lundi 16 mars 2015

France — « Une journée de la langue française sans français : un exploit !»


Chronique de Jean-Paul Brighelli :


C’est donc aujourd’hui lundi 16 mars la journée (et la semaine) de la langue française. Un naïf penserait que voilà une belle occasion de ressortir les grands magiciens des mots — La Fontaine ou Racine, Voltaire ou Raymond Queneau, parmi tant d’autres... Que nenni : ce serait exalter une France franco-française qui fait naturellement horreur à tout bon citoyen mondialisé — et politiquement correct. Le ministère [français] de l’Éducation nationale a donc réfléchi — le diable aurait pu nous en préserver. Et, via un site spécifique, il a déterminé dix mots à mettre en vedette aujourd’hui. Préparez vos mouchoirs !

Noyer le poisson et le français

« Les dix mots de cette nouvelle édition invitent donc au voyage : “amalgame, bravo, cibler, grigri, inuit, kermesse, kitsch, sérendipité, wiki, zénitude”. Qu’ils viennent du flamand, de l’italien, de l’hawaïen, de l’arabe ou de l’inuktitut [esquimau], ces mots reflètent bien “l’hospitalité” de notre langue », écrivent les têtes creuses de la Rue de Grenelle. Tout est dit. Que le premier mot de la liste soit « amalgame » et qu’il vienne spécifiquement de l’arabe suffit à notre bonheur. Le français a beau être une langue latine (plus de 90 % de notre vocabulaire vient du latin, ou du grec à travers le latin — pensez au doublet hyper-super, où par une aberration sémantique le préfixe grec paraît plus grand que le préfixe latin qui est sa traduction exacte), notre sens de l’« hospitalité » nous permet d’accueillir [N. du carnet : d'assimiler en changeant la forme et le son] plein de mots immigrés.


Après l’arabe « amalgame », « bravo » vient de l’italien, « cibler » de l’alémanique, « grigri » est d’origine africaine, « inuit » déboule, comme on s’en doute, du Grand Nord et de l’inuktitut, « kermesse » (héroïque ?) est flamand, « kitsch » est allemand, « sérendipité » anglais, « wiki » hawaïen, et « zénitude » découle du japonais. On voudrait nous vendre l’Europe d’abord et le monde ensuite en un mini-lexique qu’on ne s’y prendrait pas autrement. Et d’inviter les écrivains et les élèves à inventer des textes intégrant (ah, l’intégration !) le plus possible de ces mots issus de communautés diverses. C’est un projet politique avant d’être une célébration du langage hexagonal.

Noyer la France

Nous habitons notre langue. Elle est constituée de strates parfois fort anciennes, certaines bien minces (il ne reste pas grand-chose de la langue celte et, dans le gallo-romain, c’est le romain qui a prévalu largement), d’autres fort épaisses : nous parlons une langue latine, comme nous avons hérité d’une culture judéo-chrétienne teintée de latinité et d’hellénisme. Et rien d’autre. Que « chocolat » vienne de l’aztèque et « tabou » du tahitien est anecdotique — ça permet d’occuper trois minutes de classe en cours de français. Et il serait temps d’enseigner le français, d’enseigner la France, avant de s’intéresser aux « mélanges » occasionnels. Le français a une exceptionnelle faculté d’intégration (contrairement à l’anglais, qui, par exemple, respecte autant que possible les noms originels des villes, Firenze ou Beijing, dont nous n’avons aucun scrupule à faire Florence et Pékin — comme nous avons transformé Mohammed en Mahomet par métathèse — membre éminent de la nombreuse famille des métaplasmes) et s’est fixé à partir du XVIIe siècle parallèlement à un système idéologique, la monarchie absolue — si bien que les Bourbon s’installant sur le trône d’Espagne ont créé une Académie ibérique sur le modèle de l’Académie française pour imposer le castillan comme modèle unique, conformément au roi garant de cette unicité.

C’est le système de la langue qu’il faut apprendre aux enfants et aux adolescents — pas de multiples anecdotes dont la juxtaposition donne l’image d’une langue de bric et de broc, comme on veut nous faire croire que nous sommes un peuple de hasard juxtaposant trente communautés diverses et antagonistes. La France, via sa langue (mais il faudrait l’apprendre sérieusement, et non de façon impressionniste), parle d’une seule voix — et cette voix parle français. Ou du moins elle devrait. Malheur à nous si nous continuons à nous noyer dans un européanisme stérilisant et une globalisation mutilante. Malheur à nous si nous nous persuadons que nous sommes une mosaïque de « communautés » parlant, comme à Babel, des langues incompatibles. C’est à l’école que tout peut aujourd’hui recommencer — si nous consentions enfin à faire de l’école le lieu de la reconquête de la langue et de la souveraineté.




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