dimanche 17 mai 2009

Dernier jour du procès de Drummondville – fin du contre-interrogatoire de l’« expert » Gilles Routhier

La dernière journée du procès de Drummondville a débuté par la poursuite du contre-interrogatoire du théologien et prêtre, Gilles Routhier, interrompu mercredi.

On se rappellera que la troisième journée du procès, c'est-à-dire mercredi, avait vu la production d’un document daté du 5 mai provenant de la Congrégation pour l’éducation catholique. Le Vatican n'a produit cet avis qu'en français et en italien. Dans celui-ci le cardinal Grocholewski et son secrétaire, Mgr Jean-Louis Bruguès, écrivent que « si l'enseignement religieux se limite à une exposition des différentes religions de manière comparative et "neutre", cela peut être source de confusion, ou inciter au relativisme ou à l'indifférentisme ». On reconnaît dans cette description le cours d’éthique et de culture religieuse que le Monopole de l’Éducation du Québec prétend « neutre ».

Comme une précédente déclaration du préfet de cette congrégation, Zénon cardinal Grocholewski, avait déjà affirmé que l’imposition du cours ECR violait les droits des parents québécois, M. Routhier avait sa réponse toute prête mercredi : la Congrégation pour l’éducation catholique n’était pas compétente en la matière !

Voici ce qu’il disait verbatim mercredi à partir de 14h30, nous transcrivons ici le repiquage audio de son contre-interrogatoire en éliminant toutefois les hésitations.

(Nous demandons de bien vouloir nous excuser pour les réponses à rallonge de Gilles Routhier, cela donne toutefois un peu une idée du personnage.)

Routhier – Alors, en matière d’éducation catholique, il y a au moins deux autorités distinctes. Il y a, d’une part, la Congrégation pour l’éducation catholique constituée par la constitution apostolique Pastor bonus et cette congrégation qu’on appelle un dicastère, qui équivaut à un ministère dans nos États, s’occupe de trois choses. La constitution Pastor bonus dit elle s’occupe 1) de toute la formation des clercs dans les grands séminaires et dans les maisons des religieux et religieuses y compris les instituts séculiers. Première compétence. Deuxième juridiction, pour la Congrégation pour l’éducation catholique, il s’agit des universités catholiques et des écoles supérieures catholiques. Troisième champ d’autorité, les écoles catholiques. Alors, sur ces trois champs, l’autorité est la Congrégation pour l’éducation catholique. Elle ne couvre pas, l’autorité de la Congrégation ne couvre pas les écoles publiques ou les écoles non catholiques.

Deuxième autorité, c’est la Congrégation pour le clergé, d’ailleurs j’avais écrit cela dans mon texte juste un peu plus haut. La Congrégation pour le clergé s’occupe, parce qu’elle a été constituée à la suite du concile de Trente, on l’a appelé la Congrégation du concile à partir du XVIe siècle. L’appellation a été modifiée par Paul VI dans sa constitution Pastor Bonus et elle s’occupe de toute l’éducation chrétienne en plus de s’occuper naturellement du clergé. Elle s’occupe de l’éducation chrétienne. Et c’est pour ça, par exemple, que le directoire général pour la catéchèse qui s’occupe de l’éducation chrétienne des enfants est publié par la Congrégation pour le clergé.

Cela apparaît bizarre qu’il y ait deux congrégations qui s’occupent de formation, de l’éducation catholique et on pourrait penser que c’est celle qui est désignée sous le nom de Congrégation pour l’éducation catholique qui s’occupe de la formation chrétienne alors que c’est une autre, mais cela tient à des raisons historiques parce que le concile de Trente avait publié un catéchisme et on demandait au clergé d’assurer – alors, c’est tout le rôle des pasteurs –dans la formation chrétienne des fidèles. C’est pour ça que la formation chrétienne des fidèles ne dépend pas de la Congrégation pour l’éducation catholique.

14h33, Me Bélisle, avocat des parents – M. Routhier, la Congrégation pour l’éducation catholique, qui est le tenant du poste supérieur à la Congrégation pour l’éducation catholique, le 13 mai 2009 ?

M. Routhier – Alors, il s’agit encore, s’il n’y a pas eu de changements depuis ce matin, du cardinal Zenon Grocholewski.

Me Bélisle – Est-ce que vous lui avez déjà parlé ?

M. Routhier – Oui.

Me Bélisle – Quand ?

M. Routhier – Plus ou moins en 2000, à Montréal.

Me Bélisle – Depuis ce temps-là, non ?

M. Routhier – Depuis ce temps-là, non.

Me Bélisle – Est-ce que vous l’avez lu dans des écrits depuis 2000 jusqu’à ce matin ?

M. Routhier – Absolument.

Me Bélisle – Vous l’avez lu ? Plus d’une fois ?

M. Routhier – Plus d’une fois.

Me Bélisle – Est-ce que l’on peut considérer, comme vous l’avez dit tantôt, que c’est un niveau hiérarchique très important, c’est le poste le plus important relativement à l’éducation catholique à travers le monde là, à travers la planète bleue. Est-ce que vous avez eu l’occasion de le lire au cours de l’année 2008 et/ou2009 ?

M. Routhier – Oui, sans doute.

Me Bélisle – Qu’est-ce que vous avez lu provenant de celui qui est le ministre de l’Éducation de l’Église en éducation catholique ?

Me Boucher, avocat de la Procureure générale – Alors, M. le juge, si vous me permettez, je ne pense pas que c’était la réponse du témoin. Au contraire.

Le juge Dubois – Qu’il soit le ministre de l’Éducation?

Me Boucher – Non, tout à fait, ni le ministre de l’Éducation, ni le ministre catholique de l’éducation. Au contraire. Il vient d’expliquer que c’est tout le contraire.

Le juge Dubois – Il a demandé qui était le supérieur de la Congrégation pour l’éducation catholique, c’est le cardinal…

M. Routhier – Oui, le supérieur de la Congrégation pour l’éducation catholique c’est bien le cardinal Zénon Grocholewski. J’ai précisé que sous la compétence de cette Congrégation pour l’éducation catholique ne tombent pas les écoles publiques, mais sous sa juridiction tombent les écoles catholiques.

Me Bélisle, élevant la voix – Vous me dites ça en vertu de quel écrit que c’est uniquement les écoles catholiques ? Quel texte ? Quel document que la Congrégation pour l’éducation catholique ne s’occupe que des écoles catholiques ? Vous avez les textes, prenez vos textes [pointant vers les gros volumes qu’avait apportés M. Gilles Routhier].

[Le juge reprend Me Bélisle pour avoir haussé la voix alors que M. Routhier n’est pas un témoin récalcitrant.]

14h37, Me Bélisle, d’une voix calme – Pas de problème. Dites-moi donc dans le code de droit canonique ou dans l’autre document que vous avez apporté…

M. Routhier – …le concile œcuménique Vatican II…

Me Bélisle – …le concile, ou dans les lettres apostoliques, ou dans les avis envoyés aux conférences épiscopales, donnez-moi, montrez-moi un texte, montrez-nous un texte où il est dit que la Congrégation pour l’éducation catholique, c’est seulement, effectivement, pour les écoles catholiques et que cela ne s’applique pas à l’éducation des catholiques dans quelque forme de système éducationnel et de réseau scolaire que ce soit.

14h37, M. Routhier – Alors, c’est d’une part dans un texte de Paul VI, dans une constitution apostolique dont le titre est Pastor bonus, et je ne l’ai pas ici parce que ce n’est pas le droit canonique …

Me Bélisle – Vous allez nous le produire.

M. Routhier – Je pourrais le produire. [M. Routhier adore les conditionnels, même s’il les accorde parfois mal, ailleurs : « Je serais… si je ferais »].


Le contre-interrogatoire continue, pour s’interrompre lors de la production de l’avis de la Congrégation pour l’éducation catholique du 5 mai 2009, comme nous l’avons déjà relaté ici.

[Nous n’avons pas encore le repiquage audio de la séance de vendredi en voici le résumé, nous complèterons au besoin ce texte avec une transcription fidèle des échanges dès que nous aurons reçu les fichiers audios.]

Vendredi la séance reprend donc avec la fin du contre-interrogatoire de Gilles Routhier.

La crédibilité de l’expertise de Routhier fortement ébranlée

La démolition de Routhier va s’opérer en trois temps : d'abord, lui faire admettre qu’il n’est pas un spécialiste en droit canon, puis bien ferrer « l’expert » en montrant comment il interprète à sa façon les textes du droit canon pour se donner raison et enfin montrer à tous que le cas est prévu explicitement et que l'expert a mal interprété les textes soumis plus tôt.

Tout commence donc par la laborieuse admission de M. Routhier qu’il n’a pas de formation de canoniste. Il ne peut s’empêcher d’ajouter qu’il a été amené à fréquenter de nombreux canonistes lors de sa carrière… Nous sommes tous amenés à fréquenter de nombreux garagistes ou docteurs, cela ne fait pas de nous des mécaniciens, ni des médecins pour autant...

On assiste alors à la remise par Me Bélisle de cinq épais volumes du droit canon annoté par Ernest Caparros, présent dans la salle, aux avocats de la partie adverse et au juge.

On passe alors à la page 1655 et aux articles 114 et 115 de la constitution apostolique Pastor Bonus qu’avait invoquée M. Gilles Routhier.

L’article 115 dit (nous traduisons librement ici, car nous n’avons pas retrouvé la version française sur internet, mais nous fournissons ci-dessous la version originale latine et une traduction officielle en anglais à des fins de vérification) :
« La Congrégation se rend disponible aux évêques diocésains afin que des écoles catholiques, là où cela est possible, soient fondées et promues avec un soin extrême et que dans toutes les écoles on offre une instruction catéchétique et un soin pastoral aux élèves chrétiens. » [1]
Me Bélisle a essayé de faire comprendre à M. Routhier qu’on parlait bien ici de toutes les écoles et non seulement des écoles catholiques. Mais, M. Routhier n’a pas voulu l’admettre et s’est plutôt engagé dans de longs développements pour maintenir son point de vue que la Congrégation pour l’éducation catholique ne s’occupait pas des écoles publiques.

On a alors abordé la description de la Congrégation du clergé en se fiant à la description qui se trouve sur le site du Vatican :
« 2) l'Office Catéchétique [une des trois parties de la Congrégation pour le clergé, les deux autres étant l'Office Clergé et l'Office Administratif] promeut la formation religieuse des fidèles de tout âge et de toute condition ; il publie les normes opportunes pour que l’enseignement de la catéchèse soit convenablement imparti ; il veille à ce que la formation catéchétique soit correctement menée ; il concède l’approbation du Saint-Siège qui est prescrite pour les catéchismes et les directoires publiés par les conférences d’Evêques ; il assiste les bureaux catéchétiques, il suit les initiatives de caractère international concernant la formation religieuse, il en coordonne les activités et leur propose son aide si nécessaire. »
Me Bélisle a souligné que cette congrégation s’occupait de la catéchèse et non des écoles publiques.

Mais M. Gilles Routhier insistait qu’il avait toujours raison.

Il a fallu alors lui sortir la description (en anglais, elle n'existe pas en français) de la Congrégation pour l’éducation catholique tirée du site du Vatican :
« Some of the issues treated by this office regard the teaching of sex education in Catholic schools, problems related to the teaching of moral or religious matters in public schools, the closing of Catholic schools in some countries or, in others, the juridical recognition of Catholic schools and ecclesial goods and properties. »
Me Bélisle a vainement tenté de faire admettre à M. Routhier qu'il s’était trompé. Impossible. On ne pouvait s'empêcher de penser au témoignage de M. David Mascré quand celui-ci avait cité les Évangiles « que ton oui soit oui, ton non soit non » et d'être saisi du contraste en voyant M. Routhier se lancer dans une tentative alambiquée d’explications en prétendant que – comme il l’avait dit – la Congrégation pour l’éducation catholique collabore uniquement, mais n’avait pas le monopole de l’éducation dans les écoles publiques et qu’avant 2005 au Québec quand la catéchèse était donnée dans les écoles publiques au Québec, la Congrégation pour le clergé avait aussi son mot à dire…

Plus personne n’écoutait M. Routhier alors qu’il s’enfonçait de plus en plus dans des arguties de moins en moins crédibles même pour les gens les moins versés en droit canon.

Le reste du contre-interrogatoire ne fut qu’un pénible déballage des sections coupées, omises ou interprétées de manière particulière par M. Routhier. On était partagé entre un sentiment d’agacement devant tant d’ergotage inutile et de la pitié pour cet expert dont l’impartialité et la crédibilité étaient manifestement très entamées. Mais cela devait faire partie de la « kénose », l'abaissement que réclame si librement M. Routhier pour autrui et même l'Église.

Lors de la suspension de séance, Me Boucher sort en compagnie de M. Routhier et demande qui est cet annotateur du Code de droit canonique, ce M. Capparos, assis à la première travée. M. Routhier répond sotto voce « Opus Dei ». Me Boucher lève les yeux. Puis le mot passe de manière étouffée dans la colonne d’avocats – ils sont quatre – et les témoins de l’État qui sortent de la salle d’audience : Opus Dei, Opus Dei, Opus Dei… Derrière eux, alors qu’il passe devant Me Caparros, un membre du public dit bien fort : « Alors comme cela vous êtes de l’Opus Dei, monsieur ? » Me Caparros sourit, n’ayant — après vérification de notre part — jamais caché la chose.

Il ne s'agirait donc pas d'entêtement et d'incompétence de la part de Gilles Routhier, mais d'un ténébreux complot... Comme c'est commode.




[1] « Episcopis diœcesanis adest, ut scholæ catholicæ ubi fieri potest, constituantur, et summa sollicitudine foveantur utque in omnibus scholis educatio catechetica et pastoralis cura alumnis Christifidelibus per opportuna incepta præbeantur. »

http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/apost_constitutions/documents/hf_jp-ii_apc_19880628_pastor-bonus-roman-curia_lt.html

« It is available to diocesan bishops so that, wherever possible, Catholic schools be established and fostered with the utmost care, and that in every school appropriate undertakings bring catechetical instruction and pastoral care to the Christian pupils. »

http://www.vatican.va/holy_father/john_paul_ii/apost_constitutions/documents/hf_jp-ii_apc_19880628_pastor-bonus-roman-curia_en.html

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