mercredi 6 avril 2016

Comment la monogamie a fait de nous des humains

Le numéro 50 d’Égards est paru, extrait de celui-ci.

Recension de Marriage and Civilization: How Monogamy Made Us Human, note établie par Barbara Kay.

Un seul homme et une seule femme ayant présidé aux destinées du paradis terrestre, il n’est pas déraisonnable de conclure que le Dieu hébreu estimait que la monogamie était la norme pour l’humanité. Pourtant Abraham et ses descendants ont pratiqué la polygamie, le modèle matrimonial retenu par 75 % de toutes les cultures recensées par les historiens.

Si la monogamie est un modèle que la civilisation occidentale tient pour acquis, il faut en remercier Jésus et l’antique Athènes. En plus d’être la première démocratie, Athènes fut la première société à privilégier la monogamie et à rendre honteux le fait de divorcer. Et, selon le journaliste William Tucker, auteur de Marriage and Civilization, le christianisme, par suite de son opposition acharnée à la polygamie, a été « la force la plus puissante pour instituer la monogamie au sein de la civilisation occidentale ».

Toutes les sociétés sont imparfaites, affirme Tucker, mais les sociétés les moins imparfaites, c’est-à-dire les plus susceptibles de faire la guerre de manière intermittente plutôt que constante, pratiquent la monogamie.

La monogamie crée un climat favorable aux efforts des communautés humaines en « optimisant la réussite individuelle de chacun des membres de la société sans compromettre l’intégrité du tissu social » plutôt qu’en maximisant la réussite de quelques-uns au sommet de la hiérarchie sociale, comme dans le cas de la polygamie.

Pour démontrer que la grande faiblesse des sociétés polygames est l’inaptitude de ses membres à maintenir des relations de bon voisinage, Tucker s’inspire de nombreuses études dans les domaines de la biologie, de l’anthropologie et de l’histoire de l’évolution humaine. « Partout où elle est pratiquée, la polygamie suscite des conflits », écrit Tucker. Dans les sociétés polygames, les hommes « passent la plus grande partie de leur temps à se battre entre eux pour obtenir des femelles ». Les incursions dans les tribus voisines deviennent pour eux pratique courante (« Le pillage est notre agriculture », dit un vieux proverbe arabe).

Nos proches ancêtres du paléolithique étaient des chasseurs-cueilleurs qui concevaient la monogamie comme une mode pratique de répartition du travail et l’égalitarisme comme une méthode de partage de la nourriture au sein de la collectivité. N’ayant pas de motif valable de guerroyer pour des ressources, ils étaient relativement pacifiques. Puis vinrent les agriculteurs, qui les évincèrent. Avec l’agriculture apparut une différenciation dans les ressources, la richesse et le statut social. Plus d’épouses, plus de main-d’œuvre et un statut social plus élevé. D’où l’attrait de la polygamie.

Mais « la marque distinctive d’une société polygame est une pénurie chronique de femmes ». Les hommes ayant un statut élevé pouvaient acquitter le prix de plusieurs femmes, mais les hommes de rang inférieur peinaient à en trouver une seule. Lorsque les mâles dominants peuvent avoir autant de femmes qu’ils en veulent, les hommes se méfient invariablement les uns des autres et deviennent obsédés au sujet des femmes, ce qui crée un climat nuisible à une franche collaboration.

Quand il y a pénurie de femmes, les hommes au bas de l’échelle sociale sont instables. On peut décider d’en faire des eunuques : c’est la solution retenue par l’Empire ottoman où florissaient les harems. On peut aussi, conformément à la tradition wahhabite, « les transformer en assassins et terroristes destinés à la guerre sainte ». D’autres — et c’est une autre tendance inquiétante des sociétés polygames — iront à la chasse aux épouses parmi les filles n’ayant pas atteint l’âge de la puberté ; d’où la barbarie des mariages d’enfants (Tucker mentionne notamment que, dans une société monogame, « le tabou de l’inceste ne s’applique pas seulement aux filles par rapport à leur père, mais s’étend généralement à toutes les jeunes femmes de l’âge de leurs filles »).

Qu’il s’agisse de communautés d’agriculteurs, de cueilleurs nomades (mongols ou mormons), presque toutes les sociétés polygames se sont heurtées à des problèmes de violence interne ou de contestation incessante de leurs frontières. À cet égard, l’histoire islamique fait l’objet d’une analyse très serrée, voire provocante, surtout dans une conjoncture historique aussi sensible que la nôtre. Tucker soutient en effet qu’« en tant que civilisation, l’Islam s’est révélé incapable de vivre en paix avec lui-même ou avec les autres ».

Évoquant les guerres impitoyables de Tamerlan et de Gengis Khan, Tucker conclut : « Historiquement, les civilisations guerrières ont trouvé des échos sympathiques au sein de l’islam. » Selon Tucker, le fait que le Coran non seulement tolère la polygamie, mais, contrairement à la Bible, recommande qu’un homme ait jusqu’à quatre épouses n’est pas dû au hasard. À l’appui de cette thèse, il convient de signaler que les Druzes, une secte islamique pacifique et la seule variante de l’islam où la monogamie est de règle vivent en harmonie aussi bien avec les communautés musulmanes qu’israéliennes (les Druzes constituent la seule communauté musulmane représentée au sein de la Force de défense israélienne où ils se sont distingués à plusieurs reprises).

Marriage and Civilization est le genre de livre qui saisit et comble le lecteur — comme lorsqu’on voit un corps humain parfaitement proportionné surgir d’un bloc de marbre grâce aux infaillibles coups de ciseau d’un sculpteur. Tucker affirme qu’il a mis dix ans à le rédiger, ce qui paraît raisonnable compte tenu de la profondeur de son analyse, en particulier en ce qui a trait au corpus littéraire occidental.

Selon Tucker, l’Odyssée a été le premier « hymne à la monogamie » puisque son héros, Ulysse, après avoir refusé une vie éternelle en compagnie de la déesse Calypso, cherche par tous les moyens à retrouver sa femme bien-aimée, Pénélope, un modèle de vertus conjugales qui inspira pendant des siècles toutes les sociétés monogames.

Qui inspira ! Les derniers chapitres du livre de Tucker sur la famille moderne sont très éclairants. Nos élites sociales et culturelles sont attachées à la monogamie parce qu’elles connaissent d’instinct ses avantages [Voir Charles Murray]. Toutefois, pour des raisons d’ordre idéologique, elles encouragent les hommes et les femmes au bas de l’échelle sociale à pratiquer une « polygamie d’État » (l’État remplaçant le père absent pour les familles dites monoparentales) dont les effets délétères sur les hommes, les femmes et les enfants sont criants.

Si vous vous intéressez aux cultures, à leur évolution, voire à leur dissolution, ne manquez pas de lire cet important ouvrage.



Marriage and Civilization: How Monogamy Made Us Human,
par William Tucker,
paru 2014,
chez Regnery Publishing,
à Washington, 
256 pages
ISBN-13: 978-1-621-572-015




1 commentaire:

  1. Cela à l'air très intéressant, voici une autre recension.

    Tucker is a brave man, to have put forward a thesis like this. Every feminist will hate it. So will every slacker father.

    Nevertheless, unpalatable as it may be to some, he's right.

    At least he's right that monogamy works best, for civilizations, for mothers, and certainly for children. As to whether or not his theory that hunter/gatherers were monogamous, and the agricultural societies that replaced them polygamous, I don't know.

    He points out that "As explorers pushed...into the forgotten corners of the world...they discovered...tribes that were still practicing hunting and gathering....All turned out to be monogamous" (p 18). He also found that polygamy fostered war. Bands of unattached men turn violent.

    All known societies have formed marriages. It is only the current western society which has tossed even the barest form of marriage aside, leaving us with countries in Europe with illegitimacy rates of over 50%. This is a situation unparalleled in history, so there is no way to predict the consequences.

    What we do know, from something like a century of research into single parenting, is that a child raised in a single parent household is at a severe disadvantage.

    Here's what some of the research shows:

    Children raised by a single parent are much more likely to be emotionally disturbed (especially boys), and, alarmingly, this continues throughout their lives.
    Children raised by a single parent graduate from both high school and college in much smaller numbers, and, once again, especially boys.
    Children of single mothers experience reading and school problems in much much higher numbers.
    Children of single mothers are far less likely to take advanced classes.
    Children of single mothers have more problems with drugs and alcohol and sexual promiscuity.
    Children of single mothers are much less likely to experience success in later jobs.
    Children of single mothers rarely qualify for gifted classes. And when they do, it is usually at a much lower level than those children from married parents.
    Children of single mothers are all too likely to end up in 'problem' kid classes or special ed classes and twice as likely to be suspended or expelled from school.
    Children of single mothers cause nearly all the disturbances in school, especially boys.
    Children of single parent households are twice as likely to be arrested, and comprise some 80% of the prison population.
    Children of single mothers are twice likely to be treated for emotional and behavioral problems
    Children of single mothers are twice as likely to drop out of high school.
    "Children raised by a single mothers commit 72 percent of juvenile murders, 60 percent of rapes, have 70 percent of teenaged births, commit 70 percent of suicides and are 70 percent of high school dropouts.
    Controlling for socioeconomic status, race and place of residence, the strongest predictor of whether a person will end up in prison is being raised by a single parent.

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