dimanche 23 mars 2014

Loyola contre Monopole de l'Éducation du Québec — résumé des positions écrites

Pour le compte rendu de l'audience en Cour suprême, cliquez ici.

Statue d’Ignace de Loyola à l’entrée de l’école du même nom
Le programme d’Éthique et culture religieuse (ECR) imposé dans les écoles du Québec sera mis à l’épreuve devant la Cour suprême ce lundi 24 mars 2014.

Le plus haut tribunal du Canada entendra la plainte du collège Loyola de Montréal contre le gouvernement du Québec qui refuse à l’école de tradition jésuite de concéder que son programme de morale et de religions du monde est équivalent au programme Éthique et de culture religieuse.

On trouvera ci-dessous un résumé des positions écrites des parties, de leur mémoire.

Le collège Loyola

1. Loyola jouit de la liberté de religion

Loyola fait valoir qu’il jouit de la liberté de religion en vertu de la Charte canadienne et la Charte québécoise. Le contexte historique de la liberté religieuse au Canada révèle l’importance de la liberté religieuse au niveau des personnes morales et des institutions. Au XVIIIe siècle, le traité de Paris et l’Acte de Québec garantissaient le libre exercice de la religion catholique au Canada. Les catholiques ne se virent pas seulement donner le droit, écrit Loyola, de « se livrer librement à la spéculation métaphysique privée », mais « de pratiquer la religion catholique sous tous ses aspects, à la fois individuelle et collective ». En fait, la protection de l’éducation religieuse était « sans doute l’aspect le plus critique de ce droit religieux collectif » et un sujet central du compromis historique entre catholiques et protestants scellé à la Confédération canadienne.

Loyola souligne ensuite que la jurisprudence de la Cour suprême (CSC) qui précède la promulgation de la Charte soutenait cette liberté religieuse de nature institutionnelle. Conscient de ce contexte lors de l’adoption de la Charte canadienne et la Charte québécoise, « Les rédacteurs de ces chartes ne pouvaient guère avoir à l’esprit une conception aussi restrictive que celle défendue aujourd’hui par le procureur général du Québec [pour qui la liberté religieuse ne s’applique qu’aux particuliers]. » Bien que la Cour suprême ait interprété la Charte canadienne jusqu’à ce jour en mettant l’accent sur la liberté de religion individuelle, ce n’est qu’en raison d’affaires importantes particulières que le tribunal a entendues et non parce que la dimension collective de la liberté religieuse ne serait pas protégée par la Charte canadienne.

La CSC a affirmé à plusieurs reprises que la protection de la Charte canadienne doit recevoir une interprétation large et libérale. Interpréter la Charte d’une manière qui restreindrait la protection des institutions religieuses par rapport à celle dont elles ont joui au Canada pendant 250 ans violerait ce principe d’interprétation. La dimension collective a toujours été partie intégrante de la liberté religieuse au Canada que ce soit pour les catholiques ou les autres.

2. La décision du ministre était déraisonnable

Loyola ne conteste pas la légitimité du gouvernement quand il insiste pour que tous les élèves reçoivent un enseignement sur les religions du monde et sur les décisions éthiques. Loyola soutient plutôt que le ministre a commis une erreur en rejetant sa demande d’équivalence de cours (1) en supposant sans preuve que les cours de Loyola ne pouvaient pas être « équivalents » au programme ECR du ministère parce qu’il est de nature confessionnelle et (2) en omettant de considérer l’impact de ce refus sur les droits d’une école religieuse.

En ce qui concerne le critère d’équivalence, le cadre réglementaire démontre la volonté du législateur de permettre une mise en œuvre souple des programmes éducatifs. Bien que le Québec ait récemment « laïcisé » le système scolaire public en répartissant les commissions scolaires sur une base linguistique plutôt que religieuses comme auparavant, ce changement ne visait que les écoles publiques. Cette déconfessionnalisation ne s’applique pas aux écoles privées qui sont régies par une législation distincte. Par conséquent, la décision du ministre sur la base de la confessionnalité d’un programme est contraire aux objectifs énoncés dans la loi.

Pour que la décision du ministre résiste à un examen approfondi, le ministre devait non seulement utiliser le bon critère, mais il devait également considéré l’impact de sa décision sur la liberté religieuse. Il n’existe aucune preuve que quiconque au sein du ministère impliqué dans cette décision a réfléchi à cette question.

L’impact sur la liberté religieuse est évident : le programme ECR prescrirait que Loyola abandonne son point de vue catholique dans l’enseignement de l’éthique et de la religion. « Le caractère catholique de l’école catholique pourrait être violé de différentes façons » notamment en interdisant la prière, mais « il est difficile [...] de concevoir une pire violation pire que celle qui consiste à forcer [une école catholique] de se départir de son catholicisme dans l’enseignement même de l’éthique et de la religion ». En outre, la pédagogie « neutre » du programme ECR rentre en contradiction avec la croyance jésuite que réduire la religion à une série d’habitudes et de pratiques culturelles c’est faire preuve d’un manque de respect envers cette religion et ses adeptes.

Pour illustrer ce qu’être un enseignant « neutre » signifie dans la pratique, le mémoire de Loyola fournit l’exemple d’un élève qui dirait approuver la pornographie permise par la loi ou qui dirait vouloir devenir un pornographe. Le professeur jésuite de Loyola ne pourrait critiquer les vœux de l’élève à la lumière de morale catholique. En fait, le programme exige que l’enseignant admette la prise de position de l’élève ou toute autre position qui ne serait pas illégale. Loyola compare l’argument du procureur général du Québec (PGQ) de se départir de son point de vue catholique pendant un seul cours à l’argument qui consisterait à dire aux juifs ou aux musulmans qu’ils ne doivent pas s’inquiéter parce qu’il n’y a que « quelques morceaux de porc dans le ragoût ».

Le procureur général du Québec

1. Loyola ne jouit pas de la liberté de religion

Bien que la CSC ne se soit jamais prononcée sur cette question, le PGQ présente plusieurs raisons pour lesquelles les personnes morales en général et Loyola en particulier ne bénéficient pas ce droit. Le PGQ soutient que selon la définition qu’en donne la Cour suprême, « la religion s’entend de profondes croyances ou convictions volontaires qui se rattachent à la foi spirituelle de l’individu et qui sont intégralement liées à la façon dont celui-ci se définit et s’épanouit. En effet, la liberté religieuse se rattache à la sphère spirituelle de l’individu et a une dimension subjective. »

Pour le PGQ, ceci ne peut s’appliquer aux personnes morales : « Or, une personne morale est dépourvue des facultés cognitives requises pour formuler une pensée abstraite, ou même des émotions essentielles à la possession d’une croyance sincère. En conséquence, elle ne peut bénéficier directement de la protection de l’alinéa 2a) de la Charte canadienne. »

En outre, Loyola est non seulement incapable d’avoir des pensées ou des croyances, mais l’école est incapable d’affirmer que les croyances de ses élèves sont à ce point homogènes qu’on pourrait en conclure que le programme gouvernemental violerait nécessairement leur liberté de religion.

2. Le refus d’équivalence du ministre était raisonnable

Le PGQ soutient que la décision du ministre était fondée sur des différences pertinentes entre les deux programmes, qu’elle était donc raisonnable et qu’elle doit être maintenue. Dans sa réponse à la demande d’équivalence de Loyola, le ministre a expliqué sa décision : le programme du ministère était non confessionnel alors que celui de Loyola était de nature religieuse ; le programme de Loyola « n’amène pas l’élève à réfléchir sur le bien commun, ni sur des questions éthiques, mais l’amène plutôt à adopter la perspective jésuite du service chrétien », « le programme ministériel dans son volet éthique ne propose pas d’enseignement moral alors que celui soumis par l’appelante apparait être axé sur l’enseignement des repères moraux édictés par l’Église catholique ; », ensuite « contrairement à ce que prévoit Ie programme ministériel, le volet culture religieuse du programme local de l’appelante vise l’étude des autres religions en lien avec la religion catholique ; » et enfin « la compétence “pratique du dialogue” du programme ministériel est absente du programme local soumis par l’appelante ».

Pour le procureur général du Québec, la simple absence du volet « pratique du dialogue » justifie le refus d’une équivalence de programme et donc d’une exemption de l’application du programme gouvernemental. Loyola fait, toutefois, valoir que bien que cette « pratique du dialogue » n’apparût pas dans la description de son programme, il est facile de combler cet oubli puisque les institutions jésuites sont célèbres pour la pratique de l’art du dialogue particulièrement quand il s’agit d’étudier la religion. L’accusation du ministre que Loyola d’enseigne pas la pratique du dialogue ne démontrer que l’ignorance du ministre.

Le PGQ souligne que le gouvernement peut déterminer la liste des matières qui doivent être enseignées aux élèves québécois dans les écoles publiques et privées. [Hélas !] Le programme ECR est obligatoire. Sa « nature non confessionnelle est […] au cœur même du programme ministériel ». Il vise à promouvoir « le vivre-ensemble et la promotion des valeurs démocratiques communes, tels la tolérance, l’ouverture à la diversité, le respect d’autrui et le droit à l’égalité. Il “n’impose d’aucune manière aux élèves l’adhésion à une croyance religieuse ou philosophique, ni d’agir en raison de motivations religieuses qu’ils ne partagent pas, ni de se comporter en contravention de leurs croyances individuelles” selon le ministère. [Nous ne sommes pas sûrs de cela.]

Enfin pour le procureur général du Québec, non seulement son programme est-il neutre, mais qu’il était raisonnable pour la Ministre de conclure que s’il y avait atteinte à la liberté de religion, elle serait tout au plus négligeable pour l’appelante. »

[Notons les petites omissions du PGQ quand il déclare :  « À cet égard, le Procureur général tient a souligner que les manuels analysés [en décembre 2008] par les experts de l’appelante, MM. Levesque et Farrow, n’étaient pas autorises par la ministre. »

1) Aucun manuel ECR pour le secondaire n’a été approuvé avant juin 2010 selon cette page !

2) Le matériel ne fut vraiment analysé que par M. Lévesque (voir le pointeur).

3) Ce matériel didactique peut être utilisé en classe sans problème, il doit simplement ne pas se nommer manuel, mais par exemple « cahier d’activités ».

4) Pour le procès de Drummondville, il existait quelques manuels approuvés pour le primaire, mais le procureur général du Québec fit des pieds et des mains pour que ne soit déposé à Drummondville qu’un manuel approuvé comme preuve, celui utilisé par l’école visée dans la classe de l’enfant dont on demandait l’exemption. Ce manque de manuels et de preuves fut ensuite reproché par les juges dans leur décision... Bien que le juge Lebel ait noté que « [58] À cet égard, le seul manuel scolaire versé au dossier laisse dans une certaine mesure perplexe quant à la présentation des rapports entre le contenu religieux et le contenu éthique du programme. » ]

Les intervenants

1. HSLDA (Association de défense juridique pour l’instruction à domicile)

La HSLDA regroupe des milliers de familles à travers le Canada, sa mission est de protéger le droit des parents d’instruire leurs enfants. La HSLDA prétend d’emblée dans son mémoire que l’issue de cette cause dépendra de l'interprétation que la CSC donnera au concept d’« équivalence ». L'importance de l'interprétation de ce terme ne se limite pas aux écoles privées. Ce critère s'applique également à l'enseignement à domicile.
Puisque le législateur n'a pas défini le terme «équivalent», il est logique de se référer à l'usage commun proposé par les dictionnaires. L’adjectif « équivalent » signifie, selon le dictionnaire Le Petit Robert :
« Dont la quantité a la même valeur; égal. En mathématiques, surface, volumes équivalents : égaux et de formes différentes. Équations équivalentes : qui admettent le même ensemble de solutions. »:
En jurisprudence québécoise, le terme « équivalent » a été analysé dans des contextes allant du droit du travail au bail d’habitation, en passant par le droit social et la santé et sécurité au travail. De cette variété de contextes se dégage un point commun : « équivalent » ne veut pas dire « identique » ;:
i) L’article 1964 C.c.q. parle de « loyer équivalent », en matière de reprise de possession de logement. Dans l’affaire Nantel c. Forsyth , le Tribunal précise : « Par "loyer équivalent", le législateur n’a sûrement pas voulu signifier un loyer identique. »;:

La HLSDA s'appuie encore sur plusieurs décisions pour démontrer qu’équivalent ne signifie pas identique. Comment déterminer si un programme est équivalent : il faut se demander s’il vise les mêmes objectifs et développe les compétences requises, pas comment il les atteint. À ce titre, la HSLDA ne pouvait présenter de preuves, mais quand les commissions scolaires évaluent les performances des élèves soumis au programme ECR, elles n’évaluent que les compétences, pas la pédagogie adoptée… Voir la grille d’évaluation ci-dessous (voir d’autres grilles ici).


Ceux qui choisissent d’instruire à la maison leurs enfants ne veulent pas simplement faire « l'école publique à la maison ». Au contraire, la liberté d’instruire ses enfants à la maison — comme la liberté de choisir une école privée — reflète le respect ancien en droit canadien pour la diversité de l'éducation comme une source d'enrichissement pour la société canadienne. Si l’on veut imposer le programme ECR dans une perspective laïque aux enfants des écoles privées, car tous les enfants du Québec « doivent en profiter ». Pourquoi le ministère s’arrêterait-il en si « bon » chemin ? N’est-il pas profondément injuste d’en priver les enfants instruits en famille ? Mais forcer les parents à adopter une approche non confessionnelle de l'enseignement éthique et des religions du monde serait contraire à la Charte québécoise et au Code civil (la maison comme le plus sûr des refuges). En pratique, l'imposition de l’enseignement « laïc » du programme ECR à tous semble exiger l’inspection de la maison lors de ces cours, l’utilisation de percepteurs dûment laïcs ou l’abolition complète du droit d’instruire ses enfants à la maison.

2. Conseil canadien des œuvres de charité chrétiennes (CCOCC)

Le CCOCC soutient que la position du procureur général du Québec est erronée en droit et en principe et que les personnes morales, comme l’appelant Loyola, bénéficient de la liberté de religion. Comme d’autres intervenants, la CCOCC fait référence à l’histoire, aux traditions politiques et à la jurisprudence canadiennes pour étayer l’élément collectif de la liberté religieuse.

Quand on considère les avantages liés à la liberté religieuse et ses œuvres, on ne peut que protéger cette liberté dans sa dimension collective : « La religion sans la reconnaissance de sa dimension collective est une coquille vide et la plénitude des droits est l’essence d’un respect approprié de la Constitution. »

Si cela est vrai, pourquoi la jurisprudence canadienne n’a-t-elle toujours pas exprimé clairement et avec conviction l’aspect collectif de la liberté religieuse ? « [P] arce que, jusqu’à récemment, ce droit n’a pas subi dans ce pays d’attaques soutenues qui auraient justifié une telle analyse. »

Ne pas protéger les associations religieuses revient à éviscérer la liberté religieuse. Le CCOCC souligne que la préservation de la distinction entre le rôle et le but de l’État et ceux de la société civile est indispensable, car la société civile, qui comprend les communautés religieuses, constitue une zone tampon nécessaire pour se protéger de la nature capricieuse et potentiellement coercitive de l’État.

En outre, la CCOCC suggère une définition potentielle de la liberté religieuse collective ou institutionnelle. Il ne s’agit pas simplement de la somme des droits des membres, mais d’un droit autonome permettant de déterminer et d’administrer les affaires religieuses internes de ces institutions sans ingérence de l’État et d’exercer une autorité morale sur leurs membres.

Pour les autres interventions (orales), voir le compte rendu de l'audience.





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