vendredi 9 décembre 2016

La CAQ veut que la DPJ puisse sévir contre les parents rétifs au Monopole de l'Éducation du Québec

Sébastien Schneeberger
La Coalition avenir Québec (CAQ) propose de donner plus de pouvoirs à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ), pour qu’elle puisse débarquer dans les écoles dites clandestines ou illégales et contraindre les enfants qui y sont à fréquenter une école qui respecte le programme scolaire du Monopole de l’Éducation du Québec.

Les députés Jean-François Roberge (ex-instituteur et partisan du programme ECR) et Sébastien Schneeberger ont demandé à l’Assemblée nationale mercredi de profiter du projet de loi 99, qui modifiera la Loi sur la protection de la jeunesse, pour donner des armes supplémentaires à la DPJ. Celle-ci pourrait s’assurer que tous les petits Québécois fréquentent une école conforme aux critères du Ministère (ce que ne vérifie pas en ce moment le ministère de l’Éducation), et mieux enquêter sur ce qu’ils pensent être des cas de « négligence éducationnelle ».

Selon M. Roberge, il faut qu’au Québec, le droit à l’éducation soit traité « sur le même pied que le droit à un toit, le droit d’être vêtu, le droit d’être nourri, le droit d’avoir des soins de santé ».

Nous sommes d’accord avec M. Roberge quant au devoir d’éduquer ses enfants, le problème c’est qui décide du type de l’éducation de ses propres enfants ? Les parents ont-ils encore leur mot à dire ou le gouvernement sera-t-il juge et partie, et même seul juge et partie ? Les parents ont-ils encore le droit à ne pas suivre le programme étatique unique ?

Pour ces deux députés, deux problèmes persistent au Québec depuis plusieurs années :

— Un manque d’encadrement pédagogique pour les jeunes qui font l’école à la maison, comme le soulignait la Protectrice du citoyen dans son rapport de 2015 [M. Roberge ne semble n’en avoir retenu que ce que la presse avait souligné : il faut plus surveiller ces parents originaux, ce rapport était nettement plus riche, on peut par exemple aider les parents avec des ressources supplémentaires sans vouloir à tout prix qu’ils se conforment à une méthodologie ou à une idéologie particulière] ;

— Le statut des écoles clandestines et illégales, où les élèves ne suivent pas le cursus approuvé par le gouvernement.

Selon eux, il est temps de remplir le trou béant qui figure dans la Loi sur la protection de la jeunesse de manière à ce que tout jeune au Québec reçoive une éducation de qualité.

À nouveau, nous sommes d’accord, mais ces deux députés prétendent-ils que les élèves des écoles publiques québécoises reçoivent une éducation de qualité ? Selon quels critères ? Pourquoi tant d’élèves vont-ils au privé ? Pourquoi tant d’élèves finissent-ils leur secondaire avec un si faible bagage culturel ? Qu’en est-il des parents de décrocheurs ? La DPJ interviendra-t-elle aussi ? Ou ces députés ont-ils choisi une cible facile avec les écoles « clandestines » parce qu’elles sont surtout religieuses ?

M. Roberge a affirmé : « En juin dernier, nombre de Québécois [Note du carnet : M. Roberge devrait parler en son nom] espéraient que le problème se réglerait quand la DPJ est débarquée dans une école clandestine [juive] à Montréal. Malheureusement, ils ont été déçus, car rien ne s’est passé. »

En réalité, rien ne prouve que cette école (en fait deux) soit illégale... En effet, les yéchivas — comme les séminaires catholiques — ne sont pas soumises à la loi de l’enseignement... (Lire la décision du juge Dugré.) Le reste fait partie du sensationnalisme facile des médias dès qu’on parle d’écoles dites illégales ou clandestines, ouvertes pourtant depuis plus de 50 ans dans certains cas ! La DPJ est intervenue avec fracas et un intérêt médiatique prévisible dans deux écoles juives de Montréal pour enquêter sur des signalements de négligence. Signalements de la part de qui ? On ne le sait. Quelques semaines plus tard, les dossiers ont été fermés comme à l’accoutumée parce que les enfants n’avaient subi aucuns sévices physiques et se développaient normalement. Les acquis éducationnels des enfants n’ont pas été évalués, les parents ayant certifié que leurs enfants bénéficient de l’école à la maison et qu’ils sont suivis par la commission English Montréal... Ce que les médias avaient déjà rapporté auparavant.

Les juifs hassidiques ont des écoles talmudiques pour les garçons depuis plus de 50 ans à Montréal. Où est le problème ? Quelle est la raison de cette crispation soudaine de la part des politiciens québécois ? Notons que les juifs ne sont pas contre une bonne éducation (certaines de leurs écoles pour filles sont parmi les meilleures au Québec, Beth Rivkah notamment), mais ils sont pour une éducation particulière dont ils veulent conserver l’essence et l’originalité. Qui est M. Roberge pour décider de l’éducation des jeunes garçons juifs ?

Actuellement, la DPJ intervient seulement si un jeune est victime de négligence. Pour M. Roberge, « malheureusement, une scolarisation qui ne respecte pas le programme, qui ne mène pas à un diplôme, ce n’est pas considéré comme de la négligence. On a un problème. En 2016, la non-scolarisation devrait être considérée comme de la négligence. »

Des solutions simples et non liberticides : permettre facilement l’obtention de diplômes par équivalence de compétences, permettre d’autres programmes scolaires que celui du gouvernement ou encore réduire singulièrement les aspects obligatoires dans la scolarité au Québec (en abrogeant par exemple l’obligation de donner le cours ECR). C’est le manque de souplesse du Québec qui crée les écoles « illégales ». C’est ainsi que la Belle Province est l’unique juridiction en Amérique du Nord qui interdise les écoles mennonites conservatrices (principalement pour une question de qualification des enseignants qui doivent être membres de cette église), tous les autres États ou provinces ont réussi à trouver des aménagements qui ne mettent en rien en danger la qualité des écoles de leur ressort. Mais, au Québec, c’est la raideur administrative (aucune dispense !) soutenue par une presse et des députés qui font goulûment la chasse aux écoles « illégales » avec constance.

Que veut la CAQ en faisant intervenir la DPJ ? Que l’État québécois enlève les enfants des juifs hassidiques parce que ceux-ci ont une scolarité qui ne se conforme pas assez au programme pédagogique unique du Québec ?

Ce qui est neuf ce n’est évidemment pas l’éducation des enfants à la maison (des générations de fils de nobles et de bourgeois avaient des précepteurs) ou les écoles non soumises aux diktats de l’État, mais la mainmise croissante de l’État sur l’éducation des enfants. Mainmise qui ne garantit pas la qualité de l’enseignement. Notons que cet État est de plus en plus juge et partie­. Quels parents isolés pourront résister à des contrôles arbitraires, à des pressions de la part des commissions scolaires, de la DPJ armée de pouvoirs répressifs supplémentaires et qui bénéficie d’une certaine immunité ?

Rappelons une évidence : l’immense majorité des parents dans la ligne de mire de la CAQ ne cherchent pas à ce que leurs enfants ne sachent ni lire, ni écrire, ni compter. Ils ne sont pas négligents. Ils font ce choix parce qu’ils considèrent que l’éducation « dans les clous » tracés par le Monopole ou dans une école particulière n’est pas adaptée à leur enfant et cela pour des raisons diverses : parfois parce que l’enfant se sent mal à l’école, il s’en sent exclu ; parfois parce que les parents considèrent que l’éducation de l’école du coin n’est pas de qualité, n’offre pas un programme particulier ; que les enfants y feraient de mauvaises fréquentations (violence, drogues, élèves turbulents, etc.) ou encore que l’école ne respecte pas leurs convictions philosophiques ou religieuses.

Le problème du manque de diplomation est la conséquence même du monopole de l’éducation au Québec : seul l’État diplôme, un seul programme obligatoire est permis. Le monopole crée lui-même cette « négligence » que serait l’absence de diplôme québécois.

Mais, il faudrait d’abord à M. Roberge qu’il démontre que ne pas suivre le programme gouvernemental constitue une négligence : en quoi les garçons juifs orthodoxes ou les enfants mennonites qui n’ont pas de diplômes quand ils sortent de leurs écoles sont-ils victimes de négligence ? Sont-ils en général plus malheureux que les jeunes Québécois qui suivent le programme scolaire ? Seront-ils moins heureux par la suite ? Pour les enfants mennonites, par exemple, M. Roberge, sait-il quoi que ce soit ? A-t-il déjà rendu visite à ceux-ci ? Visiter les fermes de ces parents non munis d’un diplôme dûment estampillé par l’État ? Ces parents ne sont pas pauvres, il risque d’ailleurs d’être surpris... Quels sont les critères objectifs au-delà de préjugés corporatistes qui permettent à M. Roberge, instituteur au primaire jusqu’en 2014, de parler de négligence ?

Certains enfants instruits à la maison s’inscrivent dans des collèges ou universités hors Québec et en sortent diplômés. Ils sont parfois forcés à cet exil par le rigorisme et le manque d’ouverture des établissements québécois. Voir cette liste de 25 collèges ou universités anglophones qui acceptent des enfants instruits à la maison. Notons que le mouvement de l’instruction à domicile aux États-Unis connaît un succès croissant et que les jeunes instruits de la sorte s’en sortent bien, mieux en moyenne que les enfants de l’école publique américaine. Et il n’y a pas d’écart de résultats scolaires notables entre les États américains qui pratiquent le laissez-faire et ceux plus tatillons et autoritaires, pardon ceux qui « offrent [sic] un encadrement pédagogique pour les jeunes qui font l’école à la maison »... (Sur le mot « offrir » qui, en novlangue pédagogique, veut souvent dire plus clairement « imposer sans exception », lire notre lexique.)

Enfin, notons que ne pas suivre le programme du gouvernement québécois au primaire ou au secondaire ne signifie pas aujourd’hui qu’il soit impossible d’être diplômé, même au Québec et malgré les difficultés faites par les administrations scolaires, notamment les cégeps, aux enfants instruits à la maison. D’une part, il est possible de passer certains examens en tant qu’étudiant libre, c’est le cas du baccalauréat français, c’est l’équivalent du DEC québécois. On peut donc étudier à la maison comme on veut et passer l’examen quand on est prêt. Évidemment, à la fin on se conforme au programme choisi pour passer l’examen, mais ce n’est pas le cas pour toutes les années de la scolarisation à domicile. D’autre part, on peut ne pas suivre le programme du gouvernement, passer un examen très facile comme le TENS ou le GED reconnu au niveau international puis s’inscrire à une formation de type technique au Québec pour devenir électricien, mécanicien, etc. Nous connaissons de nombreux exemples de ce type. En quoi les parents de ces jeunes ont-ils été négligents ? Parce qu’ils n’ont pas suivi la voie que privilégie M. Roberge ?

À la lumière de ces éléments, le reste de l’intervention de M. Roberge à l’Assemblée nationale peut mieux se savourer : « On parle de milliers d’enfants qui n’auront jamais un diplôme, parce qu’ils sont victimes de la négligence du gouvernement libéral. À la CAQ, nous avons une solution audacieuse à proposer. Il faut changer la définition de négligence dans la Loi sur la protection de la jeunesse pour que tous les élèves québécois aient accès à une éducation qui respecte le programme et qui mène à l’obtention d’un diplôme ».

De son côté, Sébastien Schneeberger exhorte la ministre responsable de la DPJ à faire preuve de « courage » et à défendre cette idée auprès de ses collègues. Tout comme le ministre de l’Éducation, elle doit s’assurer qu’aucun enfant n’échappe au monopole gouvernemental scolaire québécois. « Nous avons à notre disposition des outils [répressifs], comme la DPJ, mais elle n’a pas toute la latitude pour intervenir. Le gouvernement n’est pas capable d’identifier ni de repérer les jeunes qui ne suivent pas une éducation appropriée [euh, disons plutôt approuvée par le gouvernement]. Résultat : on les laisse tomber. [Une preuve ?] Il faut mettre fin à cette triste réalité. Actuellement, avec le projet de loi 99, la Loi sur la protection de la jeunesse est ouverte. La ministre doit saisir cette occasion et accepter notre proposition », estime le député de Drummond–Bois-Francs.


En chambre, le ministre de l’Éducation Sébastien Proulx s’est montré ouvert à donner plus de pouvoirs répressifs soit à la DPJ ou au ministère de l’Éducation pour « cibler et intervenir » auprès des enfants qui ne fréquentent pas une école reconnue par le ministère de l’Éducation et à « revoir l’encadrement » de l’école à la maison. « Il y a d’ailleurs un projet de loi qui est en rédaction à cet effet-là. »

La ministre déléguée à la Protection de la jeunesse, Lucie Charlebois, a quant à elle affirmé qu’il « y aura des amendements » au projet de loi 99. Nous adresserons [sic : aborderons, répondrons à] cette question-là. »


Source : Journal des débats à l’Assemblée nationale

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La CAQ n’est pas la seule à faire dans la surenchère dans ce dossier, lire les propos ahurissants d’Agnès Maltais (PQ) : École clandestine « où 22 jeunes filles y recevraient l’enseignement de travaux ménagers »

Aux États-Unis par contre, l’administration Trump sera pour une liberté scolaire renforcée et plus autonome : États-Unis — Trump nomme Betsy Devos à l’éducation

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Radio-Canada écrit : « Québec donne plus d’argent pour l’école à la maison », mais ce n’est pas pour aider les parents dans leurs frais, mais pour les surveiller de plus près et payer des fonctionnaires.

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