vendredi 18 décembre 2015

Les enfants non religieux sont-ils vraiment plus altruistes ?

Il y a quelques semaines, une dépêche de presse a fait le tour des salles de rédaction. « Les enfants religieux sont plus méchants que leurs camarades non religieux », titrait le Guardian, journal de gauche britannique de référence. « Les enfants religieux sont des connards », délirait pour sa part le Daily Beast.

Des centaines d’autres journaux reprirent la même nouvelle : Le Monde, Radio Canada, The Economist, Forbes, le Journal de Québec, le Los Angeles Times, Le Soir de Bruxelles, The Independent de Londres. Tous ces articles étaient basés sur une note de recherche de quatre pages et demie publiée dans Current Biology par le professeur Jean Decety, un franco-américain, et six de ses collègues.

L’unanimisme et l’amateurisme de la presse dominante





En se basant sur les résultats de cette étude, l’ineffable « doc » Mailloux n’a pas hésité à déclarer, dans son émission au 106,9 FM en Mauricie, que les enfants provenant de familles croyantes sont « inférieurs ».


Mais quelles sont les preuves qui étayeraient ces titres sensationnalistes ? Cette étude confirme-t-elle d’autres études ? Vaut-elle tout le battage médiatique qui a entouré sa parution ?

 L’unanimisme et l’amateurisme de la presse dominante (suite)



En réalité, ce projet a été mal conçu et l’analyse des données a été bâclée. Leurs auteurs n’ont fait aucun effort ni pour tester d’autres hypothèses ni pour atténuer les lacunes dans la conception de leur travail de recherche. Leurs résultats contredisent la grande majorité des autres recherches sur le sujet. Enfin, les chercheurs surinterprètent les données avant que les journalistes n’en fassent goulûment de même et s’aventurent bien au-delà de ce que les universitaires affirmaient.

Mais, afin que les choses soient claires, voyons d’abord ce qu’affirme l’étude et quelle est sa méthodologie.

L’étude, publiée dans le magazine Current Biology, a été menée auprès d’un échantillon non aléatoire de 1170 enfants de 5 à 12 ans provenant de 6 pays différents (le Canada, la Chine, la Jordanie, la Turquie, les États-Unis et l’Afrique du Sud).

Les enfants ont été divisés en trois groupes différents soit ceux dont les parents sont non religieux, ceux dont les parents sont chrétiens et finalement ceux dont les géniteurs sont musulmans. Les chercheurs n’ont jamais demandé aux enfants s’ils étaient religieux ou non.

Dans l’expérience principale, les chercheurs leur ont remis 30 autocollants et leur ont demandé de choisir leurs 10 préférés en leur mentionnant qu’il n’y en aurait pas assez pour tous leurs camarades.

Les universitaires ont ensuite dit aux enfants que l’on manquait de temps pour terminer l’expérience avec les autres enfants, mais que s’ils étaient prêts à donner certains de leurs autocollants, les chercheurs les distribueraient à leurs camarades moins chanceux. Les universitaires ont alors compté le nombre d’autocollants que les écoliers ont rendu et ont utilisé ce chiffre comme mesure de l’altruisme de ces enfants.

Les auteurs de l’étude ont comparé le nombre d’autocollants que les enfants issus de foyers religieux rendaient et l’ont comparé au nombre rendu par les enfants issus de foyers non religieux.

Les écoliers non religieux ont donné davantage d’autocollants (0,86 autocollant de plus pour être exact). Tout ce ramdam médiatique porte donc sur une fraction de vignette (sur dix).

Malgré la grande diversité de participants regroupés dans cet échantillon transnational (par exemple le Canada et la Jordanie) et les nombreux facteurs qui peuvent influer sur la générosité des enfants dans une telle diversité de contextes (notamment la pauvreté), les chercheurs ont supposé que la seule différence entre les écoliers issus de familles « religieuses » et ceux de familles « non religieuses » était la religion[1]. C’était faire une grosse hypothèse.

Dans la deuxième expérience, les chercheurs ont présenté une série de scénarios où un enfant en poussait un autre et commettait d’autres « préjudices interpersonnels ». Les étudiants religieux considéraient ces comportements comme plus « méchants » que les enfants non religieux. Les enfants de familles musulmanes recommandaient des punitions plus sévères pour ces mauvaises actions que les enfants non religieux. Les punitions recommandées par les enfants de famille chrétienne ne se distinguaient pas de celles proposées par les enfants de familles non religieuses.

Étrangement, dans la conclusion de l’article et dans la plupart des articles de presse, les différents auteurs affirment que les enfants « religieux » étaient « plus méchants », « plus sévères » ou « plus vindicatifs » sans préciser que seuls les enfants musulmans l’étaient (si tant est que l’échantillon était représentatif des enfants de familles musulmanes en général). Les chercheurs n’ont pas interprété le souci des enfants religieux envers les personnes qui avaient été poussées ou blessées par un autre enfant comme un signe d’altruisme, mais l’ont considéré comme vindicatif.

Les auteurs n’ont pas plus ajusté leurs évaluations de la sévérité des peines pour prendre en compte l’interprétation de la gravité des infractions du point de vue des enfants : si ces enfants considèrent que pousser quelqu’un n’est pas grave, ils seront bien évidemment enclins à plus de clémence envers les auteurs de ces impolitesses. Ils n’ont pas plus conclu que les enfants de familles chrétiennes étaient miséricordieux malgré le fait qu’ils considéraient ces actes d’incivilités comme plus mesquins que les écoliers de familles non religieuses alors qu’ils ne demandaient pas de punitions plus sévères que leurs camarades non religieux.

Dans la troisième expérience, les chercheurs ont demandé aux parents à quel point leur enfant est empathique et sensible à l’injustice. Les parents religieux ont classé leurs enfants comme plus empathiques et sensibles à l’injustice que les parents non religieux. Les chercheurs ont considéré ces témoignages comme de l’aveuglement parental et décidé que leur expérience avec les autocollants permettait de mieux capter l’empathie et la sensibilité des enfants que, d’une part, la préoccupation de l’enfant pour les enfants qui ont été poussés et, d’autre part, toute une vie de parents remplie d’expériences. Les chercheurs auraient pu demander à un enseignant ou d’autres élèves d’évaluer l’empathie et la sensibilité des enfants (comme évaluation extérieure), mais ils ne l’ont pas fait.

Dans la première et la troisième expérience, une différence entre les enfants de familles religieuses et non religieuses demeure après ajustement pour l’âge, le pays et une mesure approximative du niveau d’instruction de la mère[2]. L’effet de la religion sur le don d’autocollants devient sans doute plus petit une fois ces facteurs pris en compte, mais il est difficile de déterminer l’ampleur de cette réduction parce que les auteurs passent à des coefficients standardisés sans fournir d’écarts-types. Ainsi, nous ne savons pas ce que veut dire en termes d’autocollants cette phrase absconse de l’étude : « un changement d’écart-type dans l’identité religieuse correspond à un changement de -0,15 d’écart-type de dons d’autocollant ». On ne peut donc pas traduire ces coefficients en unités compréhensibles. Avant d’ajuster les valeurs en prenant en compte l’âge, le pays et le niveau d’éducation de la mère, les écoliers de familles religieuses donnaient 0,86 autocollant de moins ; après ajustement les enfants de familles religieuses donnent peut-être 0,20 autocollant de moins, mais dans les deux cas la différence est peu importante.

Tant dans la conclusion de l’étude que dans les articles de presse, les auteurs et les journalistes n’ont indiqué que la différence entre les écoliers issus de familles religieuses et non religieuses avant ajustement et aucun des articles recensés ne soulignait le peu d’importance de cette différence, à savoir moins d’un autocollant. Les auteurs ne précisent pas si, dans la seconde expérience, la différence dans « l’esprit vindicatif » entre les enfants « religieux » et « non religieux » demeure significative après ajustement pour l’âge, le pays et le niveau d’instruction de la mère, probablement parce que ce n’est pas le cas.

Les chercheurs ont conclu que ces trois expériences indiqueraient que les personnes religieuses se penseraient plus serviables alors qu’en réalité ils sont « moins serviables » et « plus vindicatifs ». Au cours d’entrevues avec des journalistes, Decety explique que si les gens pensent qu’ils sont plus moraux, ils se permettent d’être plus immoraux. Ainsi, penser qu’on est moral serait préjudiciable.

Decety prétend également que sa recherche démontre que la sécularisation est une bonne chose : « ... la sécularisation du discours moral ne réduit pas la bonté humaine. En fait, elle produit exactement le contraire. » Ces deux affirmations sont relativement générales et peu étayées par les données. Nous ne savons pas si les enfants se croient plus moraux, uniquement que leurs parents les pensent plus empathiques et sensibles à l’injustice. Nous ne savons pas pourquoi les enfants de familles religieuses ont donné un peu moins d’autocollants (ni même si cette association est causale), encore moins s’ils ont agi moins « moralement » parce qu’ils se pensent moraux. Les universitaires n’ont pas plus étudié l’effet de la sécularisation sur la bonté.

Les articles dans la presse populaire extrapolent encore plus. Un article paru dans The Mirror affirme que « les enfants des athées sont plus aimables et plus tolérants » — bien qu’il soit peu probable que les 28 pour cent de parents de l’échantillon identifiés comme « non religieux » soient tous des athées. Radio-Canada a commis la même généralisation abusive : « Athée et plus altruiste qu’un religieux ». Un article dans Forbes prétend que la recherche démontre que les personnes religieuses sont « moins morales » et que « l’histoire étaye la preuve scientifique que les laïcs sont plus moraux ». Visiblement pour ce journal une fraction d’autocollants (0,86 sans ajustement !) l’emporte sur les millions de morts d’Hitler et de Staline. Le Monde s’est également aventuré à prétendre que l’histoire prouvait la véracité de cette étude (sans considérer, notamment, les intérêts financiers des uns et des autres).

La plupart des comptes rendus dans la presse supposaient que la relation entre religion et légèrement moins d’autocollants rendus est causale. Aucune des dizaines d’articles de la presse grand public n’a mentionné la moindre étude précédente sur le même sujet ni interviewé un universitaire qui aurait un point de vue différent. Tous les articles de presse lus se félicitaient de cette étude au point de s’époumoner parfois en éloges. Il est clair que cette petite note de recherche allait dans le sens de ce que de nombreux journalistes voulaient entendre et voulaient diffuser. Visiblement, aucun d’entre eux n’a trouvé nécessaire ni de faire une petite recherche sur Google pour voir ce que la recherche publiée affirmait sur le sujet ni d’interroger n’importe quel spécialiste universitaire dans ce domaine.

Penchons-nous maintenant en détail sur cette étude et évaluons-la. Peut-on la prendre au sérieux ?

Pour ce faire, nous poserons six questions.



1) Est-ce que cette étude traite et explique suffisamment les études déjà publiées sur ce même sujet ? Non.

Il existe des dizaines d’articles et de livres sur la relation entre la religion et l’altruisme. La grande majorité de cette recherche montre que les gens religieux sont plus altruistes que les personnes non religieuses. Une grande partie de cette littérature scientifique est basée sur de l’auto-évaluation, mais une partie est fondée sur l’observation discrète de participants. Une grande partie de cette recherche provient également d’échantillons aléatoires de grande qualité. Cependant, la preuve dans la relation entre la religion et de l’altruisme est complexe, c’est pourquoi il faut se pencher sur ces preuves en fonction de leur nature.

Premièrement, comme l’article et la plupart des articles de presse l’affirment, il existe une croyance populaire répandue qui veut que les gens religieux soient plus serviables. Cependant, Decety et ses collègues rejettent du revers de la main cette preuve. Cela suppose que la plupart des gens sont dupes. Si les gens religieux étaient en réalité nettement moins généreux que les « laïques », on comprend mal pourquoi la perception dans la population indiquerait le contraire d’autant plus que les gens interagissent avec eux régulièrement (contrairement aux universitaires et aux journalistes qui, en général, fréquentent peu les gens religieux).

Deuxièmement, les enquêtes montrent systématiquement que les gens religieux donnent plus de temps et d’argent à des œuvres et causes tant religieuses que non religieuses dans des cadres formels et informels. La plupart de ces éléments de preuve sont fournis par les donateurs. Mais pas uniquement, voir les statistiques fournies, année après année (voir ici et ), par Statistiques Canada.

Decety et ses collègues suggèrent que cette relation entre don et religion s’explique entièrement par le biais de désirabilité sociale, c’est-à-dire que les gens très religieux exagèrent plus leur propension à donner que les gens non religieux ne le font parce qu’on s’attend à ce que des gens religieux disent donner plus. Il est possible qu’il existe un certain biais de désirabilité sociale, mais ni Decety et ses collègues, ni l’unique article sur le sujet qu’ils citent, ne fournissent de preuves concrètes que l’association entre la religion et cette générosité autodéclarée est entièrement provoquée par le biais de désirabilité sociale. Ils le supposent. C’est une supposition de poids.

Certaines des recherches basées sur des enquêtes sur l’altruisme essaient de mesurer et d’éliminer les biais de désirabilité sociale, elles trouvent malgré tout une relation entre la religiosité et l’altruisme. Le type de religion que les gens professent et les raisons pour lesquelles ils sont religieux prédisent, entre autres facteurs, leur comportement altruiste (ou non). De toute évidence, si toutes ces corrélations sont uniquement dues au biais de désirabilité sociale, toute la recherche est dans le pétrin. Il est difficile de concevoir un projet de recherche intéressant où certaines réponses ne sont pas considérées comme plus désirables socialement par certaines personnes sondées. Les auteurs supposent-ils que toutes les recherches par sondage sont vaines ou n’aiment-ils tout simplement pas les résultats de ces enquêtes qui établissent un lien entre religiosité et altruisme ?

Troisièmement, les études de laboratoire fondées sur des jeux trouvent typiquement qu’il n’existe pas de relation entre la religiosité et la générosité ou une relation positive faible. Ces études sont généralement réalisées avec des étudiants, souvent en psychologie ou en économie, et fréquemment en Europe. On ne sait pas si le comportement des participants dans ces jeux expérimentaux correspond au comportement altruiste de ces personnes dans la vraie vie, ni si le comportement de ces étudiants en psychologie correspond à celui des gens en général. Un contexte ludique peut, par exemple, altérer le comportement : nous connaissons tous des gens qui aiment les jeux vidéo violents et qui tuent avec joie des gens devant leur console de jeu, mais qui — heureusement — ne sont habituellement pas violents dans la vie réelle. En outre, ce type de jeux est souvent utilisé en classe de psychologie, il est donc difficile de savoir si les étudiants les connaissent et s’ils connaissent le but du jeu alors qu’ils le jouent. Même si l’on suppose que ces jeux de laboratoire imitent parfaitement les réactions des gens dans la vraie vie (ce qui est douteux), ces expériences en laboratoire ne suggèrent pas une relation négative entre la religion et l’altruisme, mais uniquement une corrélation nulle ou légèrement positive.

Aucun type de recherche ne suggère une relation négative entre la religion et l’altruisme.

Enfin, et c’est sans doute le plus convaincant, l’observation discrète du comportement des gens dans la vie réelle suggère une relation positive entre la religion et la générosité tant sur le plan sociétal qu’individuel. Ces observations suggèrent également que les chrétiens, en particulier les protestants, sont plus susceptibles de participer à des œuvres charitables structurées. C’est ainsi qu’au Japon quasiment tout le travail bénévole auprès des sans-abri est le fait d’organisations religieuses, en grande majorité chrétienne, malgré le fait que les chrétiens ne forment qu’une infime minorité dans le pays. De même, dans des pays comme les États-Unis, la grande majorité des organisations bénévoles humanitaires et des écoles privées ont été mises en place par des associations ou des personnes religieuses. Ces faits semblent peu conciliables avec une théorie qui voudrait que les gens religieux soient moins généreux de leur temps et de leur argent que les personnes non religieuses.

Une tendance similaire s’observe sur le plan individuel. C’est ainsi que lorsque des universitaires mènent des enquêtes, les enquêteurs demandent souvent d’évaluer à quel point les personnes sondées ont été gentilles et coopératives. Dans le cadre de sa thèse, Robert Woodberry a analysé chaque enquête qui fournissait ce type de renseignements sur laquelle il a pu mettre la main. Il a découvert que les enquêteurs trouvaient que les gens hautement religieux étaient nettement plus serviables et coopératifs que les personnes non religieuses et que ceux qui avaient refusé de participer lors d’une première approche étaient considérablement moins religieux que ceux qui ont accepté de participer dès ce premier contact. Ceci suggère que, dans la vie ordinaire, les gens religieux sont plus généreux de leur temps que ceux qui sont non religieux. Par ailleurs, les personnes sondées étaient contactées discrètement et sans que leurs proches ne soient au courant, la plus grande serviabilité des personnes religieuses dans ce domaine ne peut donc pas s’expliquer par le qu’en-dira-t-on ou la pression sociale.

Ainsi, la plupart des recherches effectuées hors des laboratoires suggèrent une forte corrélation positive entre la religion et le comportement altruiste alors que la recherche en laboratoire basé sur des jeux suggère une corrélation neutre ou faiblement positive entre la religion et la générosité. Aucune recherche ne suggère une relation négative entre la religion et le comportement d’aide. L’étude de Decety et ses collègues est statistiquement aberrante et très marginale. Si les journalistes s’étaient donné la peine d’interroger n’importe quel chercheur dans ce domaine, ce spécialiste le leur aurait probablement dit la même chose.

2) Cette note de recherche a-t-elle été publiée dans une revue érudite spécialisée à comité de lecture par des paires qui peuvent détecter les erreurs importantes ? Non.

L’article a été publié dans la revue Current Biology malgré le fait que l’article ne se focalise sur aucun aspect biologique et qu’aucun des auteurs n’est biologiste. Cela semble bizarre. Peut-être la publication de cet article dans un journal de biologie a-t-elle permis aux auteurs d’éviter que des universitaires spécialistes de la question ne le scrutent de trop près. Des spécialistes dans le domaine de la religion et de l’altruisme auraient sans doute forcé les auteurs à faire un meilleur travail en les obligeant, notamment, à mieux mesurer la religiosité, d’éliminer des biais, d’aborder d’autres explications plausibles et, au strict minimum, de rappeler le résultat des études précédentes.

Écrire un article en se fondant principalement sur des « tests T » à partir d’un échantillon hétérogène non aléatoire est peut-être acceptable en biologie, mais ce n’est plus acceptable dans les revues de sciences sociales réputées à comité de lecture depuis l’avènement des ordinateurs personnels (depuis lors les universitaires ne doivent plus calculer les statistiques à la main) [3].

3) Les auteurs ont-ils utilisé un échantillon représentatif des groupes qu’ils étudiaient ? Non.

Tant l’article universitaire que les articles dans la grande presse qui reposent sur celui-ci parlent d’enfants religieux et d’enfants non religieux en général, mais les auteurs de cette note de recherche n’ont pas évalué les enfants d’une manière qui leur permettent de généraliser à tous les enfants religieux et non religieux. Compte tenu des graves problèmes qui grèvent leur échantillon, on ne peut dire à qui les résultats se généralisent.

Les auteurs ont choisi six pays (Canada, Chine, Jordanie, Turquie, États-Unis, et Afrique du Sud) de façon non aléatoire, puis ont choisi un ou deux villes dans chacun de ces pays de façon non aléatoire, puis y ont recruté des répondants de façon non aléatoire. L’échantillon n’est en rien aléatoire, ces résultats ne peuvent donc être généralisés à aucun groupe, même pas aux enfants religieux et non religieux des sept villes échantillonnées. En outre, l’échantillonnage choisi peut faire paraître les enfants religieux moins altruistes. En effet, si vous recrutez un enfant religieux d’un bidonville en Afrique du Sud et un enfant « laïque » issu de la famille nantie d’un professeur d’université canadienne, vous trouverez probablement des différences entre ces enfants qui n’ont rien à voir avec la religion ou son absence.

Comme l’échantillon n’est pas aléatoire, toutes les généralisations à partir de l’échantillon utilisé pour cette note de recherche sont vides de sens[4]. Tout manuel de statistique de première année vous le dira. Quand d’autres études fondées sur des échantillons aléatoires existent, comme c’est le cas ici, il faut toujours les privilégier à des études fondées sur de commodes échantillons non aléatoires. Rappelons que ces échantillons aléatoires suggèrent toujours une corrélation positive entre la religion et l’altruisme.

4) Les auteurs de cette note de recherche ont-ils suffisamment fait d’efforts pour démontrer que la relation entre la religion et le comportement altruiste est causale ? Non.

Même avec de bons échantillons, une corrélation ne prouve pas qu’il y ait un lien de causalité. Mais, avec un mauvais échantillon biaisé, il faut encore faire plus d’efforts pour démontrer de manière plausible que la corrélation est causale. Malheureusement, les auteurs n’ont pas fourni l’effort demandé à des étudiants de premier cycle en classe de statistiques.

Il est vrai que démontrer une causalité est difficile. Les auteurs ne peuvent attribuer une religion au hasard aux enfants pour ensuite voir si la religion cause des différences de comportement altruiste. C’est pourquoi les chercheurs en sciences sociales essaient toujours de trouver autant d’explications possibles afin de démontrer que le lien entre religion et générosité n’est pas causé par un autre facteur. Les recherches antérieures sur l’altruisme démontrent que de nombreux facteurs prédisent le comportement généreux, mais les auteurs de la note de recherche ne neutralisent pas ces facteurs, ils ne « contrôlent » pas ces facteurs. Si un de ces facteurs omis est corrélé à la fois avec la religiosité et avec le comportement généreux des enfants ou s’il est corrélé avec le type de personnes religieuses et non religieuses échantillonnées, alors la relation entre la religion et l’altruisme identifiée par les auteurs sera également biaisée.

C’est ainsi que la prospérité et la confiance peuvent influer sur la générosité. Si les enfants issus de milieux aisés ont plus facilement accès à des autocollants que les enfants issus de milieux pauvres, cela rend en moyenne les autocollants moins précieux aux yeux des enfants nantis que des enfants pauvres. Donner des autocollants à d’autres enfants coûte moins aux enfants riches qu’aux enfants pauvres. De même, dans des contextes de confiance élevée, à faible corruption et à basse violence, les gens font en général plus confiance dans « le système ». Un enfant d’une société à forte confiance pourrait davantage croire qu’un chercheur inconnu donnera vraiment à un autre enfant les autocollants qu’il rend qu’un enfant issu d’un milieu à faible confiance. Si, dans l’échantillon, les enfants « non religieux » proviennent de façon disproportionnée de familles riches et privilégiées et vivent dans des environnements où règne une confiance plus élevée que parmi les enfants religieux choisis, cela donnera produira à tort une corrélation négative entre religion et don. Mais ce n’est pas la religion qui réduit le don, mais plutôt la pauvreté et la méfiance.

Malheureusement, il semble probable que les auteurs aient identifié de nombreux écoliers canadiens comme provenant de familles « non religieuses » alors qu’ils identifiaient de très nombreuses familles sud-africaines et jordaniennes comme « religieuses ». Mais les enfants canadiens sont, en général, également plus riches et font plus confiance à des inconnus que les enfants jordaniens et sud-africains. De même, si l’on considère les contextes universitaires où ces échantillons ont été prélevés, il est probable que les auteurs aient échantillonné des « personnes non religieuses » nanties et des personnes « religieuses ». Nous aborderons cette question plus en détail dans la section suivante.

5) L’analyse statistique de cette note de recherche est-elle rigoureuse et appropriée ? Est-il plausible qu’une instruction religieuse différente soit la seule chose qui rende des autocollants plus précieux pour certains enfants et pas d’autres ? Non.

Si l’on compare le nombre d’autocollants que des enfants pauvres chrétiens qui habitent un bidonville sud-africain rendent au nombre rendu par un enfant issu d’une famille nantie et non religieuse de la banlieue de Montréal, est-il plausible de penser que la seule différence entre ces enfants est la religion ? Bien sûr que non, mais tant les universitaires que les journalistes qui ont relayé leur étude se concentrent uniquement sur la différence de religiosité sans jamais considérer ni neutraliser d’autres différences (cette comparaison suppose que les deux groupes de l’échantillon sont identiques en tout point sauf pour ce qui est de la religiosité). Il y a plus de personnes non religieuses au Canada qu’en l’Afrique du Sud ou en Jordanie. La richesse influence probablement la valeur associée aux autocollants par les enfants. Il est donc crucial de prendre en compte et de neutraliser le pays et le statut socio-économique (SSE) des enfants. Les auteurs de cette étude le font quelque peu, mais pas assez et de façon trompeuse.

Les auteurs n’étayent que deux de leurs tests-T avec des régressions des moindres carrés ordinaires (MCO). Dans ces régressions, ils ne contrôlent que l’âge, le pays et ce qu’ils nomment trompeusement « SSE » (statut socio-économique). Cependant, la seule mesure du SSE qu’ils utilisent est une mesure approximative de l’instruction de la mère (simplifiée en six catégories) et ils ne mentionnent jamais dans le texte les paramètres qu’ils utilisent pour établir le SSE. Robert Woodberry a dû consulter les documents annexes pour débusquer la définition du « SSE » adopté par les auteurs de la note de recherce [5]. Mais le niveau d’instruction de la mère (en six catégories) est-il une mesure suffisante du statut socio-économique de tous les enfants ? C’est peu probable. Cela implique, par exemple, que tous les enfants dont la mère a un diplôme d’études secondaires ont accès aux mêmes ressources indépendamment du revenu, de son patrimoine, de l’instruction du père, de la race, de l’état matrimonial des parents, etc. Il est peu probable que les auteurs pensent que l’instruction de la mère reflète complètement le SSE ou alors ils n’auraient pas caché la définition de leur mesure de la SSE dans une annexe en ligne. Il suffit de quelques mots pour écrire « nous avons mesuré le SSE en utilisant l’instruction de la mère ». Il n’aurait fallu que de quatre mots pour étiqueter clairement les données d’un « instruction de la mère » plutôt que « SSE » sur les graphiques. Pas beaucoup. Mais cette transparence aurait suscité des soupçons.

Si vous êtes riche et que vous allez à une école bien financée, vous avez peut-être des centaines d’autocollants chez vous et vous en recevez de nouveaux régulièrement. Aussi, un autocollant n’a guère de valeur pour vous. Il vous est facile d’offrir un autocollant parce que vous pouvez facilement en obtenir davantage. Par contre, si vous venez d’une famille monoparentale pauvre et que vous allez à une école mal financée, vous recevez probablement rarement des autocollants. Cela rend les autocollants nettement plus précieux à vos yeux et il vous est bien plus difficile de vous en départir. Si deux enfants sont tout aussi généreux en moyenne, l’enfant qui a un accès facile aux autocollants est susceptible d’en donner plus que le même enfant qui a accès à peu d’autocollants.

Dans les résultats que les auteurs ont publiés, ils supposent que les enfants testés d’un même pays et dont les mères ont le même niveau d’instruction sont identiques et que la seule différence pertinente entre eux est leur identité religieuse. Sans considérer les revenus des parents, ni si l’enfant vient d’une famille monoparentale ou intacte, ni le niveau d’instruction du père, ni l’école que l’enfant fréquente actuellement, etc. C’est bien évidemment une simplification outrancière de la situation.

Pour vérifier les résultats des auteurs et comprendre pourquoi ceux-ci n’avaient pas mesuré des éléments supplémentaires du profil socio-économique des participants, le professeur Robert Woodberry a contacté les auteurs et leur a demandé s’il pouvait voir le questionnaire soumis aux participants de l'étude et s'il pouvait avoir accès aux données de reproduction qui permettent de reproduire leur expérience. À ce jour, Jean Decety et ses collègues n’auraient pas répondu au professeur Woodberry. Il arrive que les universitaires gardent privées des données pendant un certain temps afin qu’ils puissent publier d’autres articles sur ces données avant que d’autres chercheurs y aient accès. Toutefois, en général, les questions démographiques posées dans les questionnaires sont rendues publiques gratuitement.

6) La religiosité est-elle soigneusement mesurée et les différents groupes religieux soigneusement distingués ? Non.

Plus de 60 pour cent des personnes religieuses dans l’échantillon sont musulmanes. Cela signifie que, dans la plupart des tests-T et toutes les régressions calculées, les musulmans déterminent de manière disproportionnée les résultats. Si les musulmans sont différents des autres groupes religieux ou si les musulmans dans l’échantillon viennent de façon disproportionnée de communautés pauvres ou méfiantes, cela fausserait les résultats que les auteurs attribuent à tous les enfants issus de familles religieuses. Mais les musulmans sont-ils identiques aux autres groupes religieux ? Dans les tests-T que les auteurs nous montrent, la différence entre musulmans et chrétiens est statistiquement significative 50 pour cent du temps. Pourquoi les auteurs de cette note de recherche ont-ils donc regroupé musulmans et chrétiens dans un même groupe dans toutes leurs régressions et toutes leurs conclusions ? Lorsque les résultats entre musulmans et chrétiens diffèrent, pourquoi traitent-ils le comportement des musulmans comme représentatif de toutes les personnes issues de milieux religieux ?

Les auteurs utilisent deux mesures de la religiosité : « Combien de fois avez-vous assisté à des services religieux ? » Et « À quelle fréquence ressentez-vous le “divin” dans votre vie quotidienne ? » Ils ont ensuite confondu ces deux mesures en une seule variable. La mesure du nombre de fois où les répondants assistent à un culte religieux favorise probablement les musulmans, car les musulmans doivent en principe prier cinq fois par jour. Participer à des services religieux plus d’une fois par semaine est donc plus fréquent chez les musulmans que chez les chrétiens. La fréquence de ressenti de l’expérience divine biaise probablement les résultats en faveur des pentecôtistes. Ainsi, les musulmans et les pentecôtistes se retrouveront en haut de la variable « religiosité ». Si ces groupes ne sont pas représentatifs des autres groupes religieux sur le plan de leur générosité, de leur statut socio-économique, de la confiance ou tout autre facteur qui influe sur le don, l’analyse des auteurs sera faussée quand elle concerne les personnes religieuses dans leur ensemble.

Les auteurs ne nous disent jamais si être religieux ou la religiosité prédisent une moindre générosité dans tous les pays (6) de leur échantillon ni si c’est le cas à la fois pour les musulmans et pour les chrétiens. Dans l’article, la religion et la religiosité sont considérées, la plupart du temps, comme une seule et même chose qui a les mêmes effets partout, comme si le type de religion et le contexte religieux étaient sans importance. Compte tenu des défauts importants dans l’échantillon, les résultats de cette étude auraient été plus plausibles si la relation religiosité/altruisme était constante indépendamment du pays et indépendamment de la tradition religieuse.

Résumé

Decety et ses collègues posent une question importante et intéressante. Cependant, ils utilisent un échantillon non aléatoire problématique et des techniques statistiques inappropriées pour l’analyser. L’échantillon est faussé de sorte qu’il semble rendre les enfants non religieux plus généreux. Les auteurs ne considèrent pas d’autres explications possibles. Ils mettent dans le même sac tous les groupes religieux ce qui semble inapproprié au vu même de leur analyse limitée.

Ils tirent des conclusions générales sur les enfants « religieux » et « non religieux » que leur échantillon ne permet pas de faire. Ils avancent des affirmations bien au-delà de ce que leur analyse permet. Et les journalistes poussent ces affirmations encore plus loin que les auteurs de la note de recherche.

Les auteurs n’ont (pour l’instant) rendu publics ni leur questionnaire ni les données à d’autres chercheurs afin que ceux-ci puissent vérifier leur analyse. L’article a été publié dans une revue de biologie dont les rédacteurs et les relecteurs connaissent probablement mal les recherches antérieures sur le sujet et les normes de recherche requises avant d’affirmer à partir des populations humaines échantillonnées qu’il existe une causalité généralisable. Les auteurs et les journalistes ignorent presque complètement les recherches antérieures sur le sujet, la quasi-totalité de celles-ci contredit d'ailleurs diamétralement les conclusions de cette étude.

Cette étude a été publiée dans une revue au comité de lecture et qu’elle a été si largement citée dans la presse populaire — presque invariablement sans interviewer ni citer quiconque d’autre se serait penché professionnellement sur sujet ou qui aurait un point de vue différent, ce qui est troublant. Bien que Decety affirme que la sécularisation rende les gens plus gentils et plus moraux, son projet de recherche ne permet pas de déterminer si sa croyance est fondée.

Source : Ce billet est largement inspiré d’un article de Robert D. Woodberry, professeur agrégé en sciences politiques à l’Université nationale de Singapour.

Notes

[1]. Dans certaines analyses, les chercheurs ont également statistiquement contrôlé pour l’âge, le pays et une mesure approximative de l’éducation de la mère de l’enfant. Je vais discuter de la pertinence de leurs contrôles ci-dessous.

[2]. Après les contrôles, nous comparons les gens aux mêmes niveaux des variables de contrôle : dans ce cas, nous comparons les enfants de même âge, de même pays, et dont les mères ont le même niveau d’éducation.

[3]. Des études effectuées en laboratoire sur des étudiants et publiées dans des revues de psychologie utilisent parfois des analyses simplifiées de ce type (qui est toujours très problématique), mais elles utilisent des échantillons beaucoup moins hétérogènes. Ces articles présupposent encore que la seule différence pertinente entre les étudiants religieux et non religieux est la religion (c’est-à-dire, par exemple, qu’ils proviennent de milieux sociaux et économiques identiques).

[4]. Les tests de signification permettent de savoir si la différence observée entre deux groupes dans un échantillon est plus grande que celle que nous observerions par chance s’il n’y avait en réalité aucune différence entre les deux groupes dans la population dont est tiré l’échantillon (avec un niveau de probabilité donné). Le calcul de ces probabilités exige un échantillon aléatoire. Un résultat statistiquement significatif ne signifie pas nécessairement que la différence est grande, importante, ni même causale ; cela signifie simplement que les deux groupes sont peu susceptibles d’être identiques dans la population.

[5]. Pour les lecteurs avec une formation en statistiques, les modèles de auteurs violent même les hypothèses des régressions MCO. Le nombre d’autocollants que les enfants rendent est une variable de comptage, ce qui signifie qu’on peut analyser leur distribution à l’aide d’une régression de Poisson ou d’une régression binomiale négative, mais pas d’une régression MCO.

Voir aussi


2 commentaires:

  1. Une fois de plus les gros médias progressistes se sont emparés d'une histoire qui leur plaisait et l'ont diffusé sans rien vérifier parce que ces médias adoraient la « morale » de l'histoire et que cela confirmait leurs préjugés.

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