lundi 29 janvier 2018

Québec — Dans la peau d'une suppléante : insolences, indiscipline, violences

Extraits du récit d’une suppléante pendant un mois paru dans le Journal de Montréal.

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Le cours commencera avec du retard, jusqu’à mon arrivée à la hâte.

Dans le gymnase, une dizaine d’élèves de 6e année surexcités se chamaillent avec des ballons de basketball. Bref, la tempête semble s’être invitée à l’intérieur des murs de l’école.

Cette première journée donnera le ton au reste de mon expérience.

Sans diplôme en enseignement, mais détenant un baccalauréat, je fais des remplacements dans sept écoles primaires et deux secondaires à la Commission scolaire de la Rivière-du-Nord (CSRDN), dans les Laurentides.

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Semaine 1

Menaces d’une fillette

Les premiers remplacements sont désarmants. Il faut savoir décoder les élèves dès les premières minutes du cours tout en dissimulant son flagrant manque d’expérience.

Mais les étudiants y voient clair et en profitent pour se payer du bon temps au dépit des suppléants.

En moins d’une demi-heure, un élève colérique et turbulent, qui s’en prend aux autres enfants, me pousse à bout. Je n’ai pas le choix de le retirer de la classe pour quelques minutes. Il revient calme et souriant. C’est une première réussite.

Les jours se suivent, mais ne se ressemblent pas. Dans une classe de 5e année, des enfants se disputent pour des crayons, se lèvent sans raison, courent entre les bureaux et un refrain résonne en boucle dans toute la classe : « Je comprends pas et ça me tente pas, madame (sic) ».

Puis, une fillette de 10 ans m’assène le coup de grâce. Elle se vante d’avoir réussi à « faire mettre dehors un prof » qui ne l’aidait pas assez. « Je peux faire la même affaire avec vous », se targue l’élève avec fierté. Impossible de savoir si l’histoire est vraie. [...]

Semaine 2

La deuxième semaine débute avec une classe de 6e année en co-enseignement, ce qui signifie que deux groupes et deux enseignants de retrouvent dans le même local. Les élèves sont courtois, allumés et travaillants. Une journée de répit avant le pire remplacement de ma courte carrière.

Deux classes d’arts plastiques en 3e secondaire tournent au cauchemar : insolence, insultes de toutes sortes, non-respect des règles, refus d’obtempérer. Dès que j’ai le dos tourné, une élève fabrique un « pic » avec un couteau à lame rétractable et un outil de bois pour le travail sur argile. L’objet pointu pourrait blesser quelqu’un. « Touchez madame », lance-t-elle en me pointant de manière répétée avec son arme de fortune.


Devant mon air affolé, elle continue son geste en riant : « Ben voyons, je ne vous ferai pas mal, je ne vous blesserai pas ». Je réussis à lui retirer des mains, abasourdie.

La période est pénible, le local est un fouillis et les étudiants sont désorganisés. Trop occupée à « faire la police », quatre élèves profitent de mon inattention pour quitter la classe avant la fin du cours. Je tente de trouver de l’aide, mais il n’y aucun surveillant dans les corridors.

Je suis laissée à moi-même, ce qui ne sera pas la première fois. Selon le personnel et les étudiants, je fus la quatrième remplaçante depuis le début de l’année.

Semaine 3

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Une journée à courir dans tous les sens : exiger le silence, répéter constamment « de s’assoir à sa place », stimuler les trois élèves ayant un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité tout en répondant aux questions des élèves. Malgré tout, je m’attache à ces enfants. Je me sens utile et fière lorsqu’ils comprennent bien la matière.

Autre classe, autre défi. Et non le moindre : cinq enfants aux prises avec un trouble du spectre de l’autisme. Mon manque d’expérience transparaît plus que jamais. Je suis déstabilisé, je ne sais pas comment gérer tout ça.

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Semaine 4

[...] Dans le local des professeurs, plusieurs me suggèrent de « mettre un film de Noël ». Les examens sont terminés et certains projets, aussi. Pour une rare fois, les élèves ne s’opposent pas à mes directives.

Un mois de stress, de patience, de gestion et de débrouillardise. Le constat est clair : le suppléant comme l’enseignant passe le plus clair de son temps à faire de la discipline plutôt qu’à enseigner. Dans chaque classe, trois ou quatre élèves perturbateurs ou avec des besoins particuliers chamboulent les classes au détriment des autres élèves qui ne comprennent pas la matière. Ces derniers auraient besoin d’un meilleur soutien, mais « on manque toujours de temps », m’ont répété des enseignants.

Si j’avais choisi ce métier, je ferais assurément partie de ce 25 % des nouveaux enseignants qui abandonnent le métier au cours de leurs cinq premières années de pratique.

Ailleurs cette journaliste-suppléante en éducation résume :

« Je passais 90 % de mon temps à faire de la discipline et 10 % à enseigner, a-t-elle confié dans le reportage vidéo qu’elle a tourné et qu’on peut voir sur notre site internet. Je me sentais inutile... »

Le manque criant d’enseignant est manifeste :

« Ça vous tente d’enseigner les maths à des enfants ? Les seules exigences sont de ne pas avoir de dossier criminel et de savoir utiliser une calculatrice... »

Entendu à l’école

« Je vais te tuer »

Ce sont les mots criés par un élève à un autre en pleine classe. Une chicane a éclaté entre les deux étudiants, malgré les nombreuses interventions. Coups de pied, insultes et injures.

« Est-ce que vous prenez les présences ? »

Une question souvent posée par les élèves du secondaire. C’est une technique pour pouvoir s’absenter avant la fin du cours sans êtres vus et réprimandés par la direction.

« On ne lance pas le ballon dans le visage des autres »

Phrase souvent répétée lors des remplacements en éducation physique. Il faut toujours rester vigilant dans un gymnase. Un ballon est si vite arrivé même pour l’enseignant.

La discipline pendant la « Grande Noirceur », classe de 33 écolières de 6-7 ans, en 1951

Réactions

« Nous ne valorisons pas l’éducation », a écrit Denise Bombardier samedi.

Selon la présidente de la Fédération des syndicats de l’enseignement, Josée Scalabrini, le fait que la journaliste-suppléante ait dû faire de la discipline la majorité du temps, plutôt que de l’enseignement pur et dur, c’est un phénomène relativement nouveau faisant référence à l’intégration massive des élèves en difficulté et de l’envoi des meilleurs élèves vers des classes avec des projets particuliers. Ce carnet n’est pas convaincu que les choses iraient mieux si les meilleurs étaient restés pendant cette intégration massive des élèves en difficulté.

Pour Richard Martineau ce lundi, « En fait, c’est plus grave que ça. Nous ne valorisons plus l’autorité, point. Les enfants envoient promener leurs parents, ils sont insolents, effrontés, malpolis, ils répondent, répliquent, ripostent, commentent la qualité du repas qu’on leur sert... »

Pour Lise Ravary, « De 2012 à 2015, le ministère de l’Éducation a comptabilisé 2300 actes de violence physique ou psychologique d’élèves envers un enseignant, tant au primaire qu’au secondaire. Aucune raison de croire que c’est mieux aujourd’hui. [...] En Ontario [Note du carnet : et au Nouveau-Brunswick], la Commission scolaire de Waterloo, qui a connu 1300 incidents violents au primaire en 2016, fournit désormais des vêtements de protection en Kevlar à ses enseignants. [...] Lorsqu’on interroge les experts pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, les réponses nous laissent sur notre faim. L’argent manque, certes, mais l’acceptation de cette violence en dit long sur notre tolérance à l’intolérable. Ne parlez surtout pas de resserrer la discipline : l’interdiction d’utiliser un téléphone en classe est considérée comme une atteinte aux droits fondamentaux. De plus, vous aurez les parents sur le dos. »

Discipline à la fin de la « Grande Noirceur », 1961, 28 élèves de 12-13 ans