lundi 27 septembre 2021

France — La bataille est loin d’être terminée pour l’instruction en famille

Jean-Baptiste et Marie Maillard ont trois enfants instruits en famille depuis plus de 10 ans. Jean-Baptiste est secrétaire général de Liberté éducation, une association membre de l’inter-association nationale de l’instruction en famille. Observateur privilégié, il a été auditionné à l’Assemblée et au Sénat sur cette question, dans le cadre de la loi séparatisme. Ils viennent de publier un ouvrage sur L’École à la maison, une liberté fondamentale. Jean-Baptise Maillard a accepté de répondre à quelques questions.

Vous estimez que l’école à la maison est en croissance. Qu’est-ce qui explique ce phénomène ?

Comme nous le racontons dans notre livre L’école à la maison, une liberté fondamentale, lorsque mon épouse et moi nous avons commencé l’école à la maison, il y a 10 ans, notre aîné faisait partie des 5000 enfants instruits en famille : l’année dernière, il y avait 62 000 enfants, et c’est en très forte augmentation depuis la rentrée. Nous avons eu ainsi plus de 60 000 familles qui sont venues sur le site officiel de notre association, Liberteeducation.com, pendant les 15 jours avant la rentrée. Une très grande majorité d’entre elles souhaitaient commencer l’instruction en famille : nous avons donc dû mettre en place en urgence une équipe de quatre bénévoles pour répondre aux nombreuses questions (comment déclarer, etc.), par un système de discussion instantanée. Nous sommes passés de 200 familles adhérentes mi-août à plus de 900 aujourd’hui ! Ce phénomène de forte croissance de l’instruction en famille est la conjugaison d’au moins 7 facteurs :

  • la loi de 2019 obligeant l’instruction obligatoire dès 3 ans (nous sommes l’un des seuls pays d’Europe et c’est pour toute la journée !) ;
  • des expériences positives d’école à la maison pendant le premier confinement pour les familles qui ne l’ont pas vécu comme un choix subi : beaucoup ont décidé de franchir le pas non en septembre 2020 mais pour cette rentrée 2021, le temps de mûrir son choix et de bien s’y préparer ;
  • la crise sanitaire ;
  • la médiatisation autour de l’école à la maison toute l’année dernière, qui l’a fait connaître au grand public ;
  • la possibilité, encore pour toute l’année 2021-2022, de faire l’école à la maison en régime déclaratif et non d’autorisation ;
  • le fait qu’à partir de septembre 2022, l’entrée en vigueur de la loi d’autorisation prévoit une dérogation de deux ans pour les enfants instruits en famille en septembre 2021, si les contrôles de l’éducation nationale se sont bien déroulés : pour mettre toutes les chances de son côté, autant se lancer cette année !

Vous évoquez les systèmes hybrides entre système scolaire et école à la maison. Cela existe-t-il en France ?

Nous le détaillons dans notre livre : certains pays où l’école à la maison se développe depuis plus de 40 ans, comme les États-Unis, ont inventé par exemple des coopératives d’instruction en famille, qui regroupent parfois plus de 600 familles. Ce sont des espaces de liberté où, par exemple, une mère de famille peut donner des cours de sciences physiques à des enfants de familles différentes. D’autres pays établissent des contrats entre des écoles publiques et des écoles à la maison, permettant à ces dernières de profiter d’infrastructures (laboratoires de science par exemple) et donnent même des subventions aux parents qui font l’école à la maison ! Rien de tout cela n’existe encore en France, la loi ne permettant rien d’autre que l’école publique, l’école privée, le hors-contrat ou l’instruction en famille. Soulignons aussi que des pédagogies alternatives comme la pédagogie Singapour, pour l’apprentissage des mathématiques, sont arrivées dans l’Éducation nationale par les inspecteurs d’académie inspectant des familles pratiquant l’école à la maison : on est donc en train de tuer notre premier laboratoire d’innovation pédagogique qui bénéficiait même à l’Éducation nationale !

L’école à la maison a été pratiquée de force durant le confinement. Qu’est-ce qui explique l’interdiction de ce mode alternatif d’instruction, selon vous ?

Beaucoup de familles ont aussi bien vécu l’école à la maison pendant le confinement, c’est le cas du président de notre association Liberté éducation qui continue depuis, et donc celles-ci ont y même pris goût ! Quant à son interdiction, Emmanuel Macron a prétexté la lutte contre le terrorisme lors de son discours des Mureaux du 2 octobre 2020 dans lequel il annoncé cette mesure, mais comme nous le montrons dans notre livre, les plus éminents chercheurs français en radicalisation, au sein du CNRS, de la Fondation de recherche stratégique, de l’Institut des Hautes Études de la Défense Nationale, etc., et même de l’Institut des Hautes Études du ministère de l’Intérieur, indiquent qu’il n’existe pas de chiffres sur une supposée radicalisation en instruction en famille. Ce que confirment les deux derniers rapports de la Direction Générale de l’Enseignement scolaire (DGESCO), au sein du ministère de l’Éducation nationale, rendus publics il y a quelques jours seulement alors que les députés, forcés de voter à l’aveugle, les avaient réclamés pendant tout le processus législatif : pas de lien entre instruction en famille et radicalisation. Ce qui est très inquiétant, c’est que le président avait évoqué aux Mureaux « un changement de paradigme qui est nécessaire », et une « mesure radicale », comme si supprimer cette liberté fondamentale des parents, premiers éducateurs de leurs enfants, était une décision totalitaire parfaitement assumée. Dans le premier chapitre de notre livre, à travers un tour du monde du phénomène, nous avons établi une classification des réglementations nationales et la France rejoint les pays les plus restrictifs sur la question, à savoir le Pakistan, la Chine, Cuba et l’Arabie Saoudite.

Le Conseil constitutionnel a validé cette mesure de la loi sur les séparatismes. Que pouvons-nous faire désormais pour défendre la primauté du rôle des parents dans l’éducation de leurs enfants ?

Dans son étude d’impact, le gouvernement avait annoncé vouloir renvoyer à l’école les deux tiers des enfants instruits en famille, nous sommes donc très inquiets quant aux motifs reconnus pour poursuivre l’école à la maison avec le régime d’autorisation. À l’heure actuelle, la nouvelle loi prévoit quatre motifs très restrictifs :

  1. L’état de santé de l’enfant ou son handicap
  2. La pratique d’activités sportives ou artistiques intensives
  3. L’itinérance de la famille ou l’éloignement géographique de tout établissement scolaire public
  4. L’existence d’une situation propre à l’enfant motivant le projet éducatif sous réserve que les personnes qui en sont responsables justifient de la capacité des personnes chargées d’instruire l’enfant à assurer l’instruction en famille dans le respect de l’intérêt supérieur de l’enfant.

Ce dernier motif pose problème, car la « situation propre à l’enfant », c’est très flou, et beaucoup d’amendements comme pour les enfants harcelés à l’école (700 000 le sont chaque année), souffrant de phobie scolaire ou d’autisme, ou encore à haut-potentiel, ayant des troubles de l’apprentissage (dysgraphie, dyslexie), etc. n’ont pas été pris en compte lors des débats — houleux — à l’Assemblée. C’est justement sur ce dernier point que le Conseil constitutionnel a émis une réserve d’interprétation qui nous permettra d’attaquer les décrets d’application s’ils ne sont pas conformes à « l’intérêt supérieur”  de l’enfant, dont les parents sont les premiers à pouvoir juger, et nous irons si nécessaire devant la Cour européenne des droits de l’Homme. D’ailleurs, en plus de la saisine des députés et des sénateurs, les nombreuses portes étroites déposées au Conseil constitutionnel, dont la nôtre avec la Fondation pour l’école, comptaient d’excellentes argumentations juridiques, par exemple sur la liberté de conscience, dont nous nous resservirons. Dans l’immédiat, nous attendons toujours d’être reçus au ministère et plusieurs candidats à l’élection présidentielle nous ont contactés pour nous demander une note sur le sujet, avec des propositions, la première étant de revenir au régime déclaratif en cas d’alternance, sachant que nous avons des soutiens politiques sur tous les bancs de l’Assemblée. La bataille est donc loin d’être terminée pour l’instruction en famille : nous luttons pour nos enfants et pour une juste cause  (une liberté fondamentale), elle finira tôt ou tard par triompher !

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