jeudi 18 août 2016

Anglicisation — ruée vers le cégep anglais

COLLÈGE ST. LAWRENCE

Alors que la majorité des cégeps doit composer avec une baisse démographique, le Collège St. Lawrence est quant à lui au maximum de sa capacité, ayant dû refuser environ 400 étudiants cette année. La proportion de jeunes francophones qui veulent étudier en anglais est «de plus en plus forte», soutient le directeur Edward Berryman.

L'institution anglophone de Sainte-Foy accueillera 950 élèves en ses murs cette année, soit le maximum que lui permettent ses locaux. «Depuis plusieurs années, on fait le plein au premier tour. La pression est très, très forte pour entrer à St. Lawrence», explique M. Berryman, qui se voit contraint de refuser des étudiants qui ont de très bons dossiers scolaires. Le Collège a pour mission d'accueillir en premier lieu les étudiants issus de la communauté anglophone de l'Est-du-Québec, et les francophones qui le désirent par la suite.

Ces dernières années, le Collège a même dû payer une amende au ministère de l'Éducation pour avoir accueilli entre 50 et 75 étudiants de trop. «La dernière qu'on a payée s'élevait à 75 000 $», indique M. Berryman. Heureusement pour lui et pour certains cégeps de Montréal, un moratoire de deux ans a été annoncé par le ministère de l'Éducation au printemps, moratoire qui suspend les amendes pour les élèves en surplus dans certains cégeps.

«Le désir des jeunes d'avoir de l'éducation en anglais est plus fort que jamais», croit M. Berryman. Malgré cela, le ministère de l'Éducation n'accorde pas de hausse du «quota» d'étudiants au Collège St. Lawrence.

Le Collège inaugure tout de même pour la rentrée son premier agrandissement physique en 40 ans. Il s'agit d'une nouvelle aile rattachée au bâtiment principal, située sur la rue Nérée-Tremblay. Baptisée student center, elle comprend un espace de vie pour les jeunes, des bureaux pour les associations et les clubs étudiants et une salle multifonctionnelle. Ce n'est toutefois pas de l'espace destiné à l'enseignement.

Au cours des prochaines années, le Collège St. Lawrence aimerait pouvoir prendre de l'expansion, question de répondre à la demande. «C'est dommage de ne pas pouvoir servir plus d'étudiants. Ce n'est pas pour combler nos besoins à nous, mais les besoins des jeunes, de la communauté et de la région», soutient M. Berryman.

CÉGEP DE SAINTE-FOY

Ce désir d'apprendre l'anglais et de s'ouvrir à l'international se fait également sentir au Cégep de Sainte-Foy. Pour la rentrée 2017, le cégep prépare deux nouveaux diplômes d'études collégiales doubles (double-DEC). Un en Sciences de la nature et langues, et l'autre en Sciences humaines et langues. «Il y a vraiment une demande pour ça. Les étudiants sont très préoccupés et veulent répondre aux attentes du marché du travail», explique Carole Lavoie, directrice du Cégep.

L'institution développe aussi tout un créneau d'études à l'étranger, avec des sessions de cours en Italie et en Irlande. L'an dernier, 150 étudiants ont pu compléter une partie de leur formation à l'étranger.

Pour cette année, le cégep connaît une légère hausse de ses inscriptions. Il accueille environ 50 étudiants de plus, pour un total de 6600. «On est à pleine capacité, même si ça fait cinq ans qu'on vit avec une baisse démographique et une baisse des demandes d'admission», indique Mme Lavoie.

La première pelletée de terre d'un nouveau pavillon sera donnée au Cégep de Sainte-Foy en septembre. Ce pavillon, situé près du chemin Sainte-Foy, accueillera les deux centres de transferts technologiques du Cégep, en multimédia et en foresterie. C'est également la dernière année d'ouverture de la piscine du Cégep, qui devrait être remplacée en 2017 par une salle de conditionnement physique et de spinning.

CÉGEP GARNEAU

Le Cégep Garneau a aussi déployé de «nouvelles stratégies» pour remplir ses classes cette année, avec succès. Il accueillera environ 150 étudiants de plus que l'an dernier, pour un total de 6200, indique Sylvie Fortin, directrice des communications.

Par exemple, le Cégep, qui a déjà une bonne réputation dans le domaine sportif, a bonifié son offre en ouvrant une équipe de compétition en natation (40 inscriptions) et une autre en tennis (12 inscriptions). «On sait que le taux de réussite des sportifs est de 92 %, alors c'est quelque chose qu'on veut continuer à valoriser», indique Mme Fortin.

Garneau mise également sur l'entrepreneuriat pour attirer les jeunes du secondaire, qui ont déjà démarré des entreprises à l'école ou qui veulent le faire. L'institution inaugurera la semaine prochaine l'École d'entrepreneuriat de Québec, un incubateur d'entreprises.

Déjà en chantier, la nouvelle bibliothèque de Garneau devrait ouvrir ses portes en janvier 2017. Des travaux de 5 millions $ auront permis de lui donner une tout autre allure.

CÉGEP LIMOILOU

Pour la rentrée, le Cégep Limoilou a tout misé sur l'accueil des nouveaux étudiants. Plus ceux-ci seront bien guidés, «plus ils auront le goût de persévérer», croit le directeur, Louis Grou. Le Cégep doit composer cette année avec une baisse de 3 % de ses effectifs, pour un total de 5325 étudiants.

D'où l'importance de bien encadrer les jeunes lorsqu'ils récupèrent leur horaire, cherchent leurs locaux ou achètent leurs fournitures scolaires. «La marche entre le secondaire et le cégep, elle est haute. Et c'est stressant pour certains», croit M. Grou. En début d'année, le Cégep avait l'habitude de «perdre» environ 200 étudiants. Un chiffre qui a baissé autour de 75 l'an dernier et que l'institution cherche encore à faire diminuer.

«On a 700 étudiants issus de l'immigration, on a des étudiants qui sont aussi des parents et qui ont des besoins différents au niveau de l'accueil», explique M. Grou. Depuis un an, le Cégep a mis sur pied le programme Connaître pour accompagner (CPA +), qui vise à mieux déceler les difficultés des jeunes et faire en sorte qu'ils réussissent.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Naturellement, on nous dira que ce n'est pas grave, et que c'est même un signe d'ouverture sur le monde.

Jean-Marc a dit…

J’ai pu obtenir les dernières données de fréquentation au cégep du ministère de l’Éducation et de l’enseignement supérieur en date du 25 février 2017. Ces données permettent de dégager les tendances et de comprendre une actualité, qui ne nous propose, la plupart du temps, qu’un portrait morcelé et partiel de la réalité.

Pour le Québec au complet, en 2016-2017, 26 780 étudiants étaient inscrits à temps plein dans les cégeps anglophones publics, soit une légère hausse de 113 étudiants (0,4 %) par rapport au nombre d’étudiants inscrits en 2013-2014. Dans le réseau francophone, sur la même période, on note une baisse de 2343 étudiants (soit 1,7 %), de 139 254 à 136 911 étudiants.

Pour la région de Montréal, en 2016-2017, 20 623 étudiants étaient inscrits à temps plein dans les cégeps anglophones publics, soit une légère hausse de 154 étudiants (0,75 %) par rapport au nombre d’étudiants inscrits en 2013-2014. Dans le réseau francophone, sur la même période, on note une baisse de 907 étudiants (soit 2,5 %), de 36 941 à 36 034 étudiants.

La tendance pour les DEC préuniversitaires est particulièrement intéressante. Pendant que les cégeps francophones perdaient 1496 étudiants de 2013 à 2017 (de 16 850 à 15 354), les cégeps anglophones, de leur côté, ne subissaient aucune baisse (13 969 à 14 005 étudiants temps plein).

Si cette tendance se maintient, dans quatre ans, il y aura le même nombre d’étudiants inscrits au DEC préuniversitaire au cégep anglophone qu’au cégep francophone à Montréal. La tendance est évidente : les cégeps anglophones font le plein d’étudiants pendant que les cégeps francophones sont en perte de vitesse.

Certains se réjouissent du fait qu’environ la moitié des allophones s’inscrivent au cégep français et que cette proportion soit en légère hausse sur une décennie. Dans ce cas, cette moitié est un verre à moitié vide. Voici pourquoi.

Jean-Marc a dit…


Statistiques Canada annonçait en janvier dernier que la proportion d’allophones allait presque doubler au Québec de 2011 à 2036, passant de 12,9% de la population à 21,2%. A Montréal, les allophones constitueront 32,2% de la population.

Si la moitié seulement s’inscrit dans les cégeps francophones, il est facile de prévoir que, mécaniquement, il y aura un effondrement continu du nombre d’inscriptions dans ces institutions et une explosion du nombre d’inscriptions dans les institutions anglophones. L’effet à Montréal sera particulièrement dramatique. En 2036, le réseau de Cégeps anglophones sera le réseau dominant à Montréal.

Cet effondrement des inscriptions dans les institutions francophones a déjà débuté et force les directions des cégeps francophones à se livrer à un clientélisme forcené dans l’espoir de maintenir leurs programmes (et leurs emplois!).

Ainsi, Le Devoir annonçait le 23 juin dernier que le Cégep Bois-de-Boulogne à Montréal avait voté la création d’un DEC « bilingue » afin d’attirer plus de francophones et de tenter de pallier la baisse de clientèle qui le frappe. Le Cégep Mérici de Québec a aussi basculé au bilinguisme récemment pour les mêmes raisons. Il est de notoriété publique que le plus gros cégep de Québec, le Cégep de Sainte-Foy, travaille aussi à angliciser ses programmes afin de faire concurrence à Saint-Lawrence.

Cette anglicisation des programmes dans les institutions francophones est un signal fort adressé aux étudiants et à la société en général, signal qui indique qu’une formation en français est « insuffisante », et qu’il faut maintenant étudier directement en anglais pour assurer son avenir au Québec.

Il faut réfléchir aux conséquences logiques qui découlent de cette anglicisation : pour enseigner en anglais dans les cégeps, ne faut-il pas des professeurs formés en anglais? Des anglophones de préférence? Les universités francophones pourront-elles longtemps offrir des programmes en français dans certaines disciplines?

Ceux qui visent l’enseignement au cégep y penseront, en effet, par deux fois avant de s’inscrire dans un programme de langue française qui risque de leur fermer des portes.

De plus les études en « bilingue » ou en anglais au cégep risquent d’orienter les étudiants vers les universités anglophones, question de leur permettre de continuer à « pratiquer leur anglais ». Une baisse de clientèle est donc aussi à prévoir dans les universités francophones.

Il faudra aussi penser à mieux « préparer » les étudiants à étudier en anglais au cégep en mettant encore plus d’heures d’anglais au primaire et au secondaire. Bref, l’anglicisation tranquille des cégeps francophones risque fort de déclencher une réaction en chaîne et de miner la cohérence du réseau d’éducation de langue française au Québec.

Le prix à payer pour le refus obstiné de mettre en place quelque chose qui ressemble à une « loi 101 au cégep » sera lourd. A court terme, ce qui se profile n’est pas le maintien du statu quo et du mal-nommé « équilibre linguistique », mais l’effondrement du système d’éducation francophone au Québec comme vecteur d’intégration et de déploiement du français langue commune.