mardi 4 décembre 2012

Les parents veulent s'investir dans les devoirs de leurs enfants

À l’heure où le ministère de l’éducation nationale est à la recherche d’un scénario pour supprimer les devoirs à la maison — suppression préconisée dans le rapport issu de la concertation pour la « refondation de l’école » convoquée cet été —, Séverine Kakpo, enseignante-chercheuse en sciences de l’éducation, publie une enquête sur la mobilisation des familles populaires autour de cet enjeu. Un travail de terrain d’une année environ que cette ex-professeure de lettres en Seine-Saint-Denis a mené, dans les quartiers populaires de la périphérie parisienne, auprès d’une vingtaine de familles dont les enfants sont scolarisés à la charnière de l’école primaire et du collège. Les résultats de ce travail ethnographique viennent étayer les données de l’Insee : loin du cliché sur la «  démission parentale », les familles populaires ont foi en l’utilité des devoirs, s’investissent chaque soir — ou presque. Et si l’abolition des devoirs, officiellement interdits depuis 1956, n’était pas le véritable enjeu ?

S'appuyant sur les résultats d'une enquête ethnographique conduite auprès de familles appartenant aux couches sociales modestes mais encore suffisamment préservées par la précarisation de l'emploi et des conditions de vie pour s'autoriser le développement de « dispositions scolastiques », le livre de Séverine Kapko opère une plongée dans le quotidien de la préoccupation scolaire des familles et montre comment les parents transforment leur foyer en institution de sous-traitance scolaire mais aussi en institution pédagogique autonome puisqu'ils sont bien souvent prescripteurs de travail « en plus ». L'enquête montre que ces familles qui donnent, sur le plan social, tous les gages de conformité aux attendus de l'école font souvent, sur le plan des savoirs, l'expérience d'une profonde désorientation, peinant à se retrouver dans les méandres opaques du curriculum scolaire contemporain (programmes changé à dessein selon des gens comme Alain Finkielkraut pour empêcher la reproduction des élites, alors que le résultat inverse a été obtenu !)

Les familles sont déçues, comme un des pères interrogés, face à des manuels comme celui de sciences de la vie et de la terre de son fils : « Il n'y a que des images, pas trop de textes, que de l'illustration… » L'apprentissage de la lecture, avec la méthode désormais « semi-globale », désarçonne aussi. « Ils apprennent à lire par cœur » des mots entiers, s'étonne une mère qui s'étonne de cette méthode contraire au code de l'écriture..

À l'autre bout de l'échelle sociale, bien des familles réprouvent également certaines de ces pédagogies. « La différence tient au fait que les familles plus aisées comprennent la démarche », estime Séverine Kakpo qui semble désapprouver la « désorientation des parents ». Il n'empêche : mêmes ces familles plus aisées n'adhèrent pas et vont chercher ailleurs — du côté des établissements privés sous contrat, voire hors contrat, et des organismes de soutien (les percepteurs modernes) — ce que l'école n'apporte pas à leurs enfants.

Certaines développent en outre des formes actives de résistance pédagogique : ils continuent à enseigner à l'ancienne, achètent des livres d'apprentissage de la lecture syllabique, demandent à leurs enfants d'apprendre des faits, des règles, des dates, font des dictées. Au grand chagrin des pédagogistes modernes en cour. Ouvrant la « boîte noire » des pédagogies familiales, l'ouvrage analyse la manière dont les parents réinterprètent le curriculum et met en évidence l'existence de dissonances entre codes scolaires et codes familiaux.

Les devoirs à la maison,
Mobilisation et désorientation des familles populaires
de Séverine Kakpo
aux Presses universitaires de France (PUF)
publié en septembre 2012
192 pages.

Voir aussi

« Les moments passés avec les enfants sur les devoirs sont précieux »

Pourquoi 68 % des Français sont opposés à la suppression des devoirs scolaires





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