jeudi 8 juillet 2010

La dernière mode : la philosophie avant l'âge de raison

Paul Clavier est philosophe, professeur à l'École normale supérieure. Il a notamment publié La Cote Argus des valeurs morales (Presses de la Renaissance) et dernièrement Qu'est-ce que le bien ? (Vrin).

LE FIGARO LITTÉRAIRE — Que pensez-vous de cette volonté de mettre la philosophie à la portée des enfants ?

Paul CLAVIER — Cet engouement pour la philosophie, qui se décline à travers des livres intitulés La Philosophie pour les nuls, ou La Philosophie expliquée à ma fille, n'est pas mauvais en soi. En revanche une partie de cette littérature est trop bêtifiante. Les enfants, par leur naïveté et leur franchise, savent poser de bonnes questions. On leur propose des réponses infantiles. Je me souviens avoir lu un ouvrage de ce type sur le thème de la guerre, qui aboutissait à cette conclusion : « La guerre, il ne faut pas la faire. » Alors quoi, la “collaboration dans l'honneur” ? Si c'est cela faire de la philosophie, c'est bien dommage.

Ces ouvrages ne seraient donc pas nécessaires ?

Je ne veux pas avoir de mépris à leur égard. On a dit de Camus qu'il était un philosophe pour classes de terminale. Je trouve que L'Homme révolté est plus éclairant sur notre temps que bien des ouvrages de philosophie. Ce que je veux dire, c'est qu'il faut accepter que certaines réponses ne soient pas fournies sur le mode de l'immédiat : « Ceux qui font la guerre sont toujours méchants. » Et on ne rend pas forcément service aux enfants en leur faisant croire qu'ils vont avoir une réponse au bout de quarante pages.

N'est-ce pas plutôt le parent que l'on cherche à rassurer ?

On comble en effet une angoisse des parents. Ils ne se sentent plus légitimes pour répondre à des questions existentielles et s'en remettent donc à des experts. Dans ce cas, ils se cachent derrière l'autorité du philosophe. C'est une forme de démission, par rapport au devoir de transmission qui leur incombe. Du point de vue du marketing, par contre, c'est une véritable réussite.

Ces ouvrages ne remplissent-ils pas un rôle que pouvaient auparavant tenir en partie la leçon de morale républicaine ou le catéchisme ? Au-delà de la morale républicaine et du catéchisme, les enfants pouvaient commencer à construire certaines réponses à leurs questions dans les contes ou les grands récits de fiction. Or l'imaginaire proposé aux enfants a tendance à se réduire au virtuel ou aux effets spéciaux. S'interroger sur la mort à partir de Kill Bill ou en lisant Le Petit Prince, ce n'est pas tout à fait la même chose. On comprend que pour combler ce déficit d'imaginaire constructif, on veuille servir aux enfants une philosophie moins violente et plus appropriée à leurs jeunes estomacs.




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