jeudi 27 septembre 2018

« Les fausses statistiques » du taux de réussite au Québec

Selon Marc-Nicolas Kobrynsky, diplômé de HEC Montréal et titulaire d’une maîtrise en gestion de la London School of Economics, qui tient un blogue à lactualite.com :


Le plan stratégique 2009-2013 comprend un indicateur : le taux de réussite aux épreuves uniques de français, langue d’enseignement, pour les écoles du secondaire, avec une cible de 90 %. C’est le seul indicateur de l’ensemble du plan qui montre la capacité du système d’éducation à former avec succès les élèves en français, primaire et secondaire confondus. Par extension, c’est le seul indicateur sur lequel le simple citoyen peut mesurer la santé future de la langue française dans la province, qui est au cœur de l’identité et de la pérennité du peuple québécois.

Lors de l’analyse de ce plan, en 2017, l’indicateur attire mon attention, parce que le taux de passage ne cesse de chuter entre les années 2009 et 2013, pour passer de 91,9 % à 90,6 %. L’indicateur disparaît ensuite du plan pour les années subséquentes. Avec une tendance négative claire, sa disparition semble à tout le moins surprenante.

Les premiers documents fournis par le Ministère montrent que ce taux s’établit à 90,9 % pour 2015. Bien que l’indicateur soit légèrement incomplet, sans la moyenne des notes à l’examen, 90 % des élèves qui obtiennent au moins la note de passage au test de français, c’est réconfortant, non ?

Réconfortant si on ne creuse pas plus loin. Et que l’on ne remet surtout pas en question les hypothèses ou les méthodes de calcul du Ministère. Parce qu’un petit coup de pelle et le portrait change de façon draconienne.

Primo, le taux de passation global est de 90,9 %, mais c’est seulement 88,7 % au public. Déjà, l’ensemble du système public n’atteint pas la cible du Ministère, mais il n’y a pas de raison de s’inquiéter. Après tout, une fois que tous les élèves de la province seront passés au privé, ce genre de détail disparaîtra.

Deuxio, la présence aux examens de français est 14 % plus basse que le nombre d’élèves inscrits. En gros, pour 100 élèves inscrits en 5e secondaire, seulement 86 se présenteront à l’examen de français. Mais voyez-vous, le Ministère ne compte pas ces 14 absents comme des échecs. Parce que, comme nous répond le Ministère, il ne faut pas considérer cet indicateur comme un taux de réussite aux épreuves des élèves inscrits en cinquième secondaire.

C’est fou comme l’éducation évolue rapidement. Dans mon temps, quand tu ne te présentais pas à un examen, tu avais un échec. Aujourd’hui, c’est incroyable, l’absence à un examen te fait simplement disparaître.

Réponse du Ministère à cette incohérence : l’élève peut avoir décroché.

En gros, on se retrouve avec deux possibilités, aussi graves l’une que l’autre. Dans un premier cas, 14 % d’élèves décrochent entre le début et la fin de la 5e secondaire, ce qui serait une catastrophe. Mais comme le Ministère s’entête à utiliser un indicateur de décrochage sur une base de sept ans, cette situation n’est jamais connue du grand public.

Dans le deuxième cas, 14 % ne se présentent pas à l’examen parce qu’ils savent qu’ils n’ont aucune chance de le réussir. Parce qu’ils sont découragés de s’y présenter par leurs professeurs, les directions d’école et les commissions scolaires, pour ne pas, justement, faire descendre la sacro-sainte moyenne. Parce que leur combustion spontanée et leur subséquente disparition servent bien le ministère de l’Éducation.

Dans les deux cas, le Ministère continue à bien paraître.
Mais la réalité, elle, est tout autre. Indépendamment des raisons, un élève sur quatre ne passe pas son examen de français de 5e secondaire. C’est un désastre sur le plan individuel, sachant qu’un DEC est maintenant nécessaire pour la plupart des emplois, mais aussi pour le peuple québécois. Quel est l’avenir du français comme fondation de notre identité si 25 % de notre jeunesse est incapable de passer l’examen de 5e secondaire ?

Tant qu’à être dans le sujet, ce taux augmente à 30 % pour la région de Montréal. Et 18 écoles sur les 30 qui obtiennent un taux d’échec de 20 % ou plus sont situées dans l’île.

Mais c’est tellement plus réconfortant de dire que le taux de réussite aux épreuves uniques de français, langue d’enseignement, est de 90,9 %. Les résultats du système public, les élèves qui ne se présentent pas à l’examen et la situation particulièrement inquiétante de Montréal ne méritent aucune mention.

Si les fausses allégations du Ministère en ce qui concerne la taille des classes sont inquiétantes, celles de la réussite de l’examen du français en 5e secondaire sont parfaitement scandaleuses.

Dans le premier cas, le Ministère laisse faussement croire qu’il a procédé à des améliorations dans le but de favoriser la réussite scolaire. Mais comme celui-ci publie un indicateur de réussite scolaire, aussi alambiqué soit-il, il est toujours possible de constater l’échec global de ses politiques à ce sujet.

Dans le deuxième cas, le Ministère laisse faussement croire que la situation du français est plus positive que la réalité dans le système scolaire. En publiant des statistiques fallacieuses sur le taux de réussite en français, le Ministère lèse irrémédiablement la population qu’il prétend servir, en la trompant sur ses compétences et sur la gravité d’un enjeu qui est fondamental à la pérennité du peuple québécois.

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