dimanche 2 mars 2014

Conversation avec Paul Donovan, directeur du collège Loyola

Extraits traduits d’une « conversation » que Paul Donovan, le directeur du collège Loyola, a tenue avec la revue Convivium. Cette conversation est parue dans le volume 3, n° 12, février-mars 2014 de cette publication. Le collège Loyola est opposé au Monopole de l’Éducation du Québec dans le cadre de l’imposition du programme d’éthique et de culture religieuse (ECR). Sa cause sera entendue dans trois semaines (le 24 mars) par la Cour suprême du Canada.

Paul Donovan est depuis 20 ans au collège Loyola, d’abord pendant 10 ans comme enseignant. Il a été nommé vice-directeur en 2003 et directeur en 2005. Cette année 2014 marquera sa dernière année à la tête du prestigieux établissement montréalais de tradition jésuite.

Paul Donovan – En fin de compte, nous étions sûrs que nous aurions pu enseigner le programme dans notre coin, sous le radar, ne rien dire, le faire à notre façon. Mais, lors de nos discussions, nous nous sommes dit que ce n’était pas une solution qui nous convenait. Nous essayons d’inculquer à nos élèves – c’est une des idées maîtresses qui fondent notre école - que lorsqu’il existe une injustice dans la société, il faut s’élever et la dénoncer.

Nous allions donc faire tout notre possible pour négocier avec le gouvernement, leur en parler, et si la discussion se concluait par un refus, alors nous devrions le contester autant que possible.

Finalement, le gouvernement nous a bien envoyé une lettre [en réponse à une demande d’équivalence entre, d’une part, le cours de religion du monde et de morale enseigné par Loyola depuis des années et, d’autre part, ECR]. En fait, il y en eut deux et la seconde nous donna dix raisons pour lesquelles nous ne pouvions enseigner notre version d’ECR. Cinq de ces six raisons avaient trait au fait que nous ne pouvions atteindre les objectifs du programme en enseignant ECR d’une perspective confessionnelle.

[…]

L’article de la loi que nous invoquons est assez souvent utilisé par les écoles […]. Ainsi, si le ministère venait à élaborer un nouveau programme d’éducation physique et nous étions une école à vocation sportive, nous pourrions faire une demande en vertu de cet article et dire « Voilà, nous enseignons l’équivalent dans notre programme d’école spécialisée dans le sport ». Et cela serait habituellement permis. […]

Cela permet au ministre de décider si le cours que vous proposez est équivalent ou non. La question cruciale en la matière c’est que le critère utilisé par le ministère était la confessionnalité et que, par défaut, en tant qu’école confessionnelle vous ne pouvez remplir les objectifs du programme ECR.

Je pense en fait qu’ils ne s’inquiètent pas tant de savoir si les catholiques pourraient y parvenir, mais quel impact une approbation pour des catholiques aurait quand d’autres viendraient à faire une demande similaire par la suite.

Convivium – Pour être précis, jusqu’à la conclusion de cette affaire, vous n’enseignez pas le programme ECR. Vous avez continué à en donner la version Loyola.

Paul Donovan – Oui, parce que, dans le fond, de notre point de vue, il est impossible d’être une école catholique en laissant de côté ce que notre foi signifie. C’est une question de conscience. Il m’est impossible de dire à mes professeurs « nous allons l’enseigner [le cours ECR], jusqu’à ce qu’on nous dise que nous pouvons le modifier ».

[…]

Convivium – Avez-vous, alors que vous vous défendiez en cour supérieure et, puis, en cour d’appel, été confronté à de la résistance, pas nécessairement du gouvernement, mais de la part des autres Québécois ? De personnes qui vous disaient : « Allez, laissez-faire. Votre combat est digne des années cinquante. Vous devez comprendre que le Québec est un état laïc et une société laïque. Acceptez-le. »

Paul Donovan – Au début nous avions beaucoup plus ce type de remarques qu’aujourd’hui. Une des choses qui se soit produite, et c’est un des problèmes de la couverture médiatique, c’est qu’il est parfois difficile d’exposer la totalité de la question. Au début, plus particulièrement, je crois que beaucoup de personnes ont crû que nous nous objections à l’apprentissage de faits sur d’autres religions, que nous voulions imposer le catholicisme aux élèves contre leur gré. Nous avons essuyé de nombreuses critiques qui se fondaient sur cette hypothèque, laquelle était complètement erronée.

Avec le temps, au fur et à mesure que les gens commençaient à comprendre notre démarche et la situation, ceci s’est inversé. Je pense que nous sommes nettement plus soutenus qu’au début et probablement plus dans la communauté anglophone.
[…]

[Au sujet de l’affaire des parents de Drummondville qui demandait le droit d’exemption pour leurs enfants, ce qui leur a été refusé, amenant certains juristes à se demander qui étaient les premiers éducateurs des enfants. L’État, au Canada, apparemment, et non plus les parents. ]

Les parents de Drummondville voulaient complètement retirer leurs enfants du programme ECR. Il s’agissait de personnes (« They were individuals »…) qui disaient : « Nous ne voulons pas faire quelque chose imposé par l’État. » Je ne veux pas me prononcer sur l’opportunité ou non de cette décision. Dans notre cas, nous ne disons pas que nous refusons le programme, mais que nous voulons le faire autrement. Nous voulons le faire d’une manière qui reflète l’identité de notre établissement. C’est une question très différente de celle posée dans l’affaire de Drummondville.

Oui, évidemment, nous avons été déçus des résultats, car nous savions -- pour ce qui en est de l’opinion publique au moins -- que les gens considéreraient les deux affaires comme liées. Mais pour notre part, nous étions convaincus depuis le début que l’issue de la première cause n’aurait pas nécessairement d’effet sur la seconde.

[…]

Onze intervenants interviendront dans notre cause. Certains sont des groupes chrétiens, d’autres des groupes laïcs. Je trouve cela fascinant. Outre ceux qui interviendront, nous avons dialogué avec des membres de la communauté juive et de la communauté musulmane. L’appui est ferme.

[…]

»




Quelques remarques

Nous souhaitons bien sûr bonne chance à l'école Loyola.

Toutefois, seuls les naïfs « font pleinement confiance en la justice de leur pays ». La Cour suprême n'est composée que d'avocats qui donnent leur opinion et les habillent de savants arguments juridiques. Ils ont leurs propres préjugés et systèmes de valeurs. On l'a bien vu récemment dans les décisions comme Whatcott ou S.L. c. C.S. des Chênes (ECR, Drummondville). La liberté d'expression ou de religion y cède le pas, aux yeux des juges, à des considérations plus à la mode : la protection des homosexuels dans un cas et l'apprentissage obligatoire du multiculturalisme par l'État dans l'autre. Il n'est pas impossible que le plus haut tribunal décide que l'imposition d'une perspective laïque dans une école catholique va vraiment trop loin ou, au contraire, qu'il ne s'agit que d'une petite contrainte tout à fait acceptable pour le bien commun. Le tout selon la sensibilité des neuf juges et ce qu'ils percevront comme acceptable par la bonne société.

Les parents de Drummondville demandaient fondamentalement la même chose que Loyola : que le cours ECR soit enseigné autrement et dans une perspective catholique. En effet, ils ne se sont jamais opposés par exemple à l'apprentissage de faits sur les religions au secondaire. Voir par exemple cette lettre explicite de la mère sur le sujet : « Obviously, my husband and I have no problem about our children knowing that other religions exist – they already know their existence and freely discuss about religious diversity. Neither have we any qualms about knowing facts about other religions, the Catholic religion course previously taught in public schools in Quebec did so; we did not object. »

Il est de bonne guerre pour M. Donovan de dire que la cause de Drummondville n'aura pas d'incidence sur sa cause ou que les gens avisés saisissent la différence entre les deux affaires. Il est vrai qu'il existe des différences importantes. Mais les juges de la Cour d'appel (un de ces juges, Wagner, est d'ailleurs désormais à la Cour suprême) ont perçu des parallèles. D'une part, le jugement en appel mentionne six fois ([13], [126], [162], [163], [171] et [172]) le jugement de la Cour suprême dans l'affaire de Drummondville. La section [13] reprend telles quelles non moins de sept longues sections de l'arrêt du plus haut tribunal pour bien mettre la table. D'autre part, la Cour d'appel déclare :
« [171] Avec égards, je crois qu'[le juge de première instance] commet une erreur alors que, évidemment, au moment d'écrire son jugement, il n'a toujours pas le bénéfice de l'enseignement de la Cour suprême dans S.L c. Commission scolaire des Chênes.  
[172] Comme dans l'affaire S.L. c. Commission scolaire des Chênes, Loyola et Zucchi plaident que la neutralité du programme ÉCR ne serait pas réelle et qu'elle entraverait leur capacité à transmettre leur foi. La Cour suprême décide que le fait d'exposer des élèves à l'étude globale des religions, dans une perspective neutre, sans les obliger à y adhérer, ne constitue pas une atteinte à la liberté de religion. En l'espèce, je ne crois pas qu'obliger Loyola à enseigner les croyances religieuses d'une manière globale et l'éthique, sans qu'il soit question d'y adhérer, constitue une réelle atteinte. Le « relativisme » demandé à l'enseignant ne brime pas la liberté d'enseigner la religion catholique de l'école. Comme Loyola l'indique dans son mémoire, il s'agit de mettre de côté, le temps d'un cours, la perspective catholique. »
Nous remarquons que le collège n'a pas insisté en Cour d'appel et insiste peu dans son mémoire en Cour suprême du Canada sur les griefs qu'il retient contre le programme officiel d'ECR. Nous pensons que cela lui a joué un mauvais tour en Cour d'appel.  On ne peut, cependant, en vouloir à Loyola : il avait remporté l'adhésion du juge de première instance quant aux reproches faits au programme ECR. Le procureur général du Québec n'ayant même pas contre-interrogé le témoin principal de Loyola, le professeur Douglas Farrow, sur ce sujet. Il était difficile de prévoir que la Cour d'appel utilise la décision de la Cour suprême dans l'affaire S.L. c. C.S. des Chênes puisque celle-ci est fondée sur un manque de preuves et que la preuve de Loyola était plus étoffée sur le sujet. Le juge de première instance ayant, notamment, permis l'analyse de nombreux manuels, contrairement au juge de Drummondville.

Aujourd'hui, Loyola semble encore insister sur le fait qu'il doit être catholique en tout sans insister outre mesure sur les difficultés que présente le programme ECR. Loyola veut peut-être paraître raisonnable, moderne, très dialoguant. L'exigence d'être simplement catholique tout le temps peut, toutefois, paraître un peu vague, éthérée. L'école n'insiste pas sur son opposition au programme ECR, car elle demande si peu : une simple équivalence pour un programme local si proche d'ECR. Comment peut-on refuser cela ?  La rançon de cette subtile modération pourrait bien être que la contrainte du gouvernement apparaisse, elle aussi, très modérée, raisonnable et donc légitime. Ou comme l'a déjà statué la Cour d'appel :  « Il n'y a pas de réelle atteinte ou, du moins, elle n'est pas significative. » Car après tout, rien interdit, comme aime à le rappeler le procureur général du Québec, à Loyola de sortir de la neutralité laïque imposée par ECR dans un cours d'éducation catholique séparé.

Espérons que ce ne sera pas le cas et qu'une levée de boucliers potentielle dans le Canada anglais retienne les juges et les empêche de soulever les épaules comme dans la cause S.L. c. C.S. des Chênes.