jeudi 25 février 2021

États-Unis : deux écoles ne veulent plus du nom de l'explorateur français Jean Ribault

Le comté de Jacksonville en Floride propose de débaptiser plusieurs établissements, dont ceux portant le nom du navigateur qui a pris possession de la Floride en 1565. Ses descendants s’en émeuvent.

Des Amérindiens prosternés devant la célèbre colonne de Ribault, qui marque la prise de possession du territoire pour le Roi de France. Gravure — « Histoire des Amériques » par Théodore de Bry (1528-1598)

La « culture de l’effacement » (cancel culture), le mouvement idéologique qui veut invisibiliser des personnalités plus ou moins controversées, s’attaque à une figure de l’Histoire de France. La commission scolaire du comté de Jacksonville envisage de rayer du perron des écoles le nom de Jean Ribault, explorateur du XVIe siècle qui prit possession de la Floride au nom du roi Charles IX.

Dans le comté de Duval, qui englobe la métropole, neuf établissements pourraient changer de nom en mai prochain. Les six premiers portent le nom d’officiers sudistes. Les trois autres sont des figures accusées « de marginalisation systémique et du massacre des peuples autochtones ». Jean Ribault est, à ce titre, sur le banc des accusés dans une école secondaire inférieure (collège, middle school) et un lycée (high school), au même titre qu’Andrew Jackson, le 7e président américain, commandant militaire lors des « Guerres amérindiennes ».

Ashley Smith-Juarez (ci-contre), la membre du conseil scolaire qui porte cette proposition, estime que l’explorateur français a sa part de responsabilité dans la « discrimination […] qui perdure » encore aujourd’hui à l’égard des Amérindiens de la région. « Je ne le qualifie pas d’impérialiste borné, mais je continue de me demander ce que sa décision de revendiquer des terres au nom de la France […] représentait pour le peuple Timucua et si c’est quelque chose que le comté veut honorer », s’explique-t-elle sur la chaîne locale Action News Jax. Plusieurs de ses descendants qui vivent en France ont écrit une tribune publiée dans la presse locale de Floride, la semaine dernière, pour peser sur la décision. « Je le ressens comme une salissure de la mémoire de notre ancêtre, raconte Yves de Montcheuil au Figaro. Jean Ribault ne voulait pas s’installer au détriment des tribus amérindiennes. Si les Américains veulent réécrire leur Histoire, c’est leur problème, mais cet épisode de la découverte de la Floride n’a rien à voir avec ce qui s’est passé dans les siècles suivants ».

C’est un contresens historique

Jean Ribault a accosté sur les rives du nord de l’actuel Sunshine State en 1565. Il est alors missionné par l’amiral Gaspard II de Coligny, chef des protestants de France, dans le but d’établir une colonie où les huguenots pourraient trouver refuge. « Il n’a tué aucun Amérindien. Dans ses écrits il a toujours parlé d’eux de manière très positive », explique Philippe Montillet, secrétaire général association des descendants et du souvenir de Jean Ribault. « C’est un contresens historique, abonde Laurent Veyssière, historien spécialiste de la Nouvelle France. Jean Ribault a fait alliance avec trois tribus amérindiennes qui étaient en guerre contre une quatrième. S’il a combattu contre elle, ce qui n’est pas prouvé, ce fut au maximum quelques escarmouches », détaille-t-il. Globalement, le spécialiste regrette qu’un Français soit mis dans le même panier que les sanguinaires conquistadors espagnols, portugais ou que les colons anglais. « Dans l’histoire de la Nouvelle France, nous avons toujours été alliés à des autochtones », pointe-t-il.

La classe des diplômés du lycée (high school) Jean Ribault en juillet 2020
 
Jean Ribault est entré dans la postérité pour avoir érigé une colonne matérialisant la prise de possession royale qui était vénérée par les tribus locales. Jusqu’en 2016, le marin était une figure pourtant méconnue de l’histoire de la conquête de Nouveau Monde. Son navire La Trinité a été retrouvé par 8 mètres de fond au large de cap Canaveral. Petite ironie de l’histoire, il fut lui-même victime de la violence des conquistadors. « Il a été massacré par les Espagnols à cause de sa religion protestante », rappelle son descendant.

Source : Le Figaro et WCJT (Yves de Montheuil, s’y exprime en anglais à partir de la  33e minute)


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Première action de grâce en Amérique du Nord, la Floride française

Le Théâtre de la Floride

Autour de la Brève narration des événements qui arrivèrent aux Français en Floride, province d’Amérique, de Jacques Le Moyne de Morgues (1591)

Les expéditions en Floride de Jean Ribault et René de Laudonnière prennent place au début des guerres de Religion (1562-1565). Il s’agit, à l’instigation de l’amiral de Coligny, de faire pièce à l’Espagne en Amérique du Nord. Or c’est menacer la voie traditionnelle des galions qui, chaque année, rapportent l’or et l’argent d’Amérique. D’où la brutale intervention militaire de la fin de l’été 1565 et, sous l’action expéditive de l’adelantado Menéndez de Avilés, la liquidation de la colonie en quelques semaines. Les derniers survivants sont traqués, égorgés ou faits esclaves. Les estimations varient entre cinq cents et mille morts. Ce sinistre épisode a pour épilogue l’expédition de représailles menée par Dominique de Gourgues contre trois forts espagnols, dont la garnison est pendue en totalité.

L’ouvrage prend appui sur les images de Jacques Le Moyne de Morgues, les quarante-deux gravures du second volume des Grands Voyages de Théodore de Bry (1591). Pour la première fois est traduit du latin en français le récit de la colonisation, suivie de la destruction de l’établissement.

Vingt-cinq ans après, les Indiens Timucua de Floride sont représentés à travers un ensemble de références aussi tardives que disparates, qui associent à la hache des Tupinamba du Brésil des détails venus des tuniques aztèques, telles qu’elles sont figurées dans le Codex Mendoza, ou des artefacts européens comme la hotte de vendangeur. Au total, la suite floridienne est un ensemble composite, mais nostalgique d’un monde embelli par le souvenir, qui replonge par instants le spectateur dans l’Éden des origines.

Presses de l’Université Paris-Sorbonne, 2017, 280 pages, 35 €


Le 2 mai 2018 est parue aux éditions Delcourt une BD de Jean Dytar, intitulée « Florida ».

Voilà donc une intéressante nouvelle qui permet de constater que la geste Jean Ribault continue et cela même en dehors du contexte de l’action en justice menée par les autorités françaises et de Floride pour faire reconnaître la souveraineté de la France sur l’épave de la Trinité. Depuis lors un juge américain a donné raison. L’épave du navire retrouvée au large de Cap Canaveral appartient bel et bien à la France.

Jean Dytar bien formé et renseigné par le regretté Jean-Yves Sarazin, un des premiers qui nous avait apporté de l’aide sur la question, avant que la maladie ne l’emporte, a mené une belle enquête qui lui permet d’offrir une histoire en 228 pages. L’ouvrage est complété par de nombreuses annexes dont une postface éclairante du Professeur Frank Lestringant et la publication des planches (malheureusement en noir et blanc) des gravures de Théodore de Bry.

L’auteur prend un parti très original pour conter cette aventure de la Floride française puisqu’il se place du côté du dessinateur Le Moyne de Morgues qui a participé à la seconde expédition (celle de 1564) et qui a réussi à échapper au massacre de septembre 1565. Jena Dytar partant de là, dresse toute une histoire dans laquelle la psychologie joue son rôle. Mais il innove aussi en donnant une place importante à l’approche anglaise des essais de colonisation en Floride. Cet aspect n’avait pas été traité de cette manière, si ce n’est par Hélène Lhoumeau dans sa thèse, malheureusement toujours non publiée. Les chercheurs américains étaient plus diserts sur ce point, mais leurs travaux ne sont pas connus diffusés en France, ainsi le travail de Jean Dytar prend toute sa place dans l’historiographie consacrée à Jean Ribault.


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