dimanche 8 mai 2016

Histoire — Léon XIII crut apaiser l’anticléricalisme républicain par le ralliement, au nom d’un “réalisme” chimérique

L’historien italien Roberto de Mattei raconte comment Léon XIII crut apaiser l’anticléricalisme républicain par le ralliement, au nom d’un “réalisme” chimérique.

Lorsque Léon XIII est élu pape en 1878, la IIIe République est en train de mettre en place sa politique anticatholique : la “République des républicains” est aussi une “République du Grand Orient” dont le but est, dit Ferdinand Buisson, de créer une « religion laïque » pour « libérer les consciences » du christianisme, ce “phylloxera” des esprits selon Paul Bert. Pourtant, le nouveau pape rompt avec la politique de ses prédécesseurs : à l’affrontement, il préfère la diplomatie et croit fermement qu’il n’est aucune opposition qui ne puisse être surmontée par un dialogue sincère et généreux. Il a aussi une obsession : recouvrer les États pontificaux, confisqués par l’Italie en 1870. On ne comprend pas le ralliement sans ce souci brûlant, qu’il ne pensait pouvoir mener à bien sans une alliance avec la France. La réconciliation avec la IIIe République est donc avant tout un impératif diplomatique. Pour lui, l’hostilité de celle-ci n’est qu’une conséquence de l’opposition des catholiques à la forme républicaine du gouvernement : convaincre les catholiques français d’abandonner leur attachement à la monarchie, c’est donc se réconcilier immanquablement avec le pouvoir.

Laïcisation brutale de l’instruction, dissolution des Jésuites, mise sous tutelle des congrégations, expulsion des milliers de religieux qui ne voulurent pas s’y soumettre : les catholiques français avaient pourtant de solides raisons de s’opposer à une République dont l’anticatholicisme constituait le cœur idéologique. On comprend leur atterrement lorsque Léon XIII, en 1892, préconisa le ralliement à la République par l’encyclique Au milieu des sollicitudes. Deux jours plus tôt, Clemenceau avait pourtant réaffirmé avec force qu’entre la République et l’Église, « la lutte est engagée : il faut qu’elle se poursuive. L’avenir dira le vainqueur ».

L’avenir dit clairement, en tout cas, que malgré l’effondrement du parti monarchiste français consécutif à sa condamnation par Léon XIII (des fidèles se voyaient refuser l’absolution pour “péché de monarchie”), le ralliement n’empêcha pas l’anticléricalisme de s’intensifier. Il culmina avec Émile Combes, qui imposa une seconde vague d’expulsions aux congrégations à partir de 1903, l’année même de la mort de Léon XIII, qui ne sera donc pas témoin du démenti le plus cinglant à sa politique d’apaisement : la crise des inventaires et la dénonciation du Concordat. Pie X, lui, imposa sans délai une politique de combat qui obtint des résultats immédiats, la République renonçant à appliquer la loi de 1905 dans toute sa dureté, pour éviter de créer des martyrs. Aristide Briand lui rendit cet hommage : « C’est le seul qui ait vu clair […] et qui travaillait pour l’avenir. »

Dans un ouvrage limpide et étayé sur de nombreux documents inédits, Roberto de Mattei met en lumière les paradoxes de Léon XIII : un pape à l’enseignement antilibéral (la plupart de ses 86 encycliques sont des condamnations des idées modernes) mais à la pratique libérale, d’accommodement avec les adversaires de l’Église ; un pape qui publia des textes sans appel contre la maçonnerie et ses prétentions à « la séparation absolue de l’Église et de l’État », et qui pactisa avec une République qui ne cachait aucunement ses affiliations avec les loges, ce qui revenait, comme le notait le cardinal Masella, « à vouloir réconcilier le diable avec l’eau bénite » ; un pape qui, au nom du réalisme, condamna une restauration qu’un parti monarchiste puissant rendait encore possible, dans l’espoir d’obtenir une restitution des États pontificaux, qui était une pure chimère ; un pape qui n’avait pas été partisan de l’infaillibilité pontificale mais en réalisa une spectaculaire extension, en imposant brutalement aux catholiques une obéissance sans faille à des positions qui, étant purement politiques, ne relevaient pourtant pas du domaine du magistère infaillible. Ne serait-ce que sur ce dernier point, on le voit, l’ouvrage remarquable de Roberto de Mattei n’est pas seulement un livre d’histoire mais un utile outil de réflexion pour aujourd’hui.


Source

Le Ralliement de Léon XIII,
L’échec d’un projet pastoral,
de Roberto de Mattei,
aux éditions du Cerf,
paru à Paris,
le 22 janvier 2016,
480 pages,
29 €.
ISBN-13: 978-2204105552

Voir aussi

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