lundi 2 mai 2016

Les créateurs du programme ECR défilent dans les colonnes du Devoir

Plusieurs lecteurs nous ont demandé notre avis sur les échanges qui ont lieu actuellement dans le Devoir sur le cours Éthique et culture religieuse (ECR). Ils opposent le clan des universitaires à l’origine de ce programme imposé à tous les élèves du Québec et les partisans d’un plus « grand esprit critique » envers les religions (voir leur critique vidéo ci-dessous et l'avis de l'ancien ministre Joseph Facal après avoir vu cette conférence).


(Critique féministe du volet religieux, ces dames ne s'opposent pas au volet éthique, notamment, parce qu'il lutte « contre les stéréotypes » contrairement au volet religieux. Nous mentionnions déjà ici en 2010 que le volet religieux renforce les stéréotypes.)

Dans le camp universitaire, on retrouve non seulement les pères du programme ECR, mais aussi les héritières comme Stéphanie Tremblay, « professeure au Département de sciences des religions à l’UQAM » qui a fait publier dans l’ancien journal catholique, nationaliste et conservateur (oui, Le Devoir !) une longue chronique.

Qui est Stéphanie Tremblay ?

Stéphanie Tremblay est l’auteur d’un livre sur l’histoire de la déconfessionnalisation des écoles publiques québécoises et de l’imposition du cours d’éthique et de culture religieuse à toutes les écoles, publiques et privées, au Québec. Cet ouvrage publié chez Fides, maison qui se spécialisait autrefois dans les ouvrages catholiques et religieux, devait à l’origine s’intituler École, religions et formation du citoyen : transformations au Québec (1996-2009). Titre assez transparent : l’école publique et donc l’État forment les citoyens, pas les parents, ni les autres corps intermédiaires.

L’ouvrage est paru avec de nombreux mois de retard, il devait paraître en octobre 2009, il n’est sorti qu’à la fin février 2010 avec un titre plus banal et assez typiquement québécois progressiste : École et religions : genèse du nouveau pari québécois. Pari, et non plus formation du citoyen. C’est beau, c’est enlevant un « pari » ! On comprend que, pour l’auteur ou les éditions Fides qui avaient déjà publié l’opuscule pro-ECR de Georges Leroux, mais refusé le livre anti-ECR de Guy Durand, la suppression des cours de religion et l’imposition du programme ECR seraient une bonne chose.

Or, il faut savoir que Stéphanie Tremblay est une disciple de Micheline Milot qui a dirigé son mémoire de maîtrise déposé en juin 2008. La professeur Milot est l’une des premières théoriciennes de la laïcité multiculturaliste au Québec, cette sociologue a siégé à la Commission Bouchard-Taylor sur les accommodements raisonnables et a participé au long processus de réflexion ayant conduit à la création du programme d’éthique et de culture religieuse, maintenant enseigné dans les écoles du Québec. Elle a rappelé avec émoi son rôle de pionnière dans le domaine : « J’ai commencé à parler de la nécessité d’un enseignement culturel des religions en 1982, quand j’étais étudiante à la maîtrise ».

Son mémoire n’ayant dérangé personne dans l’équipe de Micheline Milot et les cénacles multiculturalistes pro-ECR, Stéphanie Tremblay a reçu une des plus grosses bourses du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) pour faire son doctorat (105 000 $) sur le thème du Traitement du pluralisme religieux en contexte éducatif. Selon nos informations, plutôt que de commencer aussi vite que possible son doctorat, Mlle Tremblay aurait décidé d’attendre un an avant de le commencer pour... donner le cours ECR ! C’est ainsi qu’elle aurait remplacé une enseignante en congé de maternité durant l’année scolaire passée (2008-2009). On a affaire à une partisane convaincue en la matière.

Depuis lors, Stéphanie Tremblay, ayant produit une thèse conformiste, est devenue « professeure » d’université. Défendre le cours ECR nourrit.


Pour Stéphanie Tremblay, les enseignants sont bien formés...

Dans son article, Stéphanie Tremblay affirme que les enseignants sont bien équipés pour répondre à des questions comme « Est-ce que l’archange Gabriel existe vraiment ? » qui pourrait semer des tensions entre les enfants de la classe. Ajoutons : « Quelle version de l’archange Gabriel, l’archange Gabriel du Coran, de la Bible ? » Car affirmer que c’est le même c’est déjà prendre parti. (Voir Mahomet et l'ange Gabriel à l'indicatif, la résurrection du Christ au conditionnel et L’idée banale selon laquelle il suffirait d’oublier ce qui sépare ne mène à rien….)

La professeur Tremblay n’hésite pas à affirmer que « De tels questionnements peuvent en effet survenir dans des cours d’histoire et d’éducation à la citoyenneté, de sciences et de français. » Vraiment ? C’est plutôt rare pour le moins, plus particulièrement en cours de sciences, non ?

...Formés à répondre de manière non neutre, alors?

La disciple de Micheline Milot ajoute : « les enseignants ECR sont spécialement outillés pour encadrer les élèves dans ce type de discussion, qu’ils risquent de vivre à de multiples occasions, à l’intérieur et hors de l’école. Leurs interventions les conduiront par exemple à inviter les élèves, selon le niveau scolaire, à prendre conscience de la « relativité » de leurs valeurs et croyances, valables selon un point de vue particulier (la famille, la communauté, etc.), et du fait que plusieurs « vérités » peuvent coexister en même temps »

C’est, d’une part, une manière de répondre qui n’est en rien neutre, mais c’est aussi, d’autre part, une conception désincarnée de la religion, celle de non-croyants. Sinon toutes ces « vérités » (notez les guillemets) ne seraient pas de même valeur.

D’ailleurs, la professeur de l’UQAM s’en rend bien compte, car cet exercice vise à faire en sorte que les élèves adoptent graduellement « une distance réflexive à l’égard de leurs propres convictions ».

Le cours ECR vise donc bien à modifier la perception des élèves, et on peut le penser le plus tôt possible puisque le programme est enseigné dès six ans.


… et relativiste pour ce qui est des religions

Stéphanie Tremblay maintient que cette façon de faire (proclamer qu’il existe plusieurs « vérités ») « est d’ailleurs à distinguer du relativisme, selon lequel toutes valeurs se valent entre elles. »

La nuance est très subtile : relativisme en matière de vérités religieuses (elles se valent toutes), mais affirmation d’une valeur dans un sens (le pluralisme normatif : il faut respecter ces différentes « vérités »).
 
Est-il permis de penser que les élèves du primaire ne saisiront pas cette nuance très universitaire (si tant est qu’elle soit valide) et que, pour eux, dire que toutes les religions peuvent être vraies les déboussole ?

Créationnisme c. théorie de l’évolution

Stéphanie Tremblay emploie ensuite un exemple pour tenter de prouver que plusieurs « vérités » peuvent coexister : « Par exemple, au secondaire, dans le cas d’un conflit entre les discours créationniste et scientifique, l’enseignant pourra les aider à distinguer différents niveaux de lecture possibles des textes sacrés (interprétatif, littéral, etc.), au travers d’exemples concrets en montrant leurs effets dans différents contextes culturels et historiques. Il pourra ensuite rappeler les critères définissant la méthode scientifique (ex. : falsifiabilité), en comparaison avec ceux qui structurent la démarche religieuse (ex. : non-falsifiabilité) afin de mettre en lumière leurs fondements respectifs et leur validité dans des registres différents. »

D’une part, on ne voit pas très bien comment cela résout de manière neutre le conflit entre « discours créationniste et scientifique » : si un enfant croit que Dieu a littéralement créé le monde en 6 jours, l'« aider à distinguer » qu’il existe d’autres lectures (ces récits ne sont que des allégories, mon enfant!) c’est quitter la posture neutre que demande le cours, c’est influencer l’enfant.

Mais de toute façon, la coexistence de ces « vérités » n’existerait que parce qu’on parle ici de deux domaines différents (le religieux et le scientifique), de deux registres distincts (la parabole et les faits bruts). Mais qu’en est-il quand deux religions s’opposent (elles sont du même registre…) ? Il faudra bien qu’une des « vérités » soit plus vraie que les autres ou que toutes soient fausses. Bref, la disciple de Micheline Milot n’a rien résolu et les professeurs d’ECR sont bien démunis devant des élèves qui demanderont si Gabriel a vraiment existé à moins de se défausser de manière bien suspecte.

Un choix de société, vraiment ?

Pour cet apologue du programme ECR, l’imposition de cet unique programme pendant quasiment toute la scolarité obligatoire serait « un choix de société ». Rien de moins plutôt que le résultat du travail d’universitaires québécois dans les comités idoines. Petite communauté universitaire francophone — la résistance universitaire au programme ECR venant principalement des universités anglophones —, qui se connaît bien, se fréquente souvent et défend en commun son « bébé ».

Encore aujourd’hui, une troisième universitaire, Mireille Estivalèzes, monte au créneau dans le Devoir pour défendre la merveille pondue par les fines lames spécialistes en culture religieuse et en éthique, dont elle-même. Elle ressort le vieux marronnier : les exemples tirés des manuels et cahiers d’exercices sont décontextualisés (la vieille scie des politiciens forcés de se dédire après une maladresse) et ne reflètent pas l’essence du cours ECR. Simples affirmations qu’on aimerait bien voir étayées. Rappelons que lors du premier procès ECR, le monopole de l’Éducation du Québec a prétendu la même chose, mais n’est pas parvenu à convaincre le juge Dugré que c’était le cas.



Stéphanie Tremblay, quant à elle, avance que « Le gouvernement québécois a en effet opté au tournant des années 2000 pour l’implantation d’une formation en culture religieuse, en s’appuyant sur un large consensus social. »

Qu’on nous permette de douter de ce « large consensus social » qui a bon dos. La majorité des parents ne demandaient en fait rien du tout et ne savaient, de toute façon, pas ce qu’on mettrait dans cette formation « en culture religieuse » ni en éthique. Laissons la parole au professeur émérite Gary Caldwell de l’université Bishop qui a participé aux travaux sur la déconfessionnalision des écoles (vidéos de 2009, voir sa prévision sur l’islam dans la 1re vidéo qui est d’actualité).









« ECR n’est pas la panacée », pourquoi l’imposer alors ?

Stéphanie Tremblay termine son long article en écrivant : « Certes, le cours ECR n’est pas la panacée, mais son enseignement est sans doute mieux que de croiser les doigts en espérant qu’adviennent naturellement la cohésion sociale et le vivre-ensemble. »

D’une part, si le cours ECR n’est pas une panacée, pourquoi est-il le seul cours « offert » aux enfants dans ce domaine ? D’autre part, l’alternative n’a jamais été de se croiser les doigts ; l’État a éliminé la solution pluraliste par excellence : permettre plusieurs cours de formation religieuse et morale. Or, « le gourou » du directeur exécutif de la fédération des écoles privées (FEEP), le professeur Georges Leroux, qui défend également son bébé ECR dans les colonnes du Devoir, a dû avouer en justice qu’un programme de culture religieuse et de morale comme celui qu’enseignait le collège Loyola avant l’imposition d’ECR n’empêchait en rien le vivre ensemble et la cohésion sociale. (Sur le premier procès Loyola, lire notre compte rendu 1re journée, 2e journée, 3e jour).

Quand Georges Leroux fut interrogé dans le cadre du procès Loyola, il dut admettre que rien dans le programme de Loyola pré-ECR n’empêchait d’atteindre les objectifs fixés par le programme ECR. C’est d’ailleurs ce qui a poussé les trois juges minoritaires de la Cour suprême à considérer que le programme Loyola est équivalent à ECR, voir par exemple :
  « [148] À notre avis, il n’y a rien d’inhérent aux objectifs du programme ÉCR (reconnaissance des autres et poursuite du bien commun) ou aux compétences qu’il vise à inculquer aux élèves (religions dans le monde, éthique et dialogue) qui exige que l’on adopte une démarche culturelle et non confessionnelle. »

Ajoutons que, par contre, rien ne prouve en fait que le programme ECR « laïque » atteindra ses objectifs (Gary Caldwell pense l'inverse, voir les vidéos ci-dessus), ni surtout s’il est « neutre », ou qu’il le fera mieux que le programme confessionnel que proposait Loyola. Où sont les études, les faits qui permettraient de l’affirmer ?

Réécriture de l’histoire

Bref, la disciple de Micheline Milot réécrit l’histoire. On a imposé un programme unique au nom du pluralisme, ce qui est pour le moins paradoxal, alors qu’on ne croisait en rien les doigts, que la cohésion sociale n’était pas menacée (elle l’est nettement plus par les politiques migratoires rentables pour le PLQ que par l’absence de cours ECR il y a dix ans !).

Il n’y avait en fait pas de véritable demande pour un tel cours de la part de la société, c'est l’État québécois qui l'a imposé et a mis tout son poids pour convaincre la population après son imposition en haut lieu, d’où par exemple l’envoi de brochures dithyrambiques sur le programme ECR aux parents, les conférences organisées pour convaincre les parents (avant de les annuler de peur de donner une plateforme aux opposants, voir ici et ), les nombreuses poursuites judiciaires contre les opposants au programme ECR (qui ne demandaient que des aménagements, des exemptions personnelles ou locales), etc.

Le milieu universitaire qui défile dans les colonnes du Devoir pour protéger sa création, le programme ECR, n’est guère crédible, il prêche trop pour sa paroisse multiculturaliste.

Voir aussi

ECR — Ramener l’éthique à une simple question de « vivre-ensemble » pluraliste (jugement sévère du « charmant sophiste » Georges Leroux par le philosophe Jacques Dufresne)
  
Radio-Canada, Jean-Pierre Proulx et leur lutte pour le programme ECR



Une musulmane fondamentaliste, Najat Boughaba (ci-contre), parmi les conseillers du Monopole de l’Éducation engagés pour évaluer ce cours.

Étude de trois manuels du primaire d'ECR

Cours d’éthique et de culture religieuse — Réponse du théologien Guy Durand à l’abbé Gravel

ECR : « Un Dieu, trois religions », vraiment ?