vendredi 24 août 2012

Anne Coffinier, à l’école de la liberté

Fondatrice de l’association Créer son école, Anne Coffinier a choisi de s’engager dans l’éducation pour y cultiver les vertus d’indépendance et de liberté.

« J’ai vécu toute mon enfance à Manosque. Mon père, qui était une personne atypique, avait fait des études de droit puis, par esprit d’indépendance, par goût de la liberté, était devenu antiquaire. Il restaurait ses meubles, travaillant à la maison, sans horaires. Il sillonnait la France et, enfant, je l’accompagnais, dormant dans les horloges, dans les armoires. J’aimais cela. La liberté, l’action de rendre la vie aux meubles, de comprendre l’esprit dans lequel ils avaient été faits. »


Liberté. Indépendance. Transmission. Des mots essentiels, prononcés d’une voix nette où perce un petit accent provençal, des mots qui guideront une vie et détermineront des choix. Si l’on songe à Anne Coffinier aujourd’hui, c’est le concept des écoles libres qui vient à l’esprit. L’association qu’elle a fondée en 2004, Créer son école, a pour but de mutualiser et de rendre accessible le savoir-faire des créateurs et directeurs d’école indépendante, afin d’aider les personnes désireuses de développer une telle structure. « Une boîte à outils pour créer sa propre école. » L’association s’est doublée d’une fondation – logiquement appelée Fondation pour l’école et reconnue d’utilité publique en 2008.

Pourtant, ce choix – l’éducation – n’est pas forcément allé de soi. Il procède d’une réflexion et constitue une réponse à la question de l’engagement. « À un moment donné de ma vie, j’ai eu besoin de sens et d’unité. Je me suis demandé quels étaient les secteurs fondamentaux pour moi. J’en ai trouvé deux : la défense de la vie et l’enseignement. Je me suis trouvée mieux placée, plus qualifiée, pour le second. »

Avant d’en arriver à cette question du choix, de l’engagement, Anne Coffinier avait suivi un parcours “classique” : bac scientifique, prépa littéraire à Louis-le-Grand, École normale supérieure. Une élève douée ? Elle préfère mettre en avant des vertus éducatives : « Mon père m’avait tellement répété que je ne savais rien, que j’avais encore tout à apprendre, et j’en étais tellement persuadée moi-même, que les premières notes catastrophiques, qui font souvent si mal aux élèves des classes prépas, m’ont au contraire semblé normales. Je me disais : “Voilà enfin quelque chose de sérieux.” Je me suis accrochée et je suis rentrée à l’ENS en série histoire. »

Rue d’Ulm, Anne Coffinier pressent rapidement que l’univers de l’enseignement auquel elle se trouve donc destinée est, selon ses mots, « sinistré » : jeunes professeurs désespérés par les conditions d’exercice de leur métier, système bloqué, irréformable. L’idée qu’elle puisse s’épanouir dans cette voie-là s’en trouve ébranlée. Reste la possibilité de démarrer un troisième cycle mais, « généraliste dans l’âme », elle ne se sent pas faite pour l’“ultraspécialisation” qu’implique souvent la recherche. Sa décision est prise : renonçant à l’agrégation ou au doctorat, elle va quitter l’ENS pour préparer l’Ena. Un “crime de lèse-majesté” au regard de la mentalité normalienne, mais aussi un choix surprenant eu égard à la tradition d’indépendance cultivée en famille. « La fonction publique, c’était l’État, c’était l’idéologie, s’engager là-dedans n’allait pas de soi, chez nous. »

Elle s’inscrit néanmoins à Sciences Po, et la voilà bientôt dans la prestigieuse école d’administration. Elle en suit brillamment la scolarité – “majorant” même le grand oral – mais déchante très vite : « À Sciences Po, j’avais déjà des doutes quant à la possibilité de changer les choses de l’intérieur, mais à l’Ena ce fut le coup de grâce. On comprend tout de suite que, si l’on veut faire carrière, il ne faut surtout rien changer. » Ayant entre-temps rencontré son futur mari, un diplomate, elle opte pour le Quai d’Orsay à la sortie de l’école, comme “rédactrice Afrique des grands lacs”, supervise l’opération de maintien de la paix Artémis, en Ituri, en République démocratique du Congo, trouve le temps de mettre deux enfants au monde et de contracter la tuberculose. Bien que passionnée par le Proche-Orient (elle a séjourné dans tous les pays du Machrek), elle choisit cependant de ne pas persévérer dans la diplomatie. « Je ne me sentais pas le profil “serviteur de l’État”, dans une fonction qui reste de surcroît très standardisée, où il est difficile d’apporter sa touche personnelle. »

C’est à cette époque, durant sa convalescence, qu’Anne Coffinier va mûrir les réflexions qui aboutiront au concept de Créer son école. C’était en 2004. Ayant fait le choix de s’investir dans l’éducation, d’y apporter une touche personnelle doublée d’une certaine efficacité et d’un esprit de méthode, elle découvre les écoles libres. Le concept lui plaît. « C’était un monde de rigueur, de cohérence ; je retrouvais ces valeurs d’indépendance, de transmission, de traditions intellectuelles et morales, mais aussi de liberté. Il me semblait que la structure même de l’école libre était vraiment féconde pour notre époque. »

Mère de trois enfants, elle mesure aussi, à travers leur scolarité, ce qui sépare les deux systèmes. Certains lui suggèrent d’investir son énergie dans le cadre même de l’Éducation nationale. « Cela me semble précisément impossible. D’autres s’y sont essayés avant moi et cela n’a rien donné. » Elle s’étonne du reste de cet «  attachement atavique » au modèle de l’école unique, monolithique, incarné par l’Éducation nationale. « Il y a en France un problème de vision de la liberté scolaire. Les gens sont très étatistes, égalitaristes, anti-élites, tout en reconnaissant qu’il y a quantité d’élèves malheureux dans le système. »

On lui rétorque que les écoles libres vont favoriser le communautarisme. Un argument qu’elle prend très au sérieux mais réfute, calmement. « Il faut d’abord s’entendre sur ce mot : s’il s’agit de la volonté qu’ont des parents d’élever leurs enfants ensemble, dans des valeurs qu’ils partagent, je ne vois pas où est le problème. C’est une volonté naturelle. En revanche, s’il s’agit de se couper du monde, de vivre entre soi, c’est une affaire de mentalité qui dépasse le cadre de l’école. L’esprit de ghetto peut exister partout, même dans l’école publique. Le meilleur moyen de se prémunir contre ce risque, c’est l’excellence. Si la recherche de l’excellence est affichée, et effective, des élèves de tous horizons rejoindront la structure et en assureront la nécessaire diversité. »

Autre critique récurrente, celle de ne voir dans les écoles libres que des institutions catholiques. Anne Coffinier invalide la critique, chiffres à l’appui. « Les trois cinquièmes des écoles que nous référençons ne sont pas confessionnelles, explique-t-elle. Et si, dans celles que nous soutenons, beaucoup sont catholiques, la raison en est assez simple : de par nos statuts, nous ne pouvons soutenir que des écoles à but non lucratif et gérées de manière désintéressée. Or qui crée ce type d’école ? Des gens qui ont une foi. Les autres créent des structures commerciales… »


La foi, justement. Là aussi le cheminement d’Anne Coffinier échappe à la norme. Baptisée dans la foi catholique, organiste d’église de 11 à 17 ans, mais frappée par la crise intellectuelle, liturgique, philosophique, esthétique que vit l’Église catholique en France, elle s’en détourne “avec rage”. Ce n’est que bien plus tard, lors d’une messe à laquelle elle assista, qu’elle fut soudainement ramenée au catholicisme. « Ce fut une conversion instantanée. J’ai eu soudain la révélation que la Vérité, la vitalité à laquelle j’aspirais ardemment depuis toujours, subsistait dans l’Église, dans le dépôt de la foi. Cette découverte m’a donné beaucoup d’énergie et, surtout, tous les éléments intellectuels, politiques, culturels que j’avais en moi, de manière disparate, se sont agrégés, ont pris sens et ordre. »

Une renaissance dont le souffle la porte encore aujourd’hui. De l’Écosse, où elle accompagne son mari diplomate, elle dirige le développement de la Fondation. Les projets abondent : « nous allons proposer des programmes scolaires, plus cohérents et plus exigeants, et les rendre disponibles pour tous. Nous expérimentons cette rentrée le lancement d’une école indépendante en banlieue difficile pour montrer que, là aussi, là surtout, la réponse passe par plus de liberté. »

Mickaël Fonton



www.fondationpourlecole.org




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