samedi 21 avril 2018

France — Pour les médias, un bon étudiant est un étudiant « en grève »

Du carnet d’Ingrid Riocreux, un décryptage de la rhétorique des médias français (qui s’appliquerait sans doute aux québécois) :

Pour les médias, un bon étudiant est un étudiant « en grève »
La violence ne viendrait pas des bloqueurs, mais des anti-bloqueurs



On trouve sans peine des articles et des reportages intitulés :


Mais on cherchera en vain : « qui sont les bloqueurs qui s’en prennent aux étudiants non grévistes ? »

Pourtant, le Premier Ministre, comme celui de l’enseignement supérieur, ou encore le Président de la République ont insisté sur le caractère minoritaire des étudiants au sein des comités de blocage des universités. Mais il est vrai qu’ils ont tout intérêt à nier la légitimité de ceux qui s’opposent à la réforme portée par le gouvernement :

Je constate quand même que dans beaucoup d’universités occupées, ce ne sont pas des étudiants, mais ce sont des agitateurs professionnels, les professionnels du désordre dont parlait Michel Audiard. […] [Et les vrais étudiants] doivent comprendre que s’ils veulent avoir leurs examens en fin d’année, c’est mieux de les réviser, parce qu’il n’y aura pas d’examens en chocolat dans la République. (Emmanuel Macron sur TF1)

Sur les examens en chocolat, on pourra aussi écouter Raphaël Enthoven et son billet matinal particulièrement bien senti :



Le problème est, en réalité, beaucoup plus large et devrait amener les médias à s’interroger sur la manière dont ils traitent les mouvements de contestation en milieu étudiant. On ne devrait pas les aborder comme n’importe quel soulèvement social. À proprement parler, un étudiant ne peut pas être « en grève » puisqu’il n’est pas salarié. La Charte de Grenoble (1946) qui consacre l’avènement du syndicalisme étudiant peut bien présenter les étudiants comme des « travailleurs », reste que les moyens d’action de ces mouvements eux-mêmes et leur capacité de nuisance invalident cette assimilation abusive.

L’étudiant « gréviste » peut, pour participer à des manifestations, se priver de cours. Mais c’est un risque qu’il prend, un dommage qu’il s’inflige et dont il doit être prêt à assumer les conséquences. Il ne pénalise que lui-même puisque, étant étudiant, il n’apporte rien à l’institution, mais a tout à recevoir d’elle.

À l’inverse, un ouvrier gréviste, au surplus s’il bloque son usine, paralyse les moyens de production et refuse de contribuer par sa force de travail à la prospérité de l’entreprise. Son action a donc un sens, en lien direct avec l’objet de sa colère.

Mais un étudiant qui bloque une université nuit seulement aux autres étudiants. Son action n’a donc aucun sens, manque sa cible et ne peut aboutir qu’à jeter le discrédit sur les revendications du mouvement.

Sans compter que n’importe quel petit lettreux un peu politisé ne saurait, avec ses petits bras, lancer et tenir un blocage. Les infos que j’ai pu recueillir ici et là confirment que « les étudiants » (dixit les médias) qui bloquent telle ou telle fac ne sont que très minoritairement des étudiants de la fac en question, certains n’étant même pas étudiants du tout.

Et là, on attendrait une enquête journalistique un peu rigoureuse pour nous donner des informations plus précises sur : qui vient d’où ? dans quel but et dans quelles proportions ? À bon entendeur…

La focalisation diabolisante sur les anti-bloqueurs, facilement réduits à quelques groupuscules néo-fascistes venus en découdre avec leurs homologues d’extrême gauche (dont tout le monde, en revanche, s’obstine à nier l’existence) prouve une nouvelle fois que, même pour les journalistes, un bon étudiant anti-blocage est un étudiant qui se tait.

Les bloqueurs ont le droit de transformer les AG en séances d’intimidation collective n’ayant absolument rien de démocratique, ils ont le droit de dégrader les locaux et de brutaliser leurs camarades de promo qui persistent à demander la tenue des cours et des examens.

Ils ont une marge de manœuvre très large avant qu’on les accuse de violence. Ceux d’en face ont des possibilités d’action bien plus réduite. S’ils essaient de forcer un barrage de grévistes : ce sont eux qui font preuve de « violence ».

À la grande époque du CPE [contrat première embauche], j’étais en classe préparatoire [aux Grandes écoles], ce qui signifie que la plupart des bloqueurs autour de moi étaient des lycéens (+ quelques étudiants de prépa). Avant de leur abandonner l’établissement, le proviseur avait négocié avec eux pour que les étudiants de prépa puissent continuer à bénéficier des cours, si bien que nous devions, chaque jour, présenter notre carte de khâgneux à des gamins qui nous autorisaient alors à entrer dans notre propre établissement ! Un matin, j’ai estimé que je n’avais pas à me plier à cette mascarade et j’ai fait mine de passer sans les voir. Une petiote m’a rattrapée et m’a réclamé mon attestation d’inscription en prépa. « Ah oui, c’est vrai, ai-je répondu, il faut que je te montre mon Ausweis pour entrer dans mon propre lycée ». Je l’ai vue se décomposer. Pas une seconde elle n’avait imaginé qu’on puisse la considérer comme une fasciste. Elle dut s’en ouvrir à ses camarades de lutte, car le lendemain, une affiche en format A3 était placardée à l’entrée de l’établissement ; paradoxalement, elle ne s’adressait pas aux personnes qui voulaient y entrer, mais aux élèves qui tenaient les piquets de grève : « ils nous traitent de fascistes ! » en était le titre chargé d’un étonnement rageur. L’épisode de l’Ausweis y était relaté : « alors qu’elle réclamait sa carte d’étudiante à une élève de classe préparatoire, l’une de nos camarades s’est vu répondre, etc. » et le document expliquait que les grévistes étaient déjà bien gentils d’accepter de nous laisser entrer et qu’il fallait remettre les choses à leur place : si fascistes il y avait, c’était moi, c’étaient tous ces gens qui ne soutenaient pas le mouvement de protestation contre le CPE et qui étaient donc « les complices du gouvernement, du grand capital et de la police ». Les mêmes rebelles à la petite semaine furent pourtant bien obligés de l’appeler, la police, quand quelques jours plus tard, les élèves de la ZEP [euphémisme pour zone d’éducation prioritaire, comprendre banlieue immigrée] décidèrent de venir casser du bourgeois gréviste à coups de barres de fer. Maman ! Le même genre d’incidents eut lieu dans d’autres établissements, mais les élèves de ZEP n’étant pas des néonazis, le silence médiatique autour de ces faits fut à peu près total : rien à voir avec le récent scandale de Montpellier…

En conclusion, je dirai juste : laissez bosser ma petite-sœur, elle a ses partiels dans un mois et là, elle en a vraiment marre de votre cirque.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire