vendredi 6 septembre 2019

France et ses banlieues — Ils ont tué l'école


Les titres des livres, comme les promesses des ministres de l’Éducation nationale, n’engagent que ceux qui veulent y croire. Il ne faut donc s’y fier qu’avec prudence. Ils ont tué l’école n’est pas le pamphlet au vitriol que l’on s’attendait à lire, et vous n’y trouverez ni une nouvelle charge contre le « pédagogisme » ou quelque réforme que ce soit, ni une série de panacées qu’il suffirait de promulguer par décret pour propulser tout à coup la France au sommet du classement PISA.

Si Marion Armengod, 30 ans, a marqué une pause dans sa carrière de journaliste à Radio-Nova, pour passer une année en tant que remplaçante dans des établissements scolaires de Seine–Saint-Denis et a choisi de prendre la plume, c’est d’abord pour faire entendre un témoignage.

À l’origine, il y a le désir de mettre du sens dans une carrière professionnelle qui lui paraît en manquer. Et le récit qu’elle fait de son année d’enseignante est en effet cela : une quête de sens, là où le manque de moyens, les dysfonctionnements administratifs à répétition et le sentiment d’abandon confinent parfois à l’absurde. Tout plaquer, partir un an dans un environnement difficile avec l’étrange sentiment de monter au front, puis revenir et raconter : l’exercice est loin d’être inédit, mais l’énergie que met l’auteur dans le compte rendu romanesque qu’elle en livre est touchante. Il y a d’abord son départ bille en tête, la rentrée qu’elle attaque la fleur au fusil avec une naïveté qu’elle confesse bien volontiers : « Je plane sur ma licorne arc-en-ciel, à des années-lumière d’une triste réalité qui va très vite me rattraper. »

 Son contrat signé, la désillusion commence. Entre sa responsable qui la promène d'une école à l'autre, d'une ville à l'autre, le nombre alarmant des collègues victimes d'épuisement, les élèves en grande détresse, les locaux indignes et le dilettantisme de sa hiérarchie, l'auteure retrace ses aventures, tantôt tendres, tantôt dramatiques, celles d'une jeune enseignante qui met ses convictions à l'épreuve et expérimente, avec un regard neuf, la réalité du terrain derrière le discours sur " l'égalité des chances " républicaine. Son enthousiasme se heurte aux absurdités administratives : tel jour, on l’expédie dans le mauvais collège ; tel autre, on la laisse sans rien faire faute de parvenir à lui trouver une mission.

Quand elle arrive à l’école, rien, décidément, ne se passe comme prévu. Avec ironie, l’enseignante se remémore par analepses, par retours en arrière, les conseils entendus quelques jours plus tôt, lors d’une formation trop sommaire pour être vraiment utile : bien vite, il lui faut oublier même le peu qu’elle a appris. Une fois devant la classe, on improvise souvent comme on peut. Véritable couteau suisse, elle est prof de natation le matin et de mathématiques l’après-midi. Internet, heureusement, pallie ses lacunes, lui fournissant opportunément les exercices idoines sitôt qu’il lui faut dispenser un nouveau cours à l’improviste.

On passe un peu vite sur les leçons de morale hâtives de l’auteur ou sur son plaidoyer lassant et militant en faveur du droit d’asile. Reste que ce récit, souvent sensible et subtil, rend manifeste une réalité que les enseignants connaissent déjà bien : celle d’une école en panne, où le manque de moyens et celui, encore plus cruel, de formation du personnel sacrifient des générations entières d’élèves. L’école publique n’est plus qu’un pansement, conclut l’auteur : ceux qui en ont les moyens la fuient et se réfugient dans le privé. Si rien n’est fait, il en sera bientôt fini de l’école de la République.

Ils ont tué l’école,
de Marion Armengod,
paru le 22 août 2019,
aux éditions du Seuil,
à Paris,
176 pp.,
ISBN-13: 978-2021424614
17 €.

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