jeudi 14 novembre 2013

Afrique du Sud — Déconfiture de l'école publique, succès de l'école privée

De nombreuses écoles privées voient le jour en Afrique du Sud ces jours-ci.

L'augmentation précise est difficile à estimer. Le ministère de l'Éducation estime que le nombre d'élèves inscrits dans les écoles privées a augmenté de 76 % entre 2000 et 2010, une époque où de nombreuses écoles publiques étaient fermées pour des raisons de contestations syndicales. Le ministère évaluait le nombre de ces écoles en 2012 à 1.571, soit 6 % du total. Selon Ann Bernstein du Centre pour le développement et l'entreprise (CDE), ce chiffre est certainement trop bas. Le CDE, un réseau pensant, vient de publier un rapport sur les écoles privées abordables. Umalusi, une agence d'accréditation, a déclaré récemment qu'elle avait la responsabilité d'accréditer 3.500 de ces écoles privées. Beaucoup d'autres écoles ne s'inscrivent pas pour éviter les frais d'accréditation.

La raison pour laquelle les écoles privées prolifèrent ne fait pas de doute. Bien que l'Afrique du Sud soit un pays à revenu intermédiaire, son système d'éducation est loin d'être dans la moyenne mondiale. Le Forum économique mondial basé en Suisse l'a classé en 146e positon sur 148 pays — et dernier en mathématiques et en sciences. Ce n'est pas faute d'argent. L'éducation engloutit un cinquième du budget de l'État, un des plus hauts pourcentages au monde. Les enseignants sont relativement bien payés. Mais les normes sont peu élevées et les résultats lamentables. Seuls quatre élèves sur dix qui commencent l'école obtiennent le diplôme d'études secondaires même si la note de passage n'est que de 30 %, déclare le CDE. Seuls 12 % des élèves obtiennent des notes suffisamment élevées pour entrer à l'université. Et seuls 11 % obtiennent une note de 40 % ou plus en mathématiques.

Selon l'étude internationale Tendances de l'étude des mathématiques et des sciences (TEIMS) en 2011, les enfants sud-africains se plaçaient en dernière position parmi les 21 pays à revenu intermédiaire. L'enseignement des mathématiques est souvent très médiocre avec des enseignants qui souvent ne sont même pas en mesure de répondre aux questions dans les programmes qu'ils doivent enseigner... Une étude antérieure portant sur les enseignants de 6e année, seuls 23 % d'entre eux étaient parvenu à répondre correctement à une question précise.  Pour Nick Taylor, chef du service au centre d'évaluation nationale (Needu), de nombreux enseignants ne sont pas nommés au mérite, se reposent sur leurs lauriers et sont trop confiants quant à la manière dont ils enseignent leur matière. C'est ce qui ressort d'un sondage du TEIMS de 2011 parmi les professeurs de mathématiques de 9e année : 89% des enseignants sud-africains s'y déclaraient très confiants pour ce qui était de donner leur cours, comparés à 69 % des enseignants finlandais, 59% des professeurs de mathématiques de Singapour et 36% des professeurs en Chine.

Les syndicats d'enseignants ont interdit par leurs pressions l'inspection des écoles et toute évaluation du rendement des enseignants.

C'est pourquoi même les parents moins bien nantis sont prêts à payer pour envoyer leurs enfants dans des écoles privées, de ces écoles qui perdent de l'argent et leur clientèle si leurs élèves ont de mauvais résultats.

Vuleka, une chaîne de sept écoles primaires et maternelles à Johannesbourg facture des frais de 14.000 rands par an (environ 1.400 $/an). Ses résultats en lecture et en mathématiques sont bien au-dessus de la moyenne, mais elle paie ses institutrices un peu moins que l'école publique pour garder les frais d'inscription bas. « Les enseignants qui veulent enseigner savent qu'ils seront soutenus ici », précise Melanie Sharland, directrice générale. Mais Vuleka doit encore trouver 2.400 rands (240 $) par élève pour couvrir les frais d'enseignement. Un cinquième des élèves bénéficie d'une réduction des frais d'inscription. Beaucoup sont orphelins. Les bailleurs de fonds doivent donc contribuer encore plus.

Vuleka reçoit également une subvention équivalant à 25 % des 11.000 rands (1.100 $) que l'État considère comme le coût pour éduquer un enfant. Les écoles privées dont les frais d'inscription sont assez bas peuvent obtenir une subvention pouvant aller jusqu'à 60 % de ce montant. Selon Mme Bernstein du CDE, cette proportion devrait atteindre au moins 90 % comme au Pakistan et au Chili. Pourtant, de nombreuses écoles refusent de dépendre de ces subventions gouvernementales qui arrivent souvent en retard quand elles arrivent.

Le Congrès national africain (ANC), dont les dirigeants étaient des adeptes du marxisme[1] avant la fin de l'apartheid, ne se félicitera sans doute pas de l' essor de ces écoles privées pour pauvres. Mais aujourd'hui, il serait malvenu qu'il les condamne.

Sources : The Economist du 26 octobre 2013, The Sunday Times (Johannesbourg) du 27 octobre 2013 et Die Beeld (Johannesbourg) du 28 octobre 2013.

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[1] Le président de l'ANC et de l'Afrique du Sud, Jacob Zuma, n'a pas perdu certains réflexes de cette époque. Il a ainsi déclaré le 15 mars 2004 : « L'ANC dirigera l'Afrique du Sud jusqu'au retour de Jésus ». Le 4 février 2011, il ajoutait : « Quand vous avez une carte de membre de l'ANC, vous êtes béni. » Et le 12 janvier 2013, il précisait : « J'ai toujours dit qu'un homme d'affaires avisé soutiendrait l'ANC... parce que soutenir l'ANC signifie que vous investissez à très bon escient dans vos affaires. »

1 commentaire:

Françoise a dit…

Bizarrement, on n'entend à la SRC que de bonnes choses sur l'Afrique du Sud et de son régime ANC. Si, par hasard, ça va pas c'est toujours la même raison : c'est la faute de l'apartheid disparu il y a plus de 20 ans....