mardi 26 septembre 2017

« Les écoles privées, c’est pour les riches »

Recension intéressante  Eddie Willers de l’ouvrage de James Tooley « The Beautiful Tree: A Personal Journey into How the World’s Poorest People Are Educating Themselves » (Le Bel Arbre : un voyage personnel dans la façon dont les plus pauvres de notre planète s’instruisent.)

En 2003, le Kenya décide de rendre l’école primaire gratuite pour tous les enfants. La décision est saluée à travers le monde, notamment par l’ancien président Bill Clinton qui n’hésite pas à en faire l’éloge.

A priori quoi de plus beau qu’une éducation gratuite qui permettra à tous les enfants d’acquérir les connaissances et les savoirs nécessaires pour devenir des citoyens éclairés. La décision est d’autant plus louable qu’elle est menée par un pays en voie de développement qui ne dispose pas des ressources financières des pays occidentaux.

C’est exactement ce que se disait aussi James Tooley lorsqu’il a commencé son enquête sur les écoles privées à destination des plus pauvres. Pourtant, confronté à la réalité, il changea rapidement de point de vue et nous allons voir pourquoi.

Cet article s’appuie sur les éléments développés dans son livre « The Beautiful Tree: A Personal Journey into How the World’s Poorest People Are Educating Themselves » : les écoles privées ne sont pas réservées aux riches et offrent une éducation de meilleure qualité que l’école publique dans les pays les plus pauvres, le tout à un prix tout à fait modeste.

Tooley explique au début de son livre qu’il est parti au Zimbabwe au moment de la révolution socialiste menée par Robert Mugabe. Il s’implique alors dans une des nombreuses écoles gratuites instaurées par le gouvernement, en tant que professeur. Cependant face à l’endoctrinement permanent et les remarques sur le fait qu’il est un néo-colon, il décide de quitter le Zimbabwe.

Quelques années plus tard, Tooley se retrouve en Inde pour une mission sur les écoles privées du pays. Les premiers commentaires qu’il reçoit avant de partir en mission font état d’écoles réservées à une élite sur le modèle des « public schools » anglaises. Pourtant au détour d’une visite dans un bidonville d’Hyderabad, il se rend compte que des écoles privées existent… mais pour les plus pauvres.

Surpris de trouver ces écoles pour les enfants des bidonvilles, il souhaite poursuivre son étude en Inde et par la suite à travers le globe : en Chine, au Ghana, au Nigéria, etc. Son enquête minutieuse réalisée sur près de 10 ans renverse totalement les idées préconçues que nous pourrions avoir sur les écoles privées.

Un premier élément surprenant, les écoles privées sont bien plus nombreuses que nous pourrions l’imaginer. En 2015, The Economist affirmait qu’il y avait plus de 12 000 écoles privées à Lagos et que 26 % des enfants nigérians entre 6 et 14 ans étaient scolarisés dans des écoles privées. Tooley l’explique par le fait que le gouvernement sous-estime sciemment le nombre d’enfants se rendant dans des écoles privées. L’aveuglement est criant dans certains pays tels la Chine où au travers de ses discussions avec des officiels du régime, Tooley s’était vu dire qu’il n’existait pas d’écoles privées dans le pays.

Plusieurs éléments peuvent expliquer cet aveuglement :
  • Pourquoi les parents enverraient-ils leurs enfants dans ces écoles payantes alors que l’école publique est gratuite ? Il ne doit donc pas y en avoir.
  • Afficher un nombre élevé d’enfants scolarisés dans ces écoles ce serait faire la promotion d’un modèle concurrent de l’école publique.
  • Les écoles sont souvent situées au cœur des bidonvilles dans des bâtiments de fortune et il faut oser s’y aventurer et savoir qu’ils existent pour les compter.
  • L’argument du prix de l’éducation privée est souvent mis en avant par ses détracteurs pour la dénoncer. Pourtant, Tooley se rend compte que les prix demandés par les propriétaires des écoles sont relativement faibles, autour de $50/an soit moins de $1/semaine. Les frais d’inscription sont donc tout à fait abordables même pour les parents les plus pauvres.
Mais alors à ce prix là l’éducation doit vraiment être catastrophique ? Loin de là affirme Tooley et c’est peut-être d’ailleurs le point le plus important de son ouvrage. La qualité de l’enseignement est meilleure dans les écoles privées qu’il ne l’est dans les écoles publiques. Tout d’abord parce que l’absentéisme des enseignants est bien plus faible dans les écoles privées que dans les écoles publiques. The Economist révélait que le taux d’absentéisme des enseignants dans les écoles rurales en Inde atteignait 25 % ! Et quand ils sont présents en classe, les professeurs issus souvent de quartiers plus aisés toisent de tout leur mépris les élèves. Les classes surchargées se transforment en garderie si bien que les enfants passent le plus clair de leur temps dans la cour et n’apprennent pas grand-chose.

Soucieux de l’avenir de leurs enfants, les parents préfèrent donc les envoyer dans des écoles privées pour une raison qui change tout par rapport à l’école publique : le directeur de l’école est responsable devant les parents. Les parents peuvent à tout moment décider de placer leur enfant dans une autre école si la qualité de l’enseignement est insuffisante. En conséquence, le directeur de l’établissement va tout mettre en œuvre pour que les parents soient satisfaits : il va s’assurer que les professeurs sont présents, il va assurer leur formation afin qu’ils améliorent leurs méthodes pédagogiques, il va réaliser les investissements nécessaires pour que l’école fonctionne, etc.

Ces investissements à la différence des écoles publiques se limitent au nécessaire : pas besoin de grands bâtiments ou de tableaux interactifs dans les classes. L’effort est concentré sur le rapport qualité de l’enseignement/prix. La plupart des parents d’ailleurs ne demandent pas aux écoles de fournir des bâtiments extraordinaires pour leurs enfants, leur priorité est qu’ils apprennent à lire, écrire et compter. Le programme des écoles publiques est d’ailleurs parfois inadapté aux besoins des parents.

Certaines personnes s’insurgent contre les écoles privées par principe, car cela reviendrait à « marchandiser » l’éducation. En utilisant le terme « marchandiser » certains estiment que cela le rend péjoratif, j’estime au contraire que cela est bon. Si des marchands décident de prendre en charge l’éducation, ils auront à cœur de produire un service de qualité au bon prix pour satisfaire leurs clients. L’éducation étant capitale au développement de chacun, il est nécessaire que nous puissions avoir du choix et que celui-ci soit de qualité.

Tooley montre dans son livre que les « entrepreneurs de l’éducation » sont bien loin du cliché du méchant patron qui vit grassement sur le dos des enfants. Ce sont souvent des gens simples qui ne gagnent pas beaucoup plus que leurs professeurs et qui offrent la plupart du temps les frais de scolarité aux enfants les plus démunis.

L’école publique ou financée par des ONG semblait être la seule voie pour permettre l’éducation des plus pauvres dans les pays en voie de développement. James Tooley au travers de la richesse de son enquête nous montre qu’une alternative existe. Imposer le modèle de l’école publique c’est imaginer que les parents ne savent pas choisir ce qui est bon pour leur enfant. C’est imaginer qu’ils ne se rendent pas compte des vertus de l’éducation et qu’ils ne sont pas prêts à payer pour cela. C’est idéaliser une école publique qui dans certains pays affiche des carences importantes.

À la fin de son livre dont je vous recommande chaudement la lecture afin d’approfondir les éléments abordés ci-dessus, Tooley se demande si ce modèle des écoles privées est transposable aux pays développés. Il n’apporte pas de réponse à la question, pour autant je suis convaincu que nous pourrions répondre par l’affirmative.

Notre modèle est financé par l’État, c.-à-d. le contribuable qui n’a pas le choix. Les directeurs d’école nommés par le rectorat ne sont absolument pas responsables devant les parents et n’ont que peu de leviers d’actions pour améliorer la situation de leur école : pas de recrutement/licenciement possible, pas de poids dans la formation des enseignants, pas de décision concernant le programme enseigné, etc.

Or chaque enfant est unique. Leurs besoins ne sont pas les mêmes en fonction de leurs prédispositions, de leurs talents et de leurs envies. Une école publique au fonctionnement uniformisé n’est pas en mesure de répondre à ces besoins. Il faut donc donner le choix aux parents d’inscrire leurs enfants dans l’école qui leur convient et donner toute latitude au chef d’établissement pour que son école réponde aux besoins des parents.

Afin de limiter les disparités entre les foyers les plus riches et les plus démunis, la Suède a mis en place un système de « chèque éducation » qui permet à chaque parent d’inscrire son enfant dans l’école de son choix. Cette liberté éducative pousse les écoles à offrir le meilleur pour les enfants qu’elles accueillent et de répondre au mieux aux besoins des parents.

Le modèle de l’école publique républicaine fonctionne pour les enfants qui sont armés pour réussir : il valorise le travail intellectuel au détriment du travail manuel, il sélectionne et casse les élèves qui ne rentre pas dans la norme. En un mot, il favorise les enfants déjà favorisés. Loin d’être un moteur du « vivre-ensemble » prôné par nos politiques, il met sur le banc les plus démunis.

La fin de ce modèle permettrait d’arrêter le dénigrement systématique des filières professionnelles et technologiques où sont envoyés par dépit les élèves « les moins bons ». Il revaloriserait les talents et les envies de chaque enfant afin qu’il puisse développer ses compétences et ses aptitudes.

Le chèque-éducation couplé à la fin du monopole d’État sur l’éducation engagerait alors le développement d’écoles privées. Comme l’a montré James Tooley, celles-ci sont les plus à même de répondre aux attentes des parents de permettre à chaque enfant de s’épanouir. Et si en matière d’éducation, nous n’étions qu’un pays « en voie de développement » ?

Voir aussi

L’Afrique du Sud est le pays de l’OCDE qui consacre une grande partie de son PNB à l’éducation (5 % en 2010), les résultats scolaires des élèves du secteur public y sont pourtant catastrophiques. Pour citer l'OCDE : « Il existe une sévère pénurie de bons enseignants en Afrique du Sud. La connaissance qu'ont les enseignants de la matière qu'ils enseignent a été mise en question dans des tests régionaux (SACMEQ, 2007) ainsi que dans des enquêtes nationales (Taylor et al. 2012). »

Afrique du Sud – Pour la sixième année de suite, le taux de réussite aux examens de fin d'études secondaires diminue

Dépenser plus en éducation, est-ce la solution ?

Uniformiser les universités de la « nation arc-en-ciel » au nom de l'« unité » ? (plus particulièrement la section : Un taux de réussite au secondaire qui gonfle le nombre d’étudiants mal préparés)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire