car il existe bien au moins une étude, datant de 2010, effectuée pour la CSQ par l’IRFA, dotée d’une grande puissance statistique, qui indique hors de tout doute que les cégeps anglais sont des foyers d’assimilation.

https://www.irfa.ca/site/publications/enquete-sur-les-comportements-linguistiques-des-etudiants-du-collegial-eclec

https://www.irfa.ca/site/publications/le-choix-anglicisant

L’OQLF a déjà aussi prouvé, en 2008, que « la langue des études pertinentes pour le métier ou la profession était liée à la langue utilisée principalement au travail » :

https://www.oqlf.gouv.qc.ca/.../socioli.../2008/etude_10.pdf

Bref, un travail journalistique bâclé et militant qui induit la population en erreur.

Voir aussi

Pourquoi la loi 101 est un échec

Soupirs de soulagement au PLQ : François Legault ne va pas arrêter l’anglicisation du réseau scolaire au Québec

100 millions pour Dawson College, l’anglicisation grâce à la CAQ


Radio-Canada : le pourboire, une pratique raciste et discriminatoire ?

Radio-Canada utilise une vieille ficelle : mettre un titre à l’interrogatif puis présenter un texte qui ne fait qu’appuyer la thèse qui devrait mener les lecteurs à répondre à cette interrogation par un oui. Oui, c’est une pratique discriminatoire.

Notons que l’article démontre surtout l’américanisation des journalistes radio-canadiens qui plaquent des analyses américaines sur une situation canadienne et québécoise. L’article commence ainsi en expliquant qu’aux États-Unis le pourboire remonterait à l’époque de l’esclavage.

 

L’article ajoute par la suite que « La pratique s’est ancrée en Amérique du Nord après la guerre de Sécession aux États-Unis, quand les esclaves récemment libérés cherchaient des emplois, limités par leur manque d’éducation. Ils recevaient des pourboires des clients qu’ils servaient plutôt qu’un salaire de leur employeur. » 

On ne voit pas très bien pourquoi cela est pertinent pour un média gouvernemental canadien, car le pourboire existait avant la fin de la Guerre de Sécession en Angleterre et en Europe. On ne voit donc pas pourquoi cette pratique au Canada serait le résultat de la fin de l’esclavage dans le Sud des États-Unis.
 
En outre, cette théorie qui voudrait que le pourboire aux États-Unis s’y soit ancré à cause de la fin de l'esclavage n’est pas confortée par les faits. 

En effet, jusqu’au début du XXe siècle, les Américains considéraient le pourboire comme incompatible avec les valeurs d’une société démocratique égalitaire [1]. En outre, les propriétaires considéraient les pourboires comme une forme de corruption possible d’un employé pour qu’il fasse quelque chose qui lui était autrement interdit, par exemple attribuer une plus grande portion de nourriture.

Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les pourboires étaient très rares aux États-Unis, mais profondément ancrés en Grande-Bretagne[2]. À cette époque, les visiteurs britanniques aux États-Unis commentaient l’antipathie locale envers le pourboire. Les auteurs américains faisaient valoir que le pourboire était incompatible avec l’égalitarisme américain. Malgré cette tradition, le pourboire est devenu la coutume aux États-Unis au début des années 1900. Cette inversion des coutumes américaines en matière de pourboire s’explique en partie par le passage du plan américain (la pension complète avec le repas compris dans le prix de la chambre d’hôtel) au plan européen (repas à l’hôtel vendus séparément des chambres). Cette transition n’a été ni fluide ni rapide. Elle a pris une cinquantaine d’années, car l’industrie hôtelière n’était pas unanime sur la facturation séparée du prix des repas à l’hôtel. Les normes de comportement quant au pourboire se sont solidifiées très lentement. Pendant cette période transitoire passant d’une culture d’absence de pourboire à celle du pourboire généralisé, on a maintes fois fait appel au patriotisme américain et à la valeur de l’égalitarisme pour contrer la tendance au pourboire généralisé.

La prohibition en 1919 a eu un impact énorme sur les hôtels et les restaurants, qui ont perdu les revenus de la vente de boissons alcoolisées. La pression financière qui en a résulté a amené les propriétaires à accueillir favorablement les pourboires, comme moyen de compléter les salaires des employés [3]. Contrairement à la croyance populaire, le pourboire n’a pas été institutionnalisé en raison des bas salaires des serveurs, car la profession de serveur était assez bien payée à l’époque. En dépit de la tendance au pourboire comme comportement obligatoire, six États, principalement dans le Sud (les anciens États esclavagistes !), adoptèrent des lois rendant le pourboire illégal. L’application des lois anti-pourboire s’avéra problématique. La plus ancienne de ces lois fut adoptée en 1909 (Washington) et la dernière de ces lois fut abrogée en 1926 au Mississippi.

Usage de statistiques américaines pour extrapoler sur la situation ici

L’article du diffuseur public (plus d’un milliard de subventions par an) se poursuit par un appel à des statistiques américaines et à l’absence de statistiques canadiennes pour conclure que la discrimination existerait au Canada. Quelle rigueur !

 
Étymologie douteuse de « tip »

On ne sait pas très bien pourquoi, dans un article en français, la SRC se voit obligée de conjecturer sur l’origine du mot « tip » (pourboire en anglais).

Une fois de plus, rien n’est sûr en la matière. Selon le Dictionnaire étymologique en ligne [4] : 

La popularité de l’histoire de l’origine supposée du mot en tant qu’acronyme dans les tavernes anglaises du milieu du XVIIIe siècle ne semble pas plus ancienne que le livre de 1909 de Frederick W. Hackwood « Inns, Ales and Drinking Customs of Old England », où il était censé représenter « To insure promptitude » (sous la forme « To insure promptness », l’anecdote n’est racontée que depuis 1946).

On pense plus sérieusement que le mot « tip » serait dérivé d’un terme d’argot qui signifierait « donner », « passer », ce sens pourrait dériver d’un mot « tip » au sens de « frapper légèrement » (peut-être dérivé du bas allemand tippen, « taper »), mais cette dérivation est « très incertaine » selon l’Oxford English Dictionary [5].

Notes

[1] Segrave, Kerry (1998). Tipping: An American social history of gratuities. Jefferson, North Carolina: McFarland & Company. ISBN 0786403470.

[2] Cocks, C. (2001). Doing the Town: The Rise of Urban Tourism in the United States, 1850–1915. Berkeley, CA: University of California Press

[3] Mentzer, Marc S. (September 2013). “The payment of gratuities by customers in the United States: An historical analysis” (PDF). International Journal of Management. 30 (3): 108–120. ISSN 0813 — 0183. 

[4] https://www.etymonline.com/search?q=tip, voir aussi http://www.word-detective.com/2011/03/tip/

[5] “tip, v.4” Oxford English Dictionary. 2nd ed. 1989. Oxford University Press. ISBN 0-19-861186-2.