vendredi 21 mai 2021

Révision molle de la loi 101 : « tenter de freiner le déclin de la langue française dans la province francophone »

Extrait d'une chronique de Christian Rioux du Devoir, une des dernières signatures intéressantes de ce journal.

Les mots nous trahissent. Ils disent la vérité malgré nous. La semaine dernière, sur la radio de Radio-Canada, la même formule revenait en boucle. S’agissant du projet de loi 96, élus, chroniqueurs et animateurs répétaient en chœur qu’il avait pour but de « freiner le déclin du français au Québec ». La dépêche de l’AFP ne s’y trompait pas en affirmant que le projet de loi visait « à tenter de freiner le déclin de la langue française dans la province francophone ».

Personne n’aura eu la présence d’esprit d’aviser tout ce monde du sens précis du verbe transitif « freiner ». Le Grand Robert nous apprend que « freiner quelqu’un ou quelque chose » signifie le « ralentir », le « contrarier », le « diminuer », le « gêner » ou le « modérer ». Si les mots ont un sens, le projet de loi 96 ne viserait donc pas à stopper, arrêter, interrompre, enrayer, bloquer ou juguler le déclin du français. Il ne viserait qu’à le ralentir.

Tel semble en effet l’esprit du temps. C’est d’ailleurs ce qui distingue radicalement notre époque de celle de la loi 101 qui, dans l’esprit de ses concepteurs du moins, voulait stopper le déclin du français ou l’inverser, même si elle n’y est pas parvenue. Son parrain, Camille Laurin, affirmait ouvertement son intention de faire des Québécois « des citoyens d’un pays normal », des « membres d’un peuple entier […] en marche enfin vers son identité ». Ses successeurs semblent avoir intégré l’idée même d’un effritement inévitable du français au Québec, les plus hardis d’entre eux ne souhaitant plus que le ralentir ou le rendre moins douloureux.

Cette résignation n’est pas nouvelle. Elle nous a accompagnés tout au long de notre histoire. Elle fait penser aux mots tragiques d’Étienne Parent écrits en 1839 que l’on dirait pourtant taillés sur mesure pour décrire la réalité de l’assimilation dans les cégeps anglais de Montréal. « L’assimilation, sous le nouvel état de choses, disait-il, se fera graduellement et sans secousse et sera d’autant plus prompte qu’on la laissera à son cours naturel et que les Canadiens français y seront conduits par leur propre intérêt, sans que leur amour-propre en soit trop blessé. »

C’est peut-être pour protéger cet « amour-propre » que le nouveau projet de loi propose tant de mesures symboliques. On s’en réjouirait si elles n’empêchaient pas de voir les éléphants qui sont dans la pièce.

Le premier, c’est évidemment l’immigration. N’importe quel étranger qui se promène à Montréal comprend vite que le Québec a depuis longtemps dépassé ce que l’anthropologue Claude Lévi-Strauss appelait le « seuil de tolérance » au-delà duquel l’assimilation n’est plus possible. Toutes les danses du ventre et les efforts pour rendre notre langue plus « attrayante » ou même « ludique » n’y changeront rien.

Il y a des limites à croire qu’une minorité en déclin peut accueillir proportionnellement plus d’immigrants que la France ou les États-Unis. Mais, pour faire preuve d’une telle lucidité, il faudrait remettre en question ce pacte signé depuis longtemps entre un patronat avide de main-d’œuvre et cette gauche victimaire pour qui les immigrants sont devenus le peuple élu.

L’autre éléphant, c’est évidemment le cégep. En refusant la mesure la plus simple, celle qui coule de source et qui consisterait tout bonnement à élargir le champ d’application de la loi actuelle, on accepte et pérennise le déclin des dernières décennies. La rustine des quotas permettra de continuer à offrir en pâture à la culture dominante anglo-américaine une partie de notre jeunesse, notamment immigrante. Avec pour résultat de consacrer Montréal comme ville bilingue.


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