jeudi 2 juin 2016

Marronnier — Les écoles juives « illégales »

C’est un marronnier au Québec comme on dit dans le jargon du journalisme. C’est-à-dire un sujet d’information meublant une période creuse et consacré à un événement récurrent et prévisible.

Voici donc revenue la saison des articles et reportages sur les « écoles juives illégales ».

D’emblée, notons que ces « écoles » ne sont ni clandestines ni nécessairement illégales. Ces établissements n’ont peut-être pas de permis d’enseigner au sens de la Loi sur l’école privée, mais certains établissements sont dispensés de tel permis : les écoles religieuses comme les séminaires catholiques ou les yéchivas (écoles talmudiques) et les centres de soutien scolaire.

Québec a d’ailleurs préféré régler à l’amiable (hors cour) une affaire dans ce dossier le jour même où les parties devaient comparaître devant le tribunal. Le Monopole de l’Éducation avait auparavant essuyé un échec quand il avait demandé la fermeture en urgence d’une yéchiva ouverte depuis près de 60 ans... Voir Québec ne cherchera plus à fermer une école hassidique considérée auparavant comme illégale, École orthodoxe juive en procès contre Québec pour éviter sa fermeture d’autorité.

Perquisition des « services de la protection de l’enfance » sous protection policière dans un établissement hassidique


D’ailleurs, le Monopole de l’éducation le reconnaît quand il dit par la voix de son ministre, l’inénarrable girouette Sébastien Proulx : « Il n’y a pas eu de demande de permis, il n’y a pas de demande de permis en cours, il n’y en a pas eu dans le passé. Ce n’est pas un endroit où il se donnait un programme éducatif [comprendre: c'est une yéchiva qui enseigne surtout des sujets religieux], donc ce n’est pas une école au sens du ministère de l’Éducation », a confirmé Sébastien Proulx. S’il n’y a pas d’école au sens du ministère de l’Éducation, les journalistes devraient arrêter de dire « école illégale » ou « école clandestine »... Mais on comprend que cela fait sensationnel et joue sur une fibre « laïciste » intolérante.

Nous comprenons parfaitement que l’immigration massive au Québec (55 000 personnes/an) de personnes parfois très éloignées culturellement et linguistiquement soit une cause d’angoisse pour de nombreux Québécois, mais c’est un débat différent. C’est l’immigration alors qu’il faut mieux cibler, sans doute limiter ; il ne faut pas restreindre la liberté scolaire de tous les Québécois (y compris donc les chrétiens ou agnostiques conservateurs pour parler franchement) afin de lutter contre ce bouleversement migratoire.

N’oublions pas que ce monopole éducatif s’est retourné contre les parents conservateurs depuis plus de 40 ans. Hier, c’était encore l’imposition d’un cours d’ECR qui allait faire des merveilles au niveau du vivre ensemble (nous n’en croyons rien). Aujourd’hui ce sera l’imposition d’une éducation à la sexualité qui, prétextant une lutte contre les maladies vénériennes (en fait ces programmes ont peu d’effets sur le taux de MST), inculquera une philosophie sexuelle permissive, la lutte aux « stéréotypes genrés », la théorie du genre et autres modes qui plaisent aux groupes de pression LGBT. (Voir Le cours d’éducation sexuelle ontarien évite-t-il l’augmentation du nombre de maladies vénériennes ? et Malgré l’éducation sexuelle, recrudescence des maladies vénériennes en Suède.)


Ce que les parents juifs, comme tous les autres, doivent faire, par contre, c’est d’assurer une éducation généraliste à leurs enfants. Mais rappelons que le premier responsable de l’éducation de l’enfant n’est pas l’État : c’est le parent. Selon le Code civil du Québec, l’éducation est un attribut de l’autorité parentale. En droit civil, l’éducation est à la fois un droit et un devoir pour le parent : art. 599 et 605 Code Civil du Québec (CCQ). L’enfant n’est pas sous l’autorité de l’État, mais sous l’autorité de ses parents : art. 598 CCQ. Au Québec, le parent n’a pas l’obligation de déléguer l’éducation de son enfant à un tiers (art. 601 CCQ et art. 51 de la Loi d’interprétation). C’est pourquoi le parent peut donner un enseignement à la maison, ce que l’État doit faire c’est d’aider le parent à réaliser cette obligation. Aide et non répression. On en est loin. (Pour plus de détails.) Nous n’avons pas d’objection à ce que les parents doivent informer l’État où leurs enfants reçoivent cette éducation généraliste pour peu qu’il existe une véritable liberté parentale en matière scolaire au Québec.

Pour ce carnet, le parent pourrait choisir n’importe quelle école de son choix du moment qu’elle répond à quelques exigences de base : enseignement des matières de base (certainement le français au Québec), dans des locaux sûrs et hygiéniques, sans maltraitance physique patente, sans propagande incitant à la violence, avec des évaluations des élèves dans les matières de base par un ou plusieurs organismes indépendants du gouvernement, mais reconnus par le Québec (y compris des organismes étrangers par exemple suisses, français ou belges). Les écoles ou les parents devraient pouvoir choisir l’organisme d’évaluation homologué qui les satisfait.

Pour le reste, nous sommes très réservés, par contre, sur l’imposition de pédagogie particulière aux parents ou aux écoles, sur une obligation de choisir du matériel « approuvé » par le Monopole et sur l’imposition (en partie syndicale) des seuls enseignants formés au pédagogisme québécois. Cela pour plusieurs raisons. L’une est philosophique : nous pensons qu’il est bon d’avoir plusieurs modèles d’éducation, un marché de l’éducation qui répond à des aspirations différentes, à des élèves différents, à des méthodes différentes. C’est ce que notre société accepte dans l’alimentation ou le transport, d’autres domaines aussi cruciaux que l’enseignement. Pourquoi dans le domaine de l’éducation devrait-il y avoir un monopole, si ce n’est pour modeler les enfants des autres selon le désir des gens au pouvoir ? Une autre raison est pratique : l’école québécoise forme souvent des élèves à la culture générale médiocre, c’est une école de facilité, elle place la « pédagogie dûment diplômée » au-dessus du talent confirmé des enseignants. Le monopole n’a pas débouché sur l’excellence, c’est une litote de le constater. On aboutit aussi à des cas kafkaïens comme ce professeur de latin apprécié de tous, mais qui n’ayant pas les heures de pédagogie requises se vit obligé de quitter la profession, non sans avoir d’abord appris le latin à sa remplaçante qui ne connaissait pas la matière, mais elle avait le diplôme québécois reconnu... (Voir Le nombre d’enseignants « non qualifiés » continue d’augmenter dans les écoles québécoises.)

Il y a aussi les écoles acceptées partout au Canada sauf au Québec comme l’école mennonite (surtout primaire) de Roxton Falls, mais qui ne peuvent fonctionner en tant qu’école « au sens du ministère de l’Éducation » principalement parce que, dans ce cas-ci, l’école n’accepte pas les enseignants qui ne sont pas mennonites. Or ces mennonites n’envoient plus (depuis une quarantaine d’années) leurs jeunes aux collèges et universités de formation d’enseignants, car ils désapprouvent, notamment, le climat antichrétien, selon eux, qui règne dans ces établissements. Est-ce que cela veut dire que ces écoles forment de mauvais citoyens, incultes, improductifs ? Rien n’est en fait moins sûr : les jeunes Québécois sont peu cultivés, les mennonites sont relativement prospères, leurs jeunes passent sans difficulté les épreuves du Monopole de l’Éducation, adultes ils répugnent à toucher le chômage. Notons enfin que la meilleure école primaire en Colombie-Britannique 2011 était une école des mormons polygames qui aurait très probablement été déclarée illégale (chair de poule) et clandestine (frissons dans le dos) au Québec.

Qu’est-ce que le Québec gagne à être aussi peu souple ?

La question n’est pas pour nous que les écoles juives doivent respecter la loi (de toute façon, aucun juge n’a dit que ces écoles religieuses étaient illégales), mais plutôt d’assouplir la loi et les règlements en la matière alors que cette rigidité ne comporte guère d’avantages et prive ainsi le Québec d’une plus grande diversité d’écoles, de pédagogies et d’enseignants. Bref, ce que nous choyons habituellement dans d’autres domaines : la concurrence, la liberté de choix et la souplesse.

Voir aussi

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Compulsory Education in the United States

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3 commentaires:

  1. Le Devoir enrage :

    L’école juive qui a fait l’objet d’une intervention du Directeur de la protection de la jeunesse (DPJ) mercredi a beau être clandestine, ni le DPJ ni le ministère de l’Éducation n’ont le pouvoir de la fermer. Les enfants étaient donc de retour en classe jeudi, même si leur directeur n’a toujours aucune intention d’aller chercher un permis au ministère.

    « Notre école est une école religieuse, nous ne donnons qu’une éducation religieuse. Nous n’avons aucune obligation comme école de donner une formation autre que celle que nous donnons. C’est pour cette raison que nous n’avons pas de permis du ministère, car nous n’en avons pas besoin », répond le directeur de l’école clandestine de la rue du Parc, Hershber Hirsch, en entrevue au Devoir.

    L’opération du Directeur de la protection de la jeunesse mercredi a mis l’école sous le feu des projecteurs, créant des remous jusqu’à l’Assemblée nationale. Mais le directeur ne craint pas d’être contraint de fermer pour autant. « Non, répond-il au bout du fil. Nous avons le droit de donner une instruction religieuse, tout est légal. »

    Il dit être en contact et vouloir collaborer avec les différentes instances — le DPJ et le gouvernement — pour « offrir la meilleure éducation à nos enfants ». Mais cela ne se fera vraisemblablement pas entre les murs de son école, qui ne porte aucun nom et dont la porte d’entrée est dissimulée dans la cour d’un débosseleur derrière une clôture de barbelés.

    En effet, Hershber Hirsch n’envisage pas d’ajouter des cours de mathématique ou de français au cursus religieux de son école.

    Quant à savoir où les enfants doivent apprendre à faire des calculs de base s’ils passent toute la journée, cinq jours par semaine, à apprendre la Torah, le directeur se dégage de toute responsabilité. « C’est une affaire qui concerne les parents. »

    Problème de juridiction

    Le DPJ a beau avoir mené une intervention musclée mercredi, lors de laquelle une douzaine d’intervenants sont entrés dans l’édifice avec la police, celui-ci ne dispose d’aucun moyen pour fermer l’école, et ce, bien qu’il soit chargé de s’assurer que chaque enfant reçoit l’éducation à laquelle il a droit.

    « Il y a deux choses qu’il faut séparer, explique la porte-parole Claire Roy. Le DPJ ne s’occupe pas des écoles. S’il y a une école qui doit fermer, c’est le ministère de l’Éducation [qui s’en occupe]. Le mandat du DPJ, c’est de s’occuper de la sécurité et du développement des enfants. »

    Au ministère de l’Éducation, on se décharge également de toute responsabilité. « On ne peut pas faire fermer cette école-là parce que ce n’est pas une école au sens du ministère de l’Éducation [puisqu’elle n’a pas de permis] », répond Brian St-Louis.

    Même le ministre Sébastien Prouxl reconnaît n’avoir aucune emprise sur les écoles clandestines. « Actuellement, un enfant qui n’a pas de code permanent [à la suite de son inscription dans une école] n’existe pas au ministère de l’Éducation. » Ce dernier affirme qu’il faudrait travailler avec l’état civil pour « identifier ceux qui ne sont pas dans notre système […] pour faire un dénombrement ». Il dit vouloir présenter « très rapidement » une façon d’encadrer les jeunes qui ne sont pas dans le système éducatif.

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  2. Suite:


    Négociations avec l’école

    D’ici là, le DPJ retournera à l’école clandestine de la rue du Parc pour évaluer les enfants dans deux semaines, confirme le directeur de l’école, Hershber Hirsch. Cela n’a pas été fait mercredi, malgré le fait que les agents du DPJ sont restés plusieurs heures à l’intérieur de l’école. Ces derniers voulaient parler aux enfants, mais l’avocat de l’école les en a empêchés. « Nous sommes intervenus avant qu’ils aient la chance de parler aux enfants, répond M. Hirsch. Nous avons négocié pour que cela se fasse dans les meilleures conditions possible et avant qu’ils ne partent hier [mercredi], nous avons réussi à nous entendre pour que cela se fasse dans deux semaines, sans la police. Ils pourront faire leur travail. »

    Ce dernier refuse de préciser quelles sont les demandes exactes du DPJ. Mais il dit agir, depuis avril dernier, à titre de « médiateur » entre les parents et le DPJ.

    Quant au Directeur de la protection de la jeunesse, il s’est borné à produire un communiqué de presse laconique qui ne précise ni la nature de l’intervention ni le nombre d’enfants concernés. « L’objectif ultime du DPJ est de rencontrer les enfants afin d’évaluer si leur sécurité ou leur développement est compromis. »

    Suivi

    Au cabinet de la ministre déléguée à la Protection de la jeunesse, on précise que dans ce genre de cas, le DPJ intervient généralement auprès des parents pour leur expliquer qu’il faudrait envoyer l’enfant dans une école régulière ou faire l’éducation à la maison. « C’est le DPJ qui va faire ce suivi-là, mais ça dépend de la décision qui sera prise, explique Bianca Boutin. Si [il juge que] le développement n’est pas compromis, le DPJ pourrait fermer le dossier. »

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  3. Moi j'aime beaucoup la thématique utilisée par les athées qui veulent décider à la place des parents juifs : « ces filles juives ne pourront réaliser toutes leurs ambitions ».

    Comme si les jeunes filles québécoises à qui l'école athée du monopole n'offre comme horizon que le sexe facile, l'hédonisme, le féminisme militant et le travail comme salariée comme seul rêve allaient pouvoir réaliser toutes les ambitions (des parents juifs, puisqu'il s'agit d'imposer à une culture les ambitions d'une autre culture).

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