Me Phillips (à gauche) et M. Donovan, directeur de Loyola, à la Cour suprême |
Dans une décision partagée (4 contre 3) dans ses motifs, mais non fondamentalement dans sa conclusion, le plus haut tribunal au pays conclut que contraindre l’école Loyola d’enseigner le cours ECR de manière « laïque » est inconstitutionnel, car cette contrainte porte « gravement atteinte » à la liberté de religion des personnes qui veulent offrir et qui souhaitent recevoir une éducation confessionnelle.
Les sept juges sont d’accord sur la décision principale de casser la décision du ministère, mais les trois juges de la minorité seraient allés plus loin. Ils n’auraient pas obligé l’école à faire une nouvelle demande d’équivalence auprès du ministère de l’Éducation, mais plutôt approuvé sa proposition telle quelle.
La Cour suprême a statué que la « décision de la ministre selon laquelle tous les aspects du programme proposé par Loyola doivent être enseignés d’un point de vue neutre, y compris l’enseignement du catholicisme, a restreint la liberté de religion plus qu’il n’était nécessaire compte tenu des objectifs visés par la loi. Par conséquent, cette décision n’était pas le fruit d’une mise en balance proportionnée et doit être annulée. Le pourvoi [de Loyola] est accueilli et l’affaire est renvoyée au ministre pour réexamen. »
Le tribunal précise : « Bien que, en l’espèce, l’objectif de l’État soit laïque, obliger les enseignants de Loyola à adopter un point de vue neutre lorsqu’ils parlent du catholicisme équivaut à dicter à ceux-ci la manière dont ils doivent enseigner la religion qui constitue l’identité même de Loyola. Cela revient à exiger d’un établissement catholique qu’il traite du catholicisme selon les modalités définies par l’État plutôt que d’après sa propre conception du catholicisme ».
Pour les juges majoritaires : « [t]outefois, le fait d’empêcher complètement une école comme Loyola d’enseigner et de traiter du catholicisme selon sa propre perspective dans le cadre de son programme contribue peu à l’atteinte de ces objectifs tout en portant gravement atteinte aux valeurs qui sous‑tendent la liberté de religion. » Ces quatre juges sont donc « d’avis d’accueillir le pourvoi, d’annuler la décision de la ministre et de renvoyer l’affaire au ministre pour réexamen à la lumière des présents motifs. Une exemption ne peut pas être refusée au motif que Loyola doit enseigner le catholicisme et l’éthique catholique suivant une perspective neutre. »
Là où l’on perçoit une différence entre les juges majoritaires et minoritaires c’est sur la neutralité possible des enseignants catholiques dans une école catholique quand on traitera de certains sujets éthiques. Les juges majoritaires sont d’avis qu’il n’y aura pas de gros problèmes pour les enseignants d’une école catholique à conserver une étude « neutre » lors des discussions d’éthiques : « Cela dit, contrairement à mes collègues dans leur décision concurrente, je partage l’avis de la Cour d’appel selon lequel le fait d’obliger Loyola à enseigner l’éthique d’autres religions d’une façon neutre, historique et phénoménologique ne porterait pas atteinte de manière disproportionnée aux protections pertinentes conférées par la Charte et en cause en l’espèce. »
(Nous ne partageons pas l’avis du journaliste que la décision est très partagée, elle est surtout nuancée dans ses motifs, mais la conclusion est la même pour Loyola : cette école pourra enseigner un cours ECR dans une perspective catholique).
Pour les trois juges minoritaires, en revanche, dont la juge en chef, « Obliger les enseignants de Loyola à conserver une attitude neutre sur les questions d’éthique pose de sérieuses difficultés d’ordre pratique et porte considérablement atteinte à la façon dont l’établissement transmet sa conception de la foi catholique. Il est inévitable que des normes éthiques qui ne correspondent pas aux croyances catholiques fassent l’objet d’un débat. Confrontés à des positions qui heurtent de front la foi catholique, les enseignants de Loyola se verraient forcés d’adopter une attitude de neutralité fausse et superficielle. En définitive, ils seraient ainsi réduits au silence pendant une grande partie du débat portant sur l’éthique, un débat qui, comme le programme ÉCR le présuppose, est essentiel pour développer une société civilisée et tolérante. »
En outre, la juge en chef et le juge Moldaver écrivent : « obliger un établissement d’enseignement confessionnel à présenter le point de vue d’autres religions comme étant tout aussi légitime et crédible que celui de la religion au centre de sa mission serait incompatible avec la liberté de religion. En effet, présenter des doctrines religieuses fondamentalement incompatibles comme étant aussi légitimes et crédibles l’une que l’autre pourrait impliquer qu’elles sont toutes les deux également fausses. [Note du carnet : précisément ce que reprochaient les parents de Drummondville] Assurément, on ne peut obliger un établissement d’enseignement confessionnel à adopter une telle perspective. »
Toutefois, même les juges majoritaires reconnaissent que « [l] a réponse qu’apporte le catholicisme aux questions d’éthique, par exemple, entrera parfois en conflit avec l’approche préconisée par l’éthique d’autres religions [Note du carnet : ou de courants philosophiques ?]. Il serait étonnant que, dans les cours où l’on étudie d’autres systèmes de croyances, les élèves ne réclament pas des explications qui appellent certaines comparaisons, questions auxquelles les enseignants de Loyola sont certainement libres de répondre. Une approche comparative qui explique la perspective éthique catholique et répond aux questions sur celle-ci constitue bien entendu une approche légitime. »
Les juges minoritaires de la Cour suprême proposent, en outre, au ministre de l’Éducation du Québec des critères qui pourront servir lors de demandes similaires d’équivalence par d’autres écoles confessionnelles :
« Compte tenu de ce qui précède, nous proposons les lignes directrices suivantes pour circonscrire les limites de l’exemption prévue à l’art. 22 qui doit être accordée en l’espèce et pour guider l’évaluation que le ministre pourrait faire à l’avenir en réponse aux demandes du même type qui lui seront soumises :
- Les enseignants de Loyola seront autorisés à exposer et à expliquer la doctrine et les croyances éthiques catholiques du point de vue catholique et ne seront pas tenus d’adopter une position neutre.
- Les enseignants de Loyola devront exposer et expliquer les croyances et les doctrines éthiques des autres religions de manière objective et respectueuse.
- Les enseignants de Loyola devront s’assurer que le débat a lieu dans un climat de respect, en y contribuant eux‑mêmes d’une façon respectueuse et en s’assurant que le dialogue en classe se déroule dans le respect, la tolérance et la compréhension pour ceux dont les croyances et les pratiques sont différentes.
- Lorsque le contexte de la discussion en classe l’exigera, les enseignants de Loyola pourront préciser en quoi consistent les convictions catholiques, les raisons pour lesquelles les catholiques y adhèrent et les raisons pour lesquelles d’autres propositions éthiques ou doctrinales précises sont incompatibles avec ces convictions, que ce soit dans le contexte d’une autre religion en particulier ou dans celui d’une position éthique considérée dans l’abstrait.
- On ne pourra s’attendre à ce que les enseignants de Loyola enseignent des doctrines éthiques ou religieuses contraires à la foi catholique en les présentant comme étant aussi crédibles ou dignes de foi que celles auxquelles ils adhèrent. Le respect, la tolérance et la compréhension sont légitimement nécessaires et le fait de faire ressortir les différences ne devra pas donner lieu au dénigrement ou à la dérision. Toutefois, le fait d’exiger que tous les points de vue soient considérés comme étant également crédibles ou dignes de foi exigerait de la part de l’école une dissociation et une suppression de sa propre perspective religieuse qui serait incompatible avec sa liberté de religion. »
Trois des juges du plus haut tribunal du pays concluent : « Nous fondant sur les conclusions de fait tirées par le juge saisi de la demande et tenant compte du dossier et des observations des parties, nous concluons que la seule réponse à la demande d’exemption de l’école qui soit conforme à la Constitution consiste à lui donner une suite favorable. Par conséquent, nous sommes d’avis d’ordonner au ministre d’accorder à Loyola l’exemption prévue à l’art. 22 du règlement en cause, permettant ainsi à cet établissement d’enseignement d’offrir un programme équivalent au programme ÉCR conformément à la proposition qu’elle a soumise et aux lignes directrices que nous avons exposées. »
L’école Loyola « extrêmement ravie »
La direction de l’école Loyola s’est dite « extrêmement ravie » du jugement rendu. « Il n’y a rien dans ce jugement qui nous impose de changer ce qu’on fait », a fait valoir le directeur de l’école, Paul Donovan, qui a entamé les démarches judiciaires en 2008.
« Notre position, c’est que ce qu’on donne est équivalent au cours [ECR], a-t-il insisté. La demande originale était une demande d’équivalence. »
Le directeur s’est défendu d’avoir demandé au tribunal la permission d’enseigner l’éthique selon une perspective catholique, ce que le jugement leur interdirait.
« Non ce n’est pas ce qu’on a demandé. Tout ce qu’on a demandé, c’est d’avoir l’habileté d’expliquer la position catholique quand on parle d’une situation d’éthique, pas d’inculquer une seule perspective. On n’a jamais demandé ça », mentionne-t-il.
Paul Donovan a donné l’exemple d’un cours lors duquel le sujet de l’avortement ou du mariage gai serait abordé.
« Ça commence avec un débat, avec les perspectives qui existent [...], mais à la fin, on veut que les étudiants comprennent ce que dit l’église catholique sur le débat », illustre-t-il.
Du côté de Québec
Selon Radio-Canada, l’avocat représentant le procureur général, Benoît Boucher, dit pour sa part que toutes les écoles confessionnelles pourront enseigner « leur » religion d’un point de vue religieux, mais ne pense pas qu’il y aura beaucoup de demandes.
Deux remarques : il est clair que Loyola veut aussi pouvoir rappeler la perspective catholique dans le volet « éthique » et non pas seulement « culture religieuse ». C’est d’ailleurs ce que disent les juges majoritaires (les minoritaires a fortiori encore plus comme on l’a vu) : « Le caractère disproportionné de cette décision est renforcé par le fait que cette dernière interdit dans les faits à Loyola d’enseigner l’éthique catholique selon une perspective catholique. La doctrine et l’éthique catholiques sont tout simplement trop étroitement liées pour qu’il soit possible d’enseigner une matière d’un point de vue catholique et l’autre, de façon neutre. Plus précisément, rien ne justifie d’établir une distinction entre les deux lorsqu’il est question de la liberté de religion. Dans les deux cas, empêcher Loyola d’enseigner le catholicisme porte sérieusement atteinte à l’identité catholique de cette institution. »
Il n’y aura peut-être pas beaucoup de demandes, mais nous connaissons déjà plusieurs écoles confessionnelles qui faisaient exactement comme Loyola, mais n’en avaient pas demandé l’autorisation (sachant qu’elle allait être refusée et que cette demande les signalerait à l’attention du Monopole de l’Éducation du Québec).
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YOUPI!
RépondreSupprimer"On ne pourra s’attendre à ce que les enseignants de Loyola enseignent des doctrines éthiques ou religieuses contraires à la foi catholique en les présentant comme étant aussi crédibles ou dignes de foi que celles auxquelles ils adhèrent."
RépondreSupprimerÇa c'est toute une victoire. Et je suis stupéfait de voir la juge McLachlin appuyer cette thèse. C'est un coup fatal porté au totalitarisme idéologique qui se déguise derrière ECR et bien d'autres mesures.
C'est a ranger dans l'arsenal à coté du refus de la CS de considérer la Bible comme un discours haineux et à son appui à l'utiliser (comme le dit le Code Criminel de toutes façons) pour défendre une position argumentaire.
Là, il y a un sabot qui vient d'être jeté dans l'engrenage ...
Les autorités religieuses (Diocèse) ne sont pas du genre à s'impliquer dans ce genre de conflit. On pense au maire de Saguenay qui n'a jamais reçu le support officiel de son diocèse.
RépondreSupprimerLe diocèse de Montréal s'est-il déjà exprimé la dessus?