Anne Coffinier (ci-contre), présidente de l’association Créer son école, dénonce, dans une tribune au « Monde » de mardi 9 mars, le fait que les lycéens scolarisés dans les établissements privés hors contrat n’aient pas le droit cette année au contrôle continu au baccalauréat, comme leurs camarades du public et du privé sous contrat avec l’État.
Plus de 4 000 candidats au bac risquent d’être injustement pénalisés cette année s’ils n’obtiennent pas très vite gain de cause devant la justice. Le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, vient de leur imposer de passer la quasi-totalité de leur bac en mai-juin sous forme d’épreuves terminales, tandis que les autres élèves obtiendront leur examen au contrôle continu à plus de 80 %, à la suite notamment de l’annulation des épreuves terminales de spécialités en raison de la crise sanitaire. Leur faute ? Simplement que leurs parents les aient scolarisés en lycée privé hors contrat et non dans un établissement public ou privé sous contrat avec l’État.
Pour ces jeunes, après les perturbations induites par le Covid-19 dans leur scolarité et leur vie sociale, c’est la mauvaise nouvelle de trop. Ils ne comprennent pas ce deux poids deux mesures qui les expose au stress et à l’échec en cette année déjà tellement bouleversée par la pandémie. Personne n’anticipait d’ailleurs que le ministère de l’Éducation nationale infligerait un traitement différencié à une catégorie de jeunes pour le bac de cette année, vu la situation sanitaire.
Traitement punitif
Sam Piter, athlète de haut niveau et membre de l’équipe de France de surf, est scolarisé à l’institut Hackschooling à Soorts-Hossegor dans les Landes depuis sa classe de 3e. Cet établissement privé hors contrat lui permet de mener au plus haut niveau sa carrière sportive et sa scolarité. Sam est bon élève et mène de front ces deux projets qui lui tiennent à cœur. Mais en juin, il sera condamné à choisir entre passer son bac ou concourir lors d’importantes compétitions sportives qui se déroulent au même moment. Mérite-t-il ce traitement punitif uniquement parce qu’il étudie dans un lycée privé hors contrat ?
Ils sont des centaines à se joindre au référé-suspension doublé d’un recours pour excès de pouvoir organisé par l’association Créer son école devant le Conseil d’État, afin de tenter d’obtenir le droit de valider eux aussi un maximum de matières en contrôle continu.
La situation sanitaire étant la même pour tous, qu’est-ce qui peut justifier d’exposer à un risque accru de contamination une catégorie de jeunes, qui, pour composer leurs épreuves, devront converger vers des centres d’examen de grande taille et souvent éloignés de leur domicile quand les autres candidats obtiendront leur bac « en restant au chaud » ?
Certains affirment que les établissements privés hors contrat n’auraient pas la capacité juridique d’attribuer des notes destinées à être prises en compte officiellement dans un diplôme national, parce que ce processus ne se déroulerait pas sous l’autorité de l’éducation nationale. Et que, depuis Bonaparte, l’État possède le monopole de la « collation » des grades universitaires, et donc du bac qui en constitue théoriquement le premier échelon.
Mais l’argument ne tiendrait que si, dans les établissements publics, les notes étaient exclusivement attribuées par des fonctionnaires de l’État — auxquels leur statut offre les garanties déontologiques et académiques censées assurer leur incorruptibilité. Ce n’est pas le cas, à l’heure où les contractuels sont de plus en plus nombreux. Sans compter que les professeurs des établissements d’enseignement privé sous contrat avec l’État sont pour leur part habilités à noter alors qu’ils n’ont pas le statut de fonctionnaires.
Quatre inspections en moyenne
Serait-ce alors le fait d’être supervisés par un proviseur ou un directeur fonctionnaire qui habiliterait les enseignants à noter ? Si tel était le cas, il faudrait supprimer à ceux de l’enseignement privé sous contrat le droit d’évaluer les élèves puisqu’ils sont placés sous les ordres de directeurs d’établissement de droit privé qui ne dépendent aucunement de l’éducation nationale. Et quid des établissements privés sous contrat dirigés par un fonds d’investissement étranger, comme c’est de plus en plus fréquemment le cas ? La tendance à « surnoter » pour satisfaire les actionnaires et veiller à la bonne valorisation de l’actif ne peut alors pas être exclue !
Dans l’enseignement catholique, les directeurs d’établissements privés sous contrat sont placés sous l’autorité de l’organisme — tout à fait privé — de gestion des établissements catholiques (dans lequel siège souvent le représentant de l’évêque). Ils étaient matériellement en capacité de relever les notes attribuées par leurs enseignants pour le bac au contrôle continu en 2020. Difficile alors de ne pas considérer que ce sont eux les notateurs de dernier ressort.
Mais il y a les inspecteurs, me direz-vous… Les enseignants de l’éducation nationale sont inspectés par l’éducation nationale, qui garantit ainsi leur aptitude à bien évaluer les élèves. Qui peut toutefois croire que cela constitue réellement une garantie lorsque l’on sait que ces enseignants sont inspectés moins de quatre fois dans leur carrière en moyenne ? A contrario, depuis la loi Gatel de 2018, les établissements privés hors contrat subissent contrôle sur contrôle, de façon inopinée la plupart du temps, et portant sur les diplômes et la moralité des enseignants autant que des directeurs ainsi que, bien entendu, sur la bonne acquisition des connaissances. À quoi bon monopoliser tant d’inspecteurs de l’éducation nationale pour inspecter autant les établissements hors contrat, si les contrôles qu’ils diligentent ne servent aucunement à en garantir le sérieux académique et la moralité ?
La motivation réelle pour imposer à ces milliers de jeunes de passer un bac plus difficile et plus dangereux en pleine pandémie reste bien énigmatique. Il semblerait si naturel de reproduire cette année la solution de bon sens retenue l’an dernier par Jean-Michel Blanquer, en permettant aux lycéens ayant un dossier de contrôle continu de présenter les épreuves de spécialité, voire tout le bac, en contrôle continu. Le Conseil d’État tranchera d’ici quelques jours.
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