vendredi 2 septembre 2011

Mark Steyn — Du danger de l’indolence dans les sociétés contemporaines


Par Mark Steyn — Mes propos ce soir ont pour titre les mots du général Stark1, le grand héros du Nouvel Hampshire durant la Guerre d'indépendance des États-Unis : « vivre libre ou mourir ! »2. Lorsque je suis venu habiter dans le Nouvel Hampshire, où ces mots sont inscrits sur nos plaques minéralogiques, je croyais que le général Stark avait prononcé ces paroles à l’occasion d’une quelconque bataille – quelques mots bien sentis pour encourager ses hommes avant la charge ; un peu à la Henri V à Azincourt.

Mais j’ai rapidement découvert que le général avait fait cette fameuse déclaration des décennies après la guerre, dans une lettre où il exprimait ses regrets de ne pouvoir assister à un diner auquel il était convié. Curieusement, j’ai trouvé cela encore plus frappant. Dans des circonstances extrêmes, beaucoup de gens sont capables de redécouvrir en eux-mêmes les impulsions primitives. C’est ce qu’ont fait les courageux passagers du vol 933. Ces hommes ont décollé pour ce qu’ils croyaient être un voyage d'affaires de routine et, lorsqu’ils ont compris que ce n’était pas le cas, ils sont entrés en mode général Stark et se sont écriés « On fonce ! »4. Mais il est plus difficile de conserver cet état d’esprit – « vivre libre ou mourir ! » – lorsque ce n’est pas à une crise immédiate que vous faites face, mais à mouvement un lent, progressif, impitoyable, incessant, toujours dans la même direction5.

« Vivre libre ou mourir ! » ressemble à un cri de guerre : nous l’emporterons ou bien nous mourrons en essayant, nous mourrons d’une mort honorable. Mais c’est en fait quelque chose de beaucoup moins dramatique : c’est la description toute simple de la réalité de nos existences dans l’Occident prospère. Vous pouvez vivre comme des hommes libres, mais, si vous choisissez de ne pas le faire, votre société mourra.

On suppose en général que mon livre America Alone6 a pour sujet l’islam radical, les imans éructant des prêches enflammés, les jeunes gens irritables qui s’agitent dans les rues en exécutant la vieille pantomime « mort au Grand Satan ».
« L’indolence, comme Machiavel l’avait bien compris, est le plus grand ennemi d’une république »

Ce n’est pas le cas. Son sujet, c’est nous. Son sujet c’est la manifestation, peut-être fatale, d’une vieille tentation des civilisations. L’indolence, comme Machiavel l’avait bien compris, est le plus grand ennemi d’une république. Lorsque j’ai commencé à avoir des ennuis avec les soi-disant commissions « des droits de l’homme », au Canada, il semblait étrange que la gauche progressiste fasse cause commune avec l’islam radical7. Une partie de l’alliance se compose de laïcards féministes et homophiles, l’autre partie de théocrates misogynes et homophobes. Même comme une version au rabais du pacte Hitler-Staline, cela n’avait aucun sens. Mais, en fait ce qu’ils ont en commun l’emporte sur ce qui les oppose, et qui est en apparence plus évident : aussi bien les progressistes laïcs étatistes que l’islam politique repoussent avec horreur le concept de citoyen, de l’individu libre investi de la possibilité d’agir à l’intérieur de sa propre sphère sociale, d’assumer ses responsabilités, et de développer son potentiel.



Dans la plupart des pays développés, L’État a progressivement accaparé toutes les responsabilités de l’âge adulte – les soins de santé, la garde des enfants, les soins aux personnes âgées8 – à tel point qu’il a effectivement coupé ses citoyens des instincts primaires de l’humanité, à commencer par l’instinct de survie.

Hillary Rodham Clinton a déclaré qu’il fallait un village pour élever un enfant9. C’est censé être un proverbe africain, même s’il n’y a aucune preuve que qui que ce soit ne l’ait jamais utilisé en Afrique, mais laissons cela. P. J. O’Rourke10 a magnifiquement résumé tout ça : il faut un village pour élever un enfant. Le gouvernement est le village et vous êtes l’enfant. Oh, et à propos, même s’il fallait un village pour élever un enfant, je ne voudrais pas que ce soit un village africain. Si vous survolez la nuit la côte Ouest de l’Afrique, les lumières ne forment qu’une seule et gigantesque mégalopole côtière : même les Africains ne considèrent pas le village africain comme un modèle social pertinent. Mais le village européen ne l’est pas non plus. La dépendance de l’Europe à l’État-providence, aux droits sociaux financièrement insoutenables, à la sécurité sociale du berceau à la tombe, et une dépendance à l’égard de l’immigration de masse nécessaire pour soutenir ce système sont devenues une menace existentielle pour quelques-uns des plus vieux États-nations du monde.

Et maintenant les derniers à résister, les États-Unis, sont en train de prendre le même sinistre chemin : après que le Président ait dévoilé son budget, j’ai entendu des Américains se plaindre : « Oh, c’est un nouveau Jimmy Carter » ou « C’est à nouveau la Grande Société de Johnson », ou bien « un nouveau New Deal ». Si seulement c’était vrai. Ces comparaisons bon marché permettent tout juste de donner une petite idée de l’européanisation générale qui est en cours. Le budget gargantuesque de notre 44e Président, le premier d’une longue série, augmente davantage la dette nationale que tous les 43 précédents réunis, de George Washington à George Deubeulyou11. Le Président veut une assurance maladie à l’européenne, des crèches à l’européenne, une éducation nationale à l’européenne, et, comme les Européens l’ont découvert, même avec des taux d’imposition à l’européenne, le compte n’y est pas. En Suède, la dépense publique représente 54 % du PIB. En Amérique, c’était 34 % – il y a dix ans. Aujourd’hui, c’est près de 40 %. Dans quatre ans, ce chiffre aura atteint un niveau très suédois.
« Oubliez l’argent, le déficit, la dette, les grands nombres avec douze zéros derrière (…) Le problème ce n’est pas le coût. »
Mais laissons de côté l’argent, le déficit, la dette, les grands nombres avec douze zéros derrière. Ceux que l’on appelle les conservateurs fiscaux se trompent souvent de problème. Le problème n’est pas le coût. Ces programmes seraient mauvais même si Bill Gates faisait tous les mois un chèque pour les financer. Ils sont mauvais parce qu’ils pervertissent la relation entre le citoyen et l’État. Même s’il n’y avait pas de conséquences financières, les conséquences morales et même spirituelles seraient toujours fatales. C’est le stade qu'a atteint l’Europe.

L’Amérique est juste au début de ce processus. J’ai regardé les classements dans La Liberté dans les 50 États, publié par l’université George Mason le mois dernier12. Le Nouvel Hampshire est numéro un, l’État le plus libre de la nation, ce qui en fait presque à coup sûr l’endroit le plus libre dans tout le monde occidental. Et ça m’a plutôt déprimé. Car « l’État du granit13 » me semble beaucoup moins libre que lorsque j’y suis arrivé, et puis vous espérez toujours qu’il existe un ailleurs où aller, juste au cas où les choses tourneraient mal et que vous deviez reprendre la route. Et, au fond du classement, aux cinq dernières places, il y avait le Maryland, la Californie, le Rhode Island, le New Jersey, et l’État le moins libre de toute l’Union, d’assez loin : New York.

New York ! Que dit la chanson ? « Si vous pouvez réussir ici, vous pourrez réussir n’importe où ! »14. Si vous pouvez réussir ici, vous êtes une sorte de génie. « C’est le pire manque à gagner fiscal depuis la Grande Dépression » a annoncé le gouverneur Patterson il y a quelques semaines. En conséquence qu'annonce-t-il ? Il prépare la plus forte augmentation d’impôt de toute l’histoire de New York. Si vous pouvez réussir ici, il peut vous taxer ici – grâce à une taxe municipale, des taxes sur les ventes, une taxe doublée sur la bière, une taxe sur l’habillement, une taxe sur les courses en taxi, une « taxe iTunes », une taxe sur les coupes de cheveux, 137 nouvelles hausses d’impôts en tout. Appelez aujourd’hui le 1-800-I-♥-NEW-YORK et commandez votre nouvelle trousse de formulaires fiscaux pour juste 199,99 $, plus la taxe de 12 % sur les formulaires fiscaux et les frais de dossiers de 4 % partiellement remboursable au paiement de la taxe de 7,5 % sur les déclarations de revenus. Si vous pouvez réussir ici, vous n’aurez certainement aucune difficulté à réussir au Tadjikistan.


New York, la Californie…ce sont les grands États emblématiques des États-Unis, ceux dont nous les étrangers15 avons entendu parler. Pour un émigrant sans le sou appelé Arnold Schwarzenegger, la Californie était un État riche, un pays de cocagne. Aujourd'hui, Arnold est un émigrant riche établi dans une contrée sans le sou : ce n’est pas exactement un progrès. L’un de ses prédécesseurs au poste de gouverneur, Ronald Reagan, a eu ce mot célèbre : « Nous sommes une nation qui a un gouvernement, pas l’inverse. » En Californie, c’est maintenant l’inverse : de plus en plus la Californie est un gouvernement qui a un État. Et elle n’en est qu’au début du processus. La Californie a trente millions et quelques habitants. Le Québec en a sept millions. Pourtant, la Californie et le Québec ont à peu près le même nombre de fonctionnaires.

« Il y a une bonne dose de gaspillage dans une nation »16 a dit Adam Smith, et l’Amérique a encore un long chemin à parcourir. Mais il est préférable de sauter du train alors que vous quittez la gare et qu’il prend de la vitesse, plutôt que lorsqu’il est lancé à toute allure et que vous réalisez que vous n’avez qu’un aller-simple sur la ligne de l’Oubli Express.

L’indolence, pour reprendre le terme de Machiavel : il y a des phases dans l’étiolement des peuples libres. L’Amérique, qui a lutté contre le courant, en est maintenant à la Phase un : l’État paternaliste et bienveillant qui promet de faire disparaître tous ces soucis d’emprunt immobilier, de dette, d’accès aux soins médicaux. Tous les soirs de la semaine, vous pouvez allumer la télévision et voir l’un de ces ersatz de « réunions participatives »17 dans lesquelles les libres citoyens de la république (j’utilise ces termes avec une certaine liberté) pétitionnent le Souverain afin que tous les ennuis s’évanouissent. « J’ai un urgent besoin », disait une dame de Fort Myers en implorant le Président. « Nous avons besoin d’une maison, de notre propre cuisine, de notre propre salle de bain. » Il a pris son nom et a ordonné à ses assistants de prendre rendez-vous avec elle. Espérons qu’il ne lui ait pas manqué de respect en lui envoyant quelque anonyme sous-assistant secrétaire-adjoint de n’importe quoi, au lieu d’une de ces huiles de son cabinet qui ne paient pas d’impôt18, afin de nationaliser une banque de Floride et transformer l’une de ses succursales en une charmante résidence familiale, avec une balançoire plantée là où se trouvait le guichet automatique au volant19.

Comme vous le savez tous, Hillsdale College ne reçoit aucune subvention fédérale ou locale. Cela en faisait une anomalie dans le paysage universitaire américain. Cela risque de devenir une anomalie en Amérique tout court. C’est peut-être le moment pour Hillsdale College de lancer la Compagnie d’assurance Hillsdale, la Hillsdale Motor Company, la Banque Nationale Hillsdale. Le chef suprême de la Bank of America dit maintenant, oh, si seulement il avait su alors ce qu’il sait maintenant, il n’aurait pas accepté l’argent du gouvernement20. Apparemment cet argent s'accompagne d'obligations. Qui l’aurait cru ? Bien sûr Hillsdale College le savait, mais personne d’autre.
« Si vous êtes une entreprise, lorsque le gouvernement est la source de 2 % de vos revenus, il a un droit de veto sur 100 % de ce que vous faites. Si vous êtes un individu, l’impact est encore plus grand. »
Si vous êtes une entreprise, lorsque le gouvernement est la source de 2 % de vos revenus, il a un droit de veto sur 100 % de ce que vous faites. Si vous êtes un individu, l’impact est encore plus grand. Dès le moment où vous avez un système de soins contrôlé par le gouvernement, cela peut servir à justifier presque n’importe quelle restriction de votre liberté : après tout, si l’État doit vous soigner, il a sûrement un intérêt à ce que vous n’ayez pas besoin de traitement en premier lieu. C’est l’argument qui explique, par exemple, le port du casque obligatoire pour les motocyclistes, ou bien ces équipes patibulaires de nutritionnistes gouvernementaux qui font actuellement du porte à porte en Grande-Bretagne pour conduire des « bilans de santé » du contenu de votre réfrigérateur. Ils ne confisquent pas encore vos Twinkies21, ils veulent juste recenser combien vous en avez. Donc vous faites tout cela pour avoir les soins « gratuits » – et en fin de compte, vous risquez de ne pas avoir les soins « gratuits » de toute façon. Avec le National Health Service britannique, par exemple, des fumeurs à Manchester se sont vus refuser un traitement pour une maladie cardiaque, et dans le Suffolk les obèses n’ont pas accès aux prothèses de hanche ou de genou. Patricia Hewitt, la ministre britannique de la santé, a déclaré qu’il est approprié de refuser un traitement en fonction des « choix de vie » effectués par les patients. Les fumeurs et les obèses peuvent regarder leur voisin gay multiplier les partenaires et les rapports non protégés et se demander pourquoi son « choix de vie » échappe à cette règle et pas le leur. Mais c’est justement là toute l’affaire : la tyrannie est toujours capricieuse.

Et s’ils ne peuvent pas vous avoir en invoquant votre santé à vous, ils vous auront en invoquant la santé de la planète. Il n’y a pas si longtemps, en Grande-Bretagne, on a proposé que chaque citoyen soit muni d’une autorisation gouvernementale de voyager. Si vous effectuez un vol par an, vous payez juste le montant habituel de taxes sur votre trajet. Mais si vous voyagez plus souvent, si vous effectuez un deuxième ou un troisième vol, vous serez soumis à des taxes additionnelles – afin de sauver la planète pour qu’Al Gore puisse tourner ses documentaires sur l’ours polaire et habiter son palais respectant le principe de neutralité carbone, là-bas dans le Tennessee.

N’est-ce pas la définition même du totalitarisme doux ? Les Soviétiques restreignaient les mouvements des gens grâce à l’appareil bureaucratique des « visas de sortie ». Les Britanniques proposent de le faire grâce à l’appareil bureaucratique des « taxes de sortie » – en fait la forme la plus brutale d’imposition régressive. Et comme avec les communistes, la nomenklatura – le prince de Galles, Al Gore, Madonna – pourra toujours emprunter un avion pour se rendre ici ou là. Qu’est-ce qu’un surcoût de 20 % pour eux ? D’autant plus que ceux pour qui de fréquents voyages aériens sont jugés essentiels – les représentants gouvernementaux, les directeurs d’ONG, les militants écologistes – seront sûrement exemptés de cette taxe supplémentaire. En revanche les masses repoussantes devront rester chez elles.

La « liberté de mouvement » était traditionnellement conçue comme une liberté essentielle. Le mouvement est toujours libre, mais il y a maintenant une redevance gouvernementale de 389,95 $. Chose intéressante, cette proposition n’émanait pas du Parti travailliste, mais du Parti conservateur.

C’est la Phase deux de l’étiolement social – lorsque l’État qui est en charge d’assurer tous vos besoins fondamentaux se sent de plus en plus autorisé à réguler votre comportement. Des peuples libres, qui étaient autrefois prêts à donner leur vie pour la liberté, peuvent être très rapidement persuadés d’abandonner leurs libertés en échange d’une vie tranquille. Lorsque le Président Bush parlait de promouvoir la démocratie au Moyen-Orient, il aimait utiliser cette phrase « la liberté est un désir qui habite le cœur de tout être humain ». Vraiment ? Il n’est pas sûr que ce soit le cas à Gaza ou bien dans les zones tribales pakistanaises. Mais il est absolument certain que ce n’est pas le cas à Berlin et Paris, Stockholm et Londres, la Nouvelle Orléans et Buffalo.
« Lorsqu’on demande aux gens de choisir entre la liberté et la « sécurité » assurée par le gouvernement, un grand nombre vote à chaque fois pour abandonner la liberté.  »
L’histoire du monde occidental depuis 1945 nous apprend que, lorsqu’on demande aux gens de choisir entre la liberté et la « sécurité » assurée par le gouvernement, un grand nombre vote à chaque fois pour abandonner la liberté – la liberté de faire vos propres choix concernant vos soins médicaux, l’éducation, les droits de propriété, et tout un tas d’autres choses. Il est ridicule pour des hommes et des femmes adultes de dire : je veux pouvoir choisir entre une centaine de sortes de céréales au supermarché, entre des milliers de films sur Netflix, entre des millions de chansons à écouter sur mon iPod – mais lorsqu’il s’agit de mes soins médicaux, je veux que le gouvernement choisisse pour moi. Une nation qui demande que le gouvernement s’occupe de tout ce qui est l’affaire des adultes est une nation qui est en train de devenir l’adolescent le plus ridé du monde, libre seulement de choisir sa collection de disques.

Et ne soyez pas si sûrs que vous pourrez choisir votre collection de disques, en définitive. C’est la Phase trois : lorsque la population a accepté de devenir pupille de l’État, commencer à réglementer ses pensées n’est qu’une simple différence de degré. Lorsque mes amis anglophones habitant au Québec se plaignaient de l’absence de panneaux en anglais dans les hôpitaux québécois, j’avais pour habitude de leur répondre que, si vous autorisez le gouvernement à être le seul fournisseur de soins médicaux pourquoi donc être surpris de ce qu’il soit autorisé à choisir la langue dans laquelle il les fournira ?

Mais comme je l’ai appris durant mon année passée dans l’enfer de la loi canadienne sur les « droits de l’homme », c'est également vrai d'une manière plus générale. Pour des raisons de « protection culturelle », l’État canadien empêche les propriétaires de journaux étrangers, les opérateurs de télévision étrangers et les chaînes de librairie étrangères de s’installer au Canada. Pourquoi ne pourrait-il pas, en retour, avoir le droit de contrôler les idées disséminées dans ces journaux, ces télévisions, ces librairies qu’il autorise gracieusement à exister ?

Lorsque l'hebdomadaire Maclean's et moi-même avons été assignés à comparaître en 2007 pour le crime «  d’islamophobie manifeste », il est très vite devenu évident que, pour les membres d’une profession qui se vante incessamment de son « courage » (beaucoup plus, par exemple, que les pompiers), un très grand nombre de journalistes se satisfont assez facilement d’être les eunuques dans le harem du correctivisme politique. Un nombre désespérément élevé de journalistes occidentaux ne voient aucune contradiction entre le fait de participer tous les mois à des déjeuners pour la Journée mondiale de la liberté de la presse et le fait d’accepter d’être microgéré par l’État. Le grand problème pour ceux d’entre nous qui défendons le libéralisme classique, c’est que dans le Canada moderne il n’existe presque plus rien qui ne soit sous perfusion de l’État à un degré ou à un autre : beaucoup trop d'institutions que les sociétés saines considèrent traditionnellement comme des avant-postes de l’indépendance d’esprit – les églises, les écoles privées, la littérature, les arts, les médias – ont une relation ambigüe avec l’État ou lui sont tout simplement assujetties. Là-haut dans le Nord, la « liberté intellectuelle » signifie qu’une agence pour le financement du cinéma – Cinésubvention Canada ou quel que soit son nom – vous donne un chèque pour vous permettre de continuer à faire des films censément « courageux, audacieux, transgressifs » qui ne dérangent pas le moins du monde le pouvoir de l’État.

Puis vient la Phase quatre, dans laquelle les idées dissidentes et même les mots sont catalogués comme des « incitations à la haine ». En pratique, le langage lui-même devient un instrument de contrôle. En dépit de la mièvrerie des slogans, la tyrannie devient plus visible : en Grande-Bretagne, un pays dans lequel les atteintes aux biens connaissent une croissance exponentielle, des inspecteurs en civil trouvent néanmoins le temps de dîner le vendredi soir dans des restaurants indiens pour enregistrer les conversations des tables voisines, afin de s’assurer que ces discussions privées ne contiennent pas de remarque raciste. Un auteur interviewé sur radio BBC a exprimé, fort modérément et fort civilement, quelques réserves sur l’adoption homosexuelle et a été l’objet d’une enquête de la part de la brigade de Scotland Yard en charge des Incidents homophobes, racistes et familiaux.  Un éditorialiste du Daily Telegraph est arrêté et détenu dans une cellule pour une plaisanterie dans un de ses discours. Un législateur néerlandais22 est invité à faire un discours à Westminster par un membre de la Chambre des Lords, mais se voit refuser l’entrée du territoire par le gouvernement, est arrêté à son arrivée à Heathrow puis expulsé.

L’Amérique, la Grande-Bretagne, et même le Canada, ne sont pas des nations périphériques : ce sont les trois nations anglophones du G7. Toutes les trois font partie de cette poignée de pays qui se sont trouvés du bon côté lors de tous les grands conflits du siècle dernier. Mais la flamme de la liberté individuelle brille de plus en plus faiblement dans chacune d’elles. L’expansion massive du gouvernement qui est connue sous le risible euphémisme de « stimulus »23 (Phase un) s'accompagne d’un malentendu (Phase deux) : une fois que vous avez accepté d’être un enfant dans la pouponnière gouvernementale, pourquoi la Nounou ne pourrait-elle pas vous dire ce que vous devez faire ? Puis – Phase trois – ce que vous devez penser ? Et enfin – Phase quatre – ce qu’il vous est interdit de penser…

Ce qui nous amène à la phase finale : comme je l’ai dit en commençant l’État-providence n’est pas une question d’argent. C’est plus profond que cela. Il y a quelques années, Paul Krugman a écrit un éditorial dans le New York Times dans lequel il affirmait que, si les conservateurs américains bornés entonnent sans cesse la rengaine des « valeurs familiales », les Européens, eux, vivent ces valeurs en mettant en œuvre des politiques qui sont plus « favorables aux familles ». Sur le Continent, assure le professeur, « les régulations gouvernementales permettent effectivement aux gens de réaliser un arbitrage avantageux – avoir des revenus légèrement moindres en échange de davantage de temps à consacrer aux amis et à la famille. »

Comme il sied à un économiste distingué, le professeur Krugman avait omis de remarquer que, pour un continent qui met en œuvre des « politiques favorables aux familles », l’Europe est remarquablement pauvre en familles. Alors que le taux de fécondité américain est à peu près au niveau du renouvellement des générations – 2,1 – dix-sept nations européennes ont ce que les démographes appellent un taux de fertilité « historiquement bas » – 1,3 ou moins – un taux dont aucune société ne s’est jamais remise dans toute l’histoire de l’humanité. Les Allemands, les Espagnols, les Italiens et les Grecs ont des arbres familiaux inversés : quatre grands-parents ont deux enfants et un seul petit-fils. Comment un économiste peut-il analyser des politiques « favorables aux familles » sans remarquer que le résultat de ces politiques est que plus personne n’a de famille ?

Et tout ce temps libre supplémentaire, qu’en font-ils ? Les Européens travaillent moins que les Américains, ils n’ont pas à payer pour leurs propres soins médicaux, ils sont post-chrétiens par conséquent ils ne vont plus à l’église, ils ne se marient pas et ils n’ont pas d’enfants à emmener à l’école et au basket, et vous avez fait le tour des occupations habituelles24. Donc que font-ils avec tout ce temps ?

Passons pour l'instant sur le peu d’entreprises européennes de taille mondiale : ils considèrent le capitalisme comme une idole anglo-américaine et, pour l’essentiel, ils le méprisent. Mais qu’en est-il de ces choses dont les Européens sont censés faire grand cas ? Avec autant de temps libre, où donc est l’art européen, avec un grand A ? Où sont les hommes de science européens ? Dans les universités américaines. Pendant ce temps, les gouvernements du continent injectent des fortunes dans de prestigieux éléphants blancs censés incarner l’identité européenne, comme l’Airbus A380, capable d’emporter 500, 800, un millier de passagers à la fois, si seulement quelqu’un quelque part voulait bien commander ce fichu machin, ce qu’ils envisageront peut-être de faire une fois que tous les aéroports auront construit de nouvelles pistes capables de l’accueillir.
« Donnez aux gens l’abondance et la sécurité, et ils tomberont dans une torpeur spirituelle a écrit Charles Murray »
« Donnez aux gens l’abondance et la sécurité, et ils tomberont dans une torpeur spirituelle » a écrit Charles Murray dans In Our Hands. « Lorsque la vie devient un pique-nique prolongé, sans rien d’important à faire, les idées de grandeur deviennent une source d’irritation. Telle est la nature du syndrome européen. »

Le mot clé ici est « donnez ». Lorsque l’État vous « donne » l’abondance – lorsqu’il s’occupe de votre santé, de vos enfants, de vos vieux parents, lorsqu’il s’occupe de toutes les tâches essentielles de l’âge adulte – il n’est pas surprenant que les citoyens cessent de se comporter comme des adultes : la vie devient une sorte d’adolescence prolongée – littéralement même pour ces Allemands qui sont passés maîtres dans l’art de rester à l’université jusqu’à 34 ans avant de prendre une retraite anticipée à 42 ans. Hilaire Belloc, entre parenthèses, avait très bien vu tout cela dans son livre The Servile State paru en 1912. Il avait compris que le prix à long terme à payer pour l'État-providence est l’infantilisation de la population.

Un déclin paisible peut être très agréable – au début : vous avez toujours de fantastiques  restaurants, de beaux bâtiments, un superbe opéra. Et dès lors que la pression a disparu il est agréable de s’attarder en terrasse, de commander un second café au lait et un pain au chocolat25 et de regarder le monde passer. Au Forum de Munich sur les politiques de défense, en février dernier, le Président Sarkozy a demandé à ses camarades continentaux, « l’Europe veut-elle la paix ou bien veut-elle être laissée en paix ? » Poser la question c’est y répondre. Hélas, cela ne fonctionne que durant une génération ou deux. Et il est difficile de réveiller une société aussi convaincue que l’est l’Europe actuelle que le but de l’existence est de faire la grasse matinée.

Comme aimait à le dire Gérald Ford lorsqu’il essayait de séduire un auditoire conservateur, « un gouvernement assez puissant pour vous donner tout ce que vous voulez est assez puissant pour vous prendre tout ce que vous avez. » Et c’est vrai. Mais il y une étape intermédiaire. Un gouvernement assez puissant pour vous donner tout ce que vous voulez n’est pas assez puissant pour vous amener à rendre quoi que ce soit. C’est la position dans laquelle se trouvent les gouvernements européens. Leurs citoyens sont devenus accros à des niveaux de programmes sociaux financièrement insoutenables qui finiront par mettre ces pays en faillite. Juste pour mettre en perspective le débat sur la sécurité sociale, on estime que, aux États-Unis, le système public de retraite absorbera environ 6,8 % du PIB en 2040. En Grèce le chiffre est de 25 % – autrement dit l’effondrement social complet. « Et alors ? » répondent les électeurs, avec un haussement d’épaules. Ce n’est pas mon problème. Je veux mes allocations. La crise ne tient pas au manque d’argent, mais au manque de citoyens – au plein sens du terme.

Chaque Démocrate se présentant à une élection vous dit qu’il veut faire ceci ou cela « pour les enfants. » Si l’Amérique voulait réellement faire quelque chose « pour les enfants », elle pourrait essayer de ne pas faire la même erreur que la plupart des autres pays occidentaux et éviter de léguer à la prochaine génération un monstre de bureaucratie hypertrophiée et de droits sociaux financièrement insoutenables qui transforme la nation tout entière en une gigantesque chaîne de Ponzi. Voilà la véritable « guerre contre les enfants » (pour utiliser une autre expression favorite des Démocrates) – et, à chaque fois que vous accroissez le budget, vous rendez plus improbable le fait qu’ils puissent gagner cette guerre.

Les conservateurs parlent souvent d'un « État restreint » ce qui en un sens revient à poser le débat dans des termes de gauche : eux sont pour l’État-providence (le gros gouvernement). Mais l’État restreint vous accorde de grandes libertés – et l’État-providence vous laisse très peu de liberté. Le sauvetage des entreprises en faillite26, et le stimulus, et le budget, et les déficits abyssaux ne sont pas seulement un transfert massif du secteur le plus productif et le plus dynamique vers le secteur le moins productif et le moins dynamique. Lorsque les gouvernements annexent une large part de l’économie, ils annexent aussi une large part de la liberté individuelle. Vous modifiez fondamentalement la relation entre le citoyen et l’État et vous la transformez en quelque chose de plus proche de la relation entre un drogué et son fournisseur – et vous rendez très difficile le fait de revenir jamais en arrière. Les Américains ont un choix à faire : ils peuvent redécouvrir les principes qui animent l’idéal américain – le gouvernement limité, des citoyens indépendants, et la possibilité de tirer parti de vos talents au maximum – ou bien ils peuvent rejoindre la plupart des autres pays occidentaux dans un état de déclin terminal. Il est très difficile de raviver la flamme de la liberté lorsqu’elle se meurt. L’inertie, l’ennui, le fatalisme sont plus dramatiques que le déclin démographique et le gaspillage fiscal de l’État social-démocrate, car ils sont plus subtils et moins tangibles. Mais de temps à autre ils apparaissent en pleine lumière.
« Je n’ai jamais appris à me battre pour ma liberté. Je n’étais bon que pour en profiter. Désolé, ça ne marche pas – pas pour longtemps »
Voici ce que disait l’écrivain Oscar van den Boogard dans une interview au journal belge De Standaard. Monsieur van den Boogard, un « humaniste » homosexuel néerlandais (ce qui est à peu près la Sainte Trinité du chic européen) réfléchissait à l’islamisation accélérée du continent et concluait que les jeux étaient faits pour l’Europe qu’il aimait. « Je ne suis pas un guerrier, mais qui l’est ? » disait-il avec résignation. « Je n’ai jamais appris à me battre pour ma liberté. Je n’étais bon que pour en profiter. » Dans les cinq célèbres étapes du deuil de Kübler-Ross, Monsieur van den Boogard a dépassé le stade du déni, de la colère, de la négociation et de la dépression et est arrivé à une forme d’acceptation.

« Je n’ai jamais appris à me battre pour ma liberté. Je n’étais bon que pour en profiter. » Désolé, ça ne marche pas – pas pour longtemps. Pour en revenir au Nouvel Hampshire, le général Stark, lui, savait cela. Les mots de monsieur van den Boogard sont une épitaphe pour l’Europe. Alors que la devise du Nouvel Hampshire – « vivre libre ou mourir ! » – est toujours un puissant cri de ralliement, pour cet État ou pour n’importe quel autre. Il y a environ un an, il y avait dans les journaux la photographie d’étudiants iraniens en train de manifester à Téhéran et de brandir des pancartes. Et ce qu’il y avait d’écrit sur ces pancartes était « vivre libre ou mourir ! ». Ils comprennent le pouvoir de ces mots, tout comme nous devrions le faire.






† Mark Steyn est un journaliste et essayiste canadien. Ses articles sont parus, entre autres, dans The Spectator, The Daily Telegraph, le Jerusalem Post, la National Review ou encore le Weekly Standard. Il est l’auteur des ouvrages America Alone (2006) et After America (2011).

Voir aussi

Ezra Levant invite Mark Steyn au sujet de son nouveau livre After America

Mark Steyn dans After America sur l'éducation américaine


 Le texte ci-dessus est tiré d’une conférence prononcée au Hillsdale College le 9 mars 2009 (Imprimis, avril 2009 – volume 38, numéro 4). Traduit par Laurent Lemasson pour Le Bulletin d’Amérique. Quelques retouches éditoriales de ce carnet.




Notes du traducteur


[1] John Stark (1728-1822), originaire du Nouvel Hampshire, a servi comme major-général dans l’armée continentale durant la Révolution américaine. Il est notamment le vainqueur de la bataille de Bennington le 16 aout 1777.

[2] « Live free or die : Death is not the worst of evils ». Cette phrase concluait une lettre envoyée en 1809 par le général Stark a ses anciens camarades de la bataille de Bennington. Le Général Stark, alors âgé de 81 ans, s’excusait de ne pouvoir, du fait de sa mauvaise santé, participer à la commémoration de la bataille. « Live free or die » est devenu la devise du Nouvel Hampshire en 1945.

[3] Le vol 93 United Airlines est l’un des vols détournés lors des attentats islamistes du 11 septembre 2001. En utilisant leurs téléphones portables pour prévenir que leur avion était détourné certains passagers ont pu apprendre ce qui venait de se passer au World Trade Center. Ils en ont déduit que le même sort les attendait et ont alors essayé de reprendre aux terroristes le contrôle de l’appareil. L’avion s’est finalement écrasé en Pennsylvanie. Le vol 93 se dirigeait alors vers Washington et, selon Khalid Cheikh Mohammed, le responsable de l’organisation des attentats, il  avait pour cible le Capitole.

[4] « Let’s roll ! ». Ces mots seraient les derniers prononcés par Todd Beamer, l’un des passagers du vol 93, lors d’une conversation téléphonique avec une opératrice d’United Airlines. Todd Beamer, après avoir décrit la situation à l’intérieur de l’avion, disait à son interlocutrice que certains passagers allaient essayer d’attaquer les pirates de l’air. L’opératrice aurait alors entendu cette dernière phrase : « Are you guys ready ? Okay. Let’s roll ! »

[5] « Ratchet effect » : effet de cliquet.

[6] America alone, The End of the World as We Know it ; publié en 2006. Traduit en français sous le titre « America alone : la fin du monde tel que nous le connaissons ».

[7]  Des articles de Mark Steyn relatifs à l’islam, publiés par le magazine canadien Maclean's, ont donné lieu en 2007 à des plaintes devant plusieurs « commissions des droits de l’homme » : La Commission ontarienne des droits de la personne, La Commission canadienne des droits de la personne et The British Columbia Human Rights Tribunal. Steyn a raconté ses démêlés avec ces organismes dans le livre The Tyranny of Nice, écrit par Kathy Shaidle et Peter Vere. [Note du carnetier : voir aussi ce dossier que Mark Steyn a trouvé bien fait.]

[8] « health care, child care, care of the elderly »

[9] En 1996, Hillary Clinton a publié un livre intitulé : It takes a village : and other lessons children teach us.

[10] Patrick Jake O’Rourke, connu sous le nom de plume de P. J. O’Rourke, est un célèbre journaliste, écrivain et humoriste américain.

[11] « George Dubya », Dubya étant la prononciation anglaise déformée de W. Dubya était devenu une sorte de surnom de George W. Bush.

[12] http://mercatus.org/freedom-50-states-2011. Le classement auquel Mark Steyn fait référence est bien entendu celui de 2009.

[13] « The granite State » est le surnom donné au Nouvel Hampshire, en référence à sa géologie.

[14] Référence à la chanson « New York, New »York de Frank Sinatr, qui se conclte par les lignes suivantes : If I can make it there, I’ll make it anywhere/It’s up to you, New York, New York.

[15] Mark Steyn est né au Canada.

[16] « There is a great deal of ruin in a nation ». Cette phrase figure dans la correspondance d’Adam Smith avec John Sinclair. Après la défaite anglaise à Saratoga (1777), John Sinclair écrivit à Smith « If we go on at this rate, this nation must be ruined », à quoi Smith répondit : « Be assured, my young friend, that there is a great deal of ruin in a nation ». Dans ce contexte, la phrase de Smith signifie donc à peu près qu’une nation est capable de supporter beaucoup de gaspillage de la part de sa classe politique sans s’effondrer.

[17] « Town meeting ». Originellement ce terme désignait une forme de démocratie directe, les membres d’une communauté (le plus souvent une ville ou un village) se réunissant pour prendre les décisions nécessaires à la vie commune. Aujourd’hui ce terme désigne essentiellement des réunions publiques dans lesquelles les électeurs peuvent poser des questions à leurs représentants.

[18] Allusion à Timothy Geithner, secrétaire d’État au trésor depuis janvier 2009. Lors de ses auditions au Sénat pour confirmer sa nomination, Timothy Geithner a reconnu ne pas avoir payé une partie de son impôt sur le revenu entre 2001 et 2004 du fait, selon lui, d’une erreur de sa part en remplissant les formulaires.

[19] « Drive thru ATM » : distributeur automatique de billets destiné à être utilisé sans sortir de voiture.

[20] Allusion au sauvetage de la Bank of America par le gouvernement fédéral suite à la crise des prêts de pacotille.

[21] Twinkies : sorte de pâtisserie industrielle très populaire aux États-Unis. Très caloriques, les Twinkies sont souvent considérés comme un symbole de la malbouffe.

[22]  Geert Wilders.

[23] Allusion à l’American recovery and reinvestment act voté en février 2009 et censé relancer l’économie américaine, et plus largement à toutes les politiques de relance keynésiennes.

[24] « And the 4-H stand at the county fair. » 4-H est une organisation pour la jeunesse dirigée par le ministère américain de l’agriculture. Les quatre H signifient Head, Heart, Hands, Health. L’idée générale de cette expression intraduisible est donc que toutes les facultés sont occupées.

[25] « Café au lait » et « pain au chocolat » sont en français dans le texte.

[26] Allusion au sauvetage de nombreuses banques et entreprises, comme Général Motors, par le gouvernement fédéral en 2008-2009.




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