lundi 10 mars 2008

France — l'école à la maison et les préjugés

Plus de 10 000 enfants sont instruits à domicile. Parmi eux, 1 000 à 3 000 ne sont pas même inscrits à des cours par correspondance. Incultes, mal élevés ? Pas du tout. Les « non-sco » égratignent le mythe de l'école républicaine.

Le magazine Le Point a enquêté, quelques extraits :

Car le pays se méfie de l'instruction en famille (IEF), craignant qu'elle ne masque maltraitances et dérives sectaires. En 1998, une loi renforçant les contrôles est votée. Au Sénat, Ségolène Royal s'inquiète : « La scolarisation des enfants doit être la règle [...] Interdire à l'enfant cette expérience fondamentale, c'est l'exclure de l'humanité, c'est le soumettre aux hasards des influences, c'est le rendre plus vulnérable en le faisant moins libre. » Bigre !

Face à cette méfiance, les familles se crispent. Il y a quelques semaines, une conférence de presse organisée par l'association Les Enfants d'abord a failli mal tourner : les journalistes relaient les habituelles interrogations. Une maman se révolte, leur demande quels sont leurs « préjugés ». Un jeune adulte qui n'a jamais mis les pieds à l'école élude une à une les questions qui, selon lui, « n'ont pas de sens ». Le ton monte, on frôle l'incident.

Surmontant ces « préjugés », nous nous sommes donc rendus dans des familles « non sco ». Surprise : ce ne sont pas ces parents raidis de principes, soucieux de contrôler étroitement leur progéniture, mais des familles plutôt « no logo », souhaitant éduquer leurs enfants « sans violence » mais non sans règles, et se mettre à l'écoute de leur spontanéité. Leur but : en faire des individus sûrs d'eux-mêmes, responsables et libres.

Claudia Renau a ainsi beaucoup réfléchi à l'éducation. C'est bien normal : elle était professeur d'histoire-géographie. « Il suffit d'interroger des élèves trois semaines après la leçon pour s'en rendre compte : ils ne se souviennent de rien. L'école ne s'appuie pas sur la motivation des enfants et échoue à transmettre les savoirs. Par contre, elle excelle à transmettre les valeurs souterraines de la société : la compétition, la soumission à la hiérarchie. » Claudia est donc aujourd'hui une adepte de l'unschooling [non-sco, dé-sco] pour ses filles, Auriane, 7 ans et demi, Loline, 5 ans, et Lilou, 2 ans. C'est la version la plus radicale de l'IEF, qui consiste à intervenir le moins possible. « A la limite, déclare Claudia, mon rôle se borne à leur fournir un accès Internet et un abonnement à une bibliothèque. » Auriane a appris à lire « à raison d'un ou deux mots par jour ». Elle écrit et passe de longs moments à découvrir les mots et l'orthographe, l'anglais ou l'espagnol sur un PC qui lui est propre. Pendant que Claudia explique ses choix, Loline fait de la peinture, joue à cache-cache avec sa petite soeur.

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Bien, mais la socialisation des filles ? Claudia sourit. Elle est « relais Paris » de l'association Les Enfants d'abord, et c'est elle qui organise le calendrier des activités. Toutes les semaines, un atelier de bricolage, une visite à la Cité des sciences, une initiation au cirque, au foot, etc. « Les enfants ne limitent pas leurs relations à des camarades issus du même milieu social ni du même âge. » La vraie mixité sociale et affective, c'est l'IEF qui la réaliserait.

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voici Dali, une Française d'origine serbe, surdiplômée et mère de trois jeunes garçons. La petite famille vit au Blanc-Mesnil, dans une cité HLM, avec moins de 1 500 euros par mois. Dali aussi a beaucoup réfléchi : pourquoi cumuler deux salaires, consommer toujours plus et livrer ses enfants à ce « non-sens éducatif » qu'est l'école ? « Les élèves y vont par classe d'âge, séparés des aînés et ligués contre les adultes, alors que les enfants ne peuvent apprendre que par l'imitation ! » Autre lieu, autre ambiance : les Sanson sont catholiques et la maman ne voulait pas que son aîné redouble. Les cinq enfants suivent les cours du CNED. Les Evans, eux, sont des globe-trotteurs : à 6 ans, en Belgique, Mickael tombe sur un instituteur « très rigide » et devient agressif. Ni une ni deux, il est retiré de l'école. Son frère cadet, du coup, n'a jamais mis les pieds en classe !

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Certains ados sont pourtant curieux d'essayer l'école. Mickael Evans, notamment, voulait savoir comment c'était, le lycée. « J'ai tenu trois mois. Quelle perte de temps ! Cinq à sept heures de cours par jour alors qu'à la maison, en deux heures, c'est plié. » Elsa Magnier a eu exactement la même expérience : « Quand j'ai repris le lycée en terminale, j'ai dû laisser tomber toutes mes activités. Etre enfermée six heures à ne rien faire m'épuisait. » Désocialisation patente ? Voire ! Mickael s'apprête à quitter le foyer familial pour suivre une première année universitaire en Angleterre, et Elsa a fait une prépa avant de poursuivre en école d'ingénieurs... à 19 ans !

À écouter les récits, la non-scolarisation n'a que des avantages. Des vacances au ski quand les pistes sont vides, des enfants « jamais malades », qu'on ne tire pas du lit le matin et dont la curiosité s'épanouit hors du carcan des programmes.

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Aucune difficulté ne semble insurmontable aux familles, si ce n'est... ces fichus contrôles de l'inspection ! Des histoires terribles circulent sur le Net, comme celle de cette mère suspectée de dérives sectaires parce qu'elle faisait du yoga ! On n'ose y croire, mais la lettre que Claire a reçue de l'inspection académique est, elle, bien réelle : on lui refuse l'instruction en famille au prétexte que sa fille de 7 ans atteint, en fin de CP, un niveau de lecture de milieu de CP ! De la part d'une institution qui envoie bon an mal an 15 % d'illettrés au collège, cela ne manque pas de sel ! « L'école n'a qu'une obligation de moyens. Nous, une obligation de résultats », soupire Claire. Lisant la lettre, son mari, qui n'était pas chaud au départ pour déscolariser les petites, s'est exclamé : « Mais ce pays est communiste ! »

En France[ et au Québec], on pense volontiers que l'État fait mieux que l'individu, y compris en matière d'éducation. Aux Etats-Unis, on fait davantage confiance à la famille. Il y aurait 2 millions de home schoolers [comme on dit à Paris...] et pas seulement pour des motifs religieux. Des études ont montré que non seulement le quart de ces enfants avaient au moins un an d'avance sur les autres, mais que, contrairement à leurs pairs scolarisés, leurs origines sociales ou ethniques ne pesaient pas sur leurs résultats. En France, aucune étude à ce jour. Pourtant, les solutions bricolées des « non sco » méritent mieux que la suspicion de l'administration. Sandrine n'a pas son bac. Son aînée a appris à lire dans une méthode Boscher, qualifiée de réactionnaire par les « pédagos » [pire, cette méthode marche!]. Mais, pour les maths, Sandrine s'appuie sur une méthode canadienne très novatrice : « On voit les enfants comprendre au fur et à mesure, l'intelligence s'allumer dans leurs yeux. »

Alors, la journaliste, qui tous les matins abandonne la chair de sa chair aux griffes de l'institution scolaire, se rebiffe. Les mères n'ont-elles pas tout simplement le droit de souffler et de se décharger d'une partie de leurs responsabilités ? Un tel sacerdoce n'est pas à la portée de tous ! Valérie Vincent se récrie : « Quel sacerdoce ? Je ne scolarise pas mes enfants parce que je les aime. » Elle se reprend : « Euh... Cela ne signifie pas que les autres ne les aiment pas ! » On respire !

Ils ne sont pas allés à l'école

Maud Fontenoy

Dernier ouvrage : « Le sel de la vie » (Arthaud).

Sept jours après sa naissance, Maud embarque à bord d'une goélette avec ses parents et ses deux frères pour un périple de quinze ans, et sa scolarité se déroule par correspondance : « Mon père parfois blaguait : " Attention ! si tu ne travailles pas, tu iras à l'école ! ", comme s'il s'agissait de la pire des punitions. Et c'est vrai qu'à mon arrivée en terminale, ce fut un choc. L'école était l'inverse de tout ce que nous avions appris : la liberté, l'autodiscipline, la responsabilité. Mon premier combat a été de réussir mon bac. L'école a refusé de me présenter et j'ai dû m'inscrire en candidat libre. Je l'ai eu du premier coup. Plus tard, je me suis réconciliée avec l'Éducation nationale. Mais, si j'ai des enfants, j'aimerais bien leur rendre le temps et l'amour que mes parents m'ont donnés. »

Christopher Paolini

Auteur de la trilogie « Eragon » (éditions Bayard).

Le livre « Eragon », une sorte de « Seigneur des Anneaux », a été vendu à 8 millions d'exemplaires dans le monde, traduit en une quarantaine de langues et adapté au cinéma. Il est pourtant sorti de l'imagination d'un Américain de... 15 ans qui n'a jamais mis les pieds à l'école. Dans cet ouvrage de presque 2 000 pages, Christopher Paolini invente une géographie et pas moins de trois langues. « Je ne sais pas si, à la maison, on reçoit une meilleure éducation qu'à l'école, a-t-il expliqué à des fans qui l'interrogeaient. Mais le fait est que cela m'a laissé du temps pour écrire. » Certes.

Pierre-Gilles de Gennes

Prix Nobel de physique 1991, mort en 2007.

De santé fragile, le futur prix Nobel de physique ne met pas les pieds à l'école avant la 5e [12 ans]. Plus tard, sa mère le retire du lycée durant un an pour « parfaire [son] éducation au Louvre ». Tout cela ne l'empêche pas d'entrer à l'Ecole normale supérieure. D'où sa proposition décoiffante de réforme de l'Education nationale : « Je me pose parfois sérieusement la question de savoir si, actuellement, à nombre d'enseignants égal [...] il ne serait pas préférable de prendre les gens individuellement une heure ou deux par jour, [...] plutôt que de soumettre chaque gamin à la moulinette de la classe. [...] »

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