mercredi 5 octobre 2011

France — « L’école publique a un besoin vital d’écoles privées qui lui fassent concurrence »

Anne Coffinier, présidente et fondatrice de la Fondation pour l’École, lance son carnet. Extraits d'un entretien autour de son combat.

1/ Vous venez de lancer un nouveau blog, quelle est son adresse et quel est son but ?

L’adresse de notre nouveau blog est www.liberte-scolaire.com, avec son équivalent sur Facebook et Twitter. Son but ? Apporter toutes les informations et réflexions qui peuvent être utiles pour relever l’école en France. Notre prisme : la liberté scolaire, car nous avons la ferme conviction que c’est en appelant les acteurs éducatifs à leurs responsabilités et à leurs libertés propres que nous parviendrons ensemble à sauver l’école. C’est au niveau local, à savoir au niveau de l’établissement scolaire et peut-être aussi de la commune, qu’aura lieu le sauvetage de l’école. La rue de Grenelle [le Ministère] a, quant à elle, fait la preuve ces quarante dernières années de son incapacité à conduire les réformes qui s’imposaient. En raison de son gigantisme, de sa gestion centralisée, de sa politisation et de son conservatisme corporatiste, l’Éducation nationale est incapable de se réformer d’elle-même. Pour sauver l’école de la Nation, il est urgent de stimuler l’Éducation nationale de l’extérieur. Le développement d’un secteur privé dynamique, réellement libre de ses choix de programmes, de méthodes et de recrutement pour assurer la meilleure efficacité pédagogique possible, est indubitablement un aiguillon précieux pour l’école publique. Notons d’ailleurs que le monopole dans lequel l’Éducation nationale s’est installée ne va pas de soi. Il n’est en tout cas pas conforme à la conception qu’en avaient les pères fondateurs de la République, telle que définie brillamment par le grand Condorcet (cf. nos articles du 11 août 2011 (vidéo) et du 15 février 2010 sur Pour une école libre). Selon l’auteur des Cinq mémoires sur l’instruction publique (1791), l’école publique a un besoin vital d’écoles privées qui lui fassent concurrence ; ce serait le meilleur moyen pour que les écoles publiques ne s’endorment pas sur leurs lauriers mais que, cherchant toujours à supplanter les écoles privées, elles soient poussées à se dépasser elles-mêmes. L’école publique monopolistique actuelle est donc, dans son principe comme dans ses résultats, une trahison de l’école républicaine authentique.

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2/ Vous parlez de « fissure dans le mur de Berlin », pourquoi ?

Aujourd’hui, tout observateur sérieux de la question scolaire comprend que la guéguerre entre l’école privée et l’école publique appartient au passé. Seuls quelques idéologues dont c’est le lucratif fromage s’en délectent encore. Mais les citoyens, eux, veulent simplement une école qui instruise, qui donne ainsi à chacun sa chance de vivre debout sa vie d’adulte.

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Face à l’immensité des défis éducatifs et même civilisationnels, l’urgence est de définir des programmes scolaires exigeants et cohérents, de donner aux écoles les moyens de fonctionner correctement: or, force est de constater que les écoles (qu’elles soient publiques ou privées) ont besoin d’un directeur doté d’un véritable pouvoir pédagogique et disciplinaire, ce qui suppose de nommer des directeurs qui soient reconnus par leurs pairs d’un point de vue académique et managérial. Les écoles doivent pouvoir renvoyer les élèves, les familles ou les professeurs qui ne remplissent pas leur devoir respectif. Les écoles doivent imposer une discipline et une régularité propices à l’étude et à la réussite de tous, surtout de ceux qui n’ont personne à la maison pour compenser les insuffisances de l’institution scolaire.
L’école ne tire sa légitimité que du service qu’elle rend aux familles. Si l’école publique ne remplit plus la mission que la République lui a confiée, alors il faut que la société civile mais aussi les collectivités locales fondent de nouvelles écoles. Il n’est plus temps de sacraliser l’école publique et d’en faire un absolu intemporel. En « horizontalisant » l’autorité, en dévalorisant les savoirs, en ouvrant l’école au monde, en en faisant le lieu d’expérimentation des dernières théories pédagogistes, en refusant la sélection par le mérite, des générations de réformateurs idéologues ont pris la responsabilité de désacraliser et ravager l’école publique. Il nous incombe aujourd’hui de trouver des moyens réalistes de relever l’instruction en France, et par là-même d’assurer l’avenir de notre Nation.

Il y a urgence parce qu’on ne peut pas sacrifier davantage d’enfants et parce qu’on ne peut pas laisser plus longtemps des professeurs dévoués dans des situations de travail si déplorables. Il y a aussi, il faut le reconnaître, une urgence budgétaire à mettre en place un système scolaire plus performant. Des replâtrages ne suffiront pas. Une énième réformette ne sauvera pas l’école. Pour refonder l’école, tout en minimisant les risques d’erreur globale et en prenant en compte la variété des aspirations de la société en matière d’éducation, il faut miser sur la liberté scolaire. De plus en plus de professeurs de l’école publique ou sous contrat songent sérieusement à fonder leur propre école, à l’instar de Françoise Candelier de l’école du Blanc Mesnil dans le Nord. Ils doivent y être encouragés. Cette année, 25 nouvelles écoles indépendantes ont ouvert leurs portes sans un euro d’aide de l’État. Elles représentent un immense espoir et le service qu’elles rendent est vraiment d’intérêt général : elles offrent une alternative précieuse aux familles lorsque ces dernières ne sont pas satisfaites du service rendu par les écoles du service public. Qu’y aurait-il de scandaleux à encourager le libre choix et donc le développement d’alternatives aux écoles d’État ? (“L’État proclame et respecte la liberté de l’enseignement et en garantit l’exercice aux établissements privés régulièrement ouverts“, disait déjà la loi Debré dans son premier article.)

Ce qui est scandaleux, c’est plutôt de ne rien proposer à tous ces enfants qui sont otages d’établissements publics qui ne dispensent plus un enseignement de qualité.

Nul n’a besoin d’être prophète pour prédire que l’essor du secteur privé en matière éducative est désormais inéluctable. Ce qui n’est pas joué en revanche, c’est de savoir si ce seront des écoles libres au service du bien commun qui s’imposeront ou bien au contraire des marchands de soupe guidés par des préoccupations exclusivement mercantiles. Tout dépendra de l’attitude des pouvoirs publics : s’ils desserrent enfin l’étau qui étouffe les écoles privées classiques, ces dernières se développeront de telle manière qu’il n’y aura plus de place pour les marchands de soupe.

3/ Une affaire a défrayé la chronique récemment, la création d’une école hors-contrat dans les Hautes-Alpes pour remplacer une classe fermée par l’État. Le hors-contrat [les écoles privées non subventionnées] est-il la solution pour le maintien de la continuité du service public dans les campagnes ?

Hors contrat, cela veut dire libre. En créant une école hors contrat, le maire de Puy-Saint-Vincent a défendu la liberté de choisir, au niveau local, ce qui allait dans l’intérêt des enfants : une classe dans sa commune, financée par une association qui a eu le libre choix de son institutrice, au lieu d’un système de ramassage scolaire éprouvant et coûteux.

Nous croyons en effet qu’une école libre de choisir ses professeurs, son programme, ses méthodes est structurellement meilleure qu’une école que l’État ouvre ou ferme sans même demander aux citoyens leur avis, qui est dirigée par un directeur qui n’a pas le droit de recruter son équipe ni de se défaire d’un professeur incompétent, qui est obligée de suivre le programme de l’État lequel est toujours plus instable, vide et déstructurant d’une année sur l’autre… Il est déplacé que les professeurs soient traités comme des pions, des agents d’exécution mutables et malléables à merci, comme c’est largement le cas dans l’école publique et sous contrat. Les écoles sont chargées d’engendrer les enfants à la liberté. Si elles ne jouissent pas d’une pleine liberté et d’une responsabilité devant la société civile, alors elles ne seront pas susceptibles de remplir leur mission. Elles ne sont dès lors plus d’intérêt général. Elles deviennent une machine à accélérer les inégalités sociales, à condamner les plus pauvres, à rendre médiocres ceux qui auraient pu devenir les élites dont notre pays a besoin.

4/ Michel Desmurget, directeur de recherche à l’INSERM, auteur de TV Lobotomie, explique que la télévision est une des principales responsables des difficultés rencontrées par les enfants actuellement à l’école. Pourtant peu d’experts dans le domaine de l’éducation en parlent, pourquoi selon vous et qu’en pensez-vous ?

La parution de ce livre est fondamentale car il est urgent de libérer les enfants de la télévision et plus largement de la virtualisation de leur univers pour les aider à s’ancrer dans la réalité, à habiter leur corps, leur époque, leur vie. La télévision, les jeux vidéos, les réseaux sociaux… sont l’opium du peuple. Un peuple devenu allergique au silence, allergique à l’intériorité. La télévision nous habitue à la passivité. En violant constamment notre sensibilité, elle émousse notre capacité de compassion et d’indignation, elle nous prépare à toutes les compromissions, à toutes les abdications. Il est intéressant de noter que dans nombre d’écoles indépendantes la télévision est interdite à l’école et très fortement déconseillée à la maison en semaine. Il est demandé aux familles de choisir avec beaucoup de soin les rares films ou émissions qui seront montrés aux enfants, et, dans la mesure du possible, de les voir avec eux, en leur expliquant ce qui mérite de l’être. Le livre de M. Desmurget sort à point nommé alors que le ministère de l’Education est tenté par l’appel du tout numérique. L’enfant a besoin de développer ses sens, ses capacités perceptives, son habilité manuelle… C’est un besoin fondamental pour son développement cognitif. Les méthodes Montessori ou Vittoz par exemple insistent avec raison sur cette dimension sensible de l’éducation de l’enfant, qui doit apprendre à regarder, écouter, toucher, goûter.

5/ Le sociologue Raymond Boudon explique depuis des dizaines d’années que l’inégalité scolaire vient notamment du fait que les familles s’ingèrent dans l’orientation de leurs enfants, au lieu de laisser ce choix aux instituteurs et aux enseignants. Qu’en pensez-vous ?

La thèse de ce grand sociologue français date des années 1970, bien qu’il l’ait rééditée dans une version abrégée cette année (cf. La sociologie comme science, 2011). Il importe donc de voir qu’en défendant cette thèse, R. Boudon s’opposait à la doctrine dominante de l’époque (et qui l’est encore aujourd’hui) selon laquelle les inégalités scolaires proviendraient de la prétention de l’école à transmettre des connaissances, à classer les enfants. Lui montrait qu’en fait, les différences scolaires apparaissaient au niveau de l’orientation et étaient dues au fait que les parents de niveaux sociaux élevés poussaient les enfants à continuer malgré un jugement contraire de l’institution scolaire tandis que les parents de milieux sociaux plus simples acceptaient le verdict du maître et n’hésitaient pas à faire interrompre les études à leurs enfants ou les orienter dans des filières courtes. Mais il ne s’agirait pas d’en tirer comme conclusion que R. Boudon est favorable à l’éloignement des familles de l’orientation et à l’emprise totalitaire de l’institution scolaire sur l’avenir des enfants !

Ce qui m’intéresse plutôt, en 2011, c’est de revenir à ce fameux objectif de réduction des inégalités. Je voudrais rappeler, au risque de choquer, que le but de l’institution scolaire n’est pas de réduire les inégalités, qu’elles soient sociales ou scolaires. La finalité de l’école est de donner à chacun les connaissances et habitudes de raisonnement et de travail qui lui permettront de développer toutes ses potentialités et de répondre à sa vocation propre. Que des enfants doués ou très suivis aient de meilleures résultats scolaires que des enfants peu doués ou peu aidés n’a rien de surprenant, et c’est inévitable. Ce que requiert plutôt la justice, si l’on refuse de donner dans l’utopie, c’est que chaque enfant – égal en droits avec les autres – reçoive une solide instruction de base qui lui permette de cultiver sa nature, ses dispositions, d’accéder à un métier ou à des savoirs qui correspondent à ses aspirations. Il faut aussi qu’il puisse poursuivre des études supérieures, s’il en a le niveau et le désir, quelles que soient ses origines sociales. Bref, c’est d’une méritocratie dont nous avons besoin. R. Boudon est, il me semble, d’accord avec cette idée que c’est précisément en considérant l’école comme un lieu de transmission des connaissances que l’on réduira de facto le plus les inégalités.




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