lundi 31 août 2015

Humour — « Une majorité des Québécois préfèrent la connaissance à l'ignorance »

Remarque amusante du Premier ministre Couillard (ci-contre) interrogé au sujet du nouveau programme d’éducation à la sexualité (encore moins d’heures de français, voir aussi ici ?) en marge de la rencontre des Premiers ministres de l’est du Canada et des gouverneurs de la Nouvelle-Angleterre, Philippe Couillard a souligné qu’« il faut que le cours soit bien fait, donné par des personnes compétentes qui ont la formation pour le faire, qu’il soit équilibré et qu’il tienne compte de l’âge et du niveau des enfants auxquels il s’adresse ».

« Sur ce point-là, je pense que déjà une bonne majorité des Québécois préfèrent la connaissance à l’ignorance », a-t-il ajouté.

Le Premier ministre est un grand pince-sans-rire.

Il est bien évident que les gens préfèrent la qualité à de la camelote et la connaissance à l’ignorance.

Mais... lui-même admet que cette connaissance doit tenir « compte de l’âge et du niveau des enfants ». Donc toute connaissance n’est peut-être pas bonne à donner dès la maternelle ? Une certaine innocence s’accompagnant d’une certaine ignorance...

Et, surtout, est-ce que le programme d’éducation à la sexualité est vraiment
  • uniquement informatif ? Aucune idéologie comme cette lutte contre les stéréotypes sexuels dès 7-8 ans prévue dans le programme, hmmm ? En quoi ceci est-il de la connaissance plutôt qu’une volonté idéologique de changer la société :
    « Les élèves réfléchissent :
    aux diverses façons de s’exprimer comme garçon ou comme fille, au-delà des stéréotypes ; aux normes sociales et aux stéréotypes véhiculés dans l’espace public (publicité, télévision, Internet, etc.) ; à l’importance du respect des différences, aux impacts du sexisme et de l’homophobie »
    Lutter à 7 ans contre l’homophobie...!? L’homophobie de ces garçonnets et fillettes étant sans doute simplement une préférence pour les couples hétérosexuels comme papa et maman. Très mal. L’État doit bien sûr intervenir, c’est évident, n’est-ce pas ?
  • et totalement informatif ? Le programme n’occulte-t-il aucun fait désagréable pour la doctrine hédoniste favorable à une sexualité précoce qui serait une bonne chose tant qu’« elle est [censément] protégée » ?  
Par exemple :
    • Les forts taux de maladies liées aux relations anales, inhérentes à la biologie de l’anus, 
    • Le fait que certaines infections vénériennes, parmi les plus courantes aujourd’hui d’ailleurs, s’attrapent même avec un condom...
     

Voir aussi

Québec — éducation sexuelle : dispense en 1992, aucune exemption en 2015.

La Théorie du genre — une volonté idéologique de déconstruire la société

Le juriste et philosophe Drieu Godefridi, dans un court essai, La loi du genre s’attache à décrypter l’idéologie du genre. Selon lui, elle s’impose à la société par voie technocratique et supranationale.

Le « djendeur ». C’est ainsi que les esprits forts appellent la théorie du genre pour se moquer de ceux qui s’en inquiètent. Pour eux, la théorie du genre n’existe pas et ceux qui prétendent la dénoncer ne savent pas de quoi ils parlent. Ils n’ont rien à craindre : le genre est un simple outil au service de l’égalité. Fermez le ban !

Drieu Godefridi, dans un court essai, La loi du genre, à l’argumentation rigoureuse et implacable, s’applique à démontrer le contraire. Oui, la « théorie du genre » existe. Oui, il y a bien, derrière les discours progressistes consensuels, une volonté idéologique de déconstruire la société.

Certes, les études de genre, qui existent depuis bien longtemps, ont leur pertinence. L’étude de « la relativité des catégories du masculin et du féminin » appartient évidemment au champ de la connaissance. Mais, souligne l’auteur, « bien vite, se dessina au cœur des études de genre un courant qui ne visait plus tant à connaître son objet, à le décrire et le comprendre, qu’à le transformer ». Savoir-pouvoir, disait Foucault, maître de la papesse américaine du genre Judith Butler, qui soulignait les liens indissociables entre la théorie et l’ingénierie sociale.

« Avez-vous un vagin ? »

Godefridi divise cette idéologie du genre en deux branches. Dans sa branche « homosexualiste », celle théorisée par Butler dans Trouble dans le genre, elle se développe avec pour objectif affiché de « destituer l’hétéronormativité ». Il s’agit d’en finir avec la polarisation universelle du genre humain en deux sexes, jugée artificielle, arbitraire et stigmatisante, au profit, d’une « transidentité » floue (« queer »), ou au contraire d’étiquettes très précises quant à l’« orientation sexuelle » (« gay » « lesbienne » « bi », etc.). Les deux pouvant, bien sûr, se combiner. « Avez-vous un vagin ? » à cette question, Monique Wittig, disciple de Butler, répondit simplement : « non ». Cet idéalisme forcené (Butler a fait sa thèse sur Hegel, maitre indépassable de l’idéalisme allemand) qui rompt avec le réalisme biologique, est aussi — paradoxe — un relativisme. En effet, si tout est culture, tout est langage, il n’existe aucune norme extérieure à la subjectivité de la personne.

Les féministes-genristes, idiotes utiles de Butler

Là où Butler veut détruire la division universelle de l’humanité en deux sexes — soit la matrice hétérosexuelle — les féministes ont la plus modeste ambition de détruire la domination d’un sexe sur l’autre. Ainsi, dans sa version « féministe », le genre sert d’outil pour établir un continuum entre stéréotypes et violences faites aux femmes, devenu le fer de lance de la cause féministe. De « Madame la présidente » à l’Assemblée nationale au viol dans le métro, c’est une seule et même violence, celle du patriarcat, qui s’exerce sous des formes physiques ou symboliques. En gros, c’est parce que maman fait la vaisselle que papa se sent le droit de la frapper. C’est parce que les petites filles rêvent d’être des Princesses qu’il n’y a pas de femme présidente de la République.

[Note du carnet, le nouveau programme d’éducation à la sexualité du Québec compte lutter contre ces horribles stéréotypes dès le primaire (7-8 ans). Quelle horreur ! Des enfants pourraient penser qu’il y a des jouets pour enfants (apparemment, c’est pourtant le cas), il faut que l’État intervienne au plus tôt !
« Les stéréotypes sexuels influencent les choix (jeux, vêtements, activités) des garçons et des filles.

La lutte contre les stéréotypes favorise le développement du plein potentiel des filles et des garçons, et contribue à des rapports égalitaires et plus harmonieux entre les sexes. »

Et toujours à 7 et 8 ans :

« Les élèves réfléchissent :
aux diverses façons de s’exprimer comme garçon ou comme fille, au-delà des stéréotypes ;
aux normes sociales et aux stéréotypes véhiculés dans l’espace public (publicité, télévision, Internet, etc.) ;
à l’importance du respect des différences, aux impacts du sexisme et de l’homophobie
»

Lutter contre l’homophobie... À 7 ans...]


La philosophe Sylviane Agacinski a elle bien vu cet écueil, critiquant cette « subversion du féminisme » que constitue l’adoption des thèses butleriennes par les féministes. « En s’engouffrant, à la suite de Butler, dans la négation de la biologie, les féministes du genre servent des étrangers à leur cause, qui est, en dernière analyse, la complète égalité matérielle des hommes et des femmes. » écrit Godefridi. « Les féministo-genristes sont les idiotes utiles du genre Butler » conclut l’auteur. L’échec de cette convergence des luttes trouve un aveu flagrant dans la revendication LGBT de la gestation pour autrui, véritable mise en esclavage du corps féminin, nié par un idéalisme qui refuse toute pertinence au biologique.

De plus, en plus d’être déresponsabilisant (c’est pas de ma faute, c’est la société) cette continuité entre préjugés et passage à la violence physique, n’a aucune validité scientifique, démontre l’auteur.

De la non-scientificité de la théorie du genre

D’ailleurs, une des intuitions passionnantes de cet essai est la confrontation de la « théorie du genre » au critère de scientificité de Karl Popper. Pour Karl Popper, ce qui distingue une théorie scientifique d’une théorie métaphysique (ou d’une idéologie) c’est sa possibilité d’être réfutée, ou falsifiée. Une théorie infalsifiable, c’est à dire non-scientifique, est une théorie qui résiste à la démonstration du contraire, et inclut cette réfutation comme faisant partie de la théorie. Exemple : si vous critiquez le marxisme, c’est que vous êtes un bourgeois. Si vous critiquez la psychanalyse, c’est que vous êtes névrosé. Si vous critiquez la théorie du genre, c’est bien la preuve que le monde est bien dirigé par la « caste hétérosexuelle » cherchant à maintenir son pouvoir par tous les moyens. Logique implacable et orwelienne, qui nie toute possibilité d’une critique en la renvoyant en ricanant aux fantasmes du « djendeur ».

Toutes ces arguties pourraient rester confinées aux couloirs d’université ou aux réunions non-mixtes de militantes trostko-féministes, si la théorie du genre n’avait pas acquis une dimension « technocratique et supranationale », et n’était pas imposée par le haut, à coup de rapports et de résolutions par les institutions de l’Union européenne notamment. Ainsi, rappelle l’auteur, une convention du Conseil de l’Europe, adoptée en 2011 à Istanbul stipule que les Parties « prennent les mesures nécessaires (…) en vue d’éradiquer les préjugés, les coutumes, les traditions, et toute autre pratique fondés sur (…) un rôle stéréotypé des femmes et des hommes. » Un programme d’ingénierie sociale, un « songe totalitaire » échappant à tout débat démocratique. Voilà ce qu’est l’implacable loi du genre.

Présentation de l’éditeur

En l’espace de quelques années, la théorie du genre a saturé l’espace public. Prenant prétexte d’une convention du Conseil de l’Europe, l’auteur revient sur les origines de cette fameuse théorie. Il démontre comment elle s’articule autour de deux lignées fort différentes, d’une part le « genre homosexualiste » brillamment présenté par Judith Butler, de l’autre, le « genre féministe » plus directement actif dans nos systèmes politiques. En fin de compte, l’auteur montre que le « genre » n’est pas une science, mais une tentative idéologique et révolutionnaire de recréer l’homme et la femme par la contrainte de l’État, en niant leur altérité.

Docteur en philosophie (Sorbonne) et juriste, Drieu Godefridi est un épistémologue qui se revendique de la tradition de Friedrich Hayek, Karl Popper et Paul Feyerabend.

La loi du genre,
par Drieu Godefridi,
paru aux Belles Lettres,
à Paris,
en août 2015,
92 pages,
ISBN-13 978-2-251-50305-9

Source

Québec — Les intérêts du ministère et des syndicats au centre du système scolaire ?

Billet d’Adrien Pouliot, chef du Parti conservateur du Québec

L’automne risque d’être chaud en éducation. Pendant que les syndicats des enseignants battent les tam-tams de grève, le Forum des idées du Québec se penche sur le système d’éducation du XXIe siècle au Québec, espérant pouvoir identifier certains points sur lesquels les politiques d’éducation du Québec devraient être concentrées afin d’atteindre ce que devrait être, ou ce à quoi devrait ressembler, un système d’éducation idéal pour le Québec du XXIe siècle.

Les propos de Line Camerlain, vice-présidente de la Centrale des enseignants du Québec (CEQ), relatifs aux quatre innovations dans le système scolaire du Wisconsin soulignées par Mathieu Perreault de La Presse [le 22 août] laissent présager le genre de collaboration que le Forum pourra recevoir des syndicats ancrés dans l’immobilisme et le corporatisme tous azimuts, peu importe l’impact sur les élèves.

Au Wisconsin, de plus en plus de commissions scolaires rémunèrent au mérite et ces évaluations servent aussi aux promotions et aux congédiements, plutôt que l’ancienneté. Qu’en pense Mme Camerlain ? Elle balaie cette idée du revers de la main. De toute façon, selon elle, le prof ne compte que pour 15 à 20 % du succès scolaire ! Belle façon de valoriser la tâche de ses membres ! Et les écoles à charte ? Horreur : c’est une privatisation avec une gestion axée sur les résultats ! Imaginez : au Wisconsin, les résultats comptent !

Que dire de l’idée de permettre aux enseignants d’enseigner les matières qu’ils connaissent bien sans avoir un diplôme en éducation ?

[On se rappellera cette histoire rapportée dans Le Devoir d’un excellent prof de latin qui, lui aussi, n’était pas qualifié au sens de la Loi. Il avait dû renoncer à son poste et enseigner le latin à son successeur qui ne le connaissait pas ou peu, mais qui détenait le diplôme nécessaire en pédagogisme. La chose avait même ému Josée Boileau dans le Devoir qui dénonçait « un incroyable salmigondis administratif, goutte d'eau qui s'ajoute à un parcours fait d'obstacles syndicaux et bureaucratiques qui ne peuvent faire rire que dans les films de Denys Arcand ou un épisode des Bougon. »]

Mme Camerlain affirme que ce n’est pas parce que quelqu’un est bon dans un labo qu’il peut bien enseigner. Madame Camerlain, préférez-vous un prof qui ne connaisse rien en science, mais qui l’enseigne parce qu’il a un diplôme d’enseignement ? Quant à envoyer des premiers de classe universitaires enseigner dans les écoles défavorisées, Mme Camerlain croit qu’on ne fait qu’utiliser de la « main-d’œuvre à bon marché ».

Pendant ce temps, au Québec, on tenait la semaine dernière le grand encan des esclaves, journée où, tour à tour, les enseignants ayant le moins d’ancienneté se font offrir, par un tirage au sort équivalant à un bingo ou une loterie, des tâches où ils auront plusieurs matières à enseigner à des élèves de plusieurs niveaux différents, parfois même dans des écoles différentes. Ces enseignants apprendront à quelques jours de la rentrée des classes ce qu’ils devront enseigner, sans véritablement avoir le temps de se préparer convenablement. Ceux qui ont le plus d’ancienneté, peu importe leurs compétences, ont pu, eux, choisir leurs assignations au printemps dernier.

Nos écoles regorgent de braves directeurs et de valeureux enseignants qui ont à cœur le succès de leurs élèves, mais le système éducatif coulé dans le béton des conventions collectives enlève les incitatifs à innover pour faire progresser leurs élèves, les menottant dans un immobilisme étouffant.

Afin de revitaliser notre système d’éducation, il y a lieu d’abord de placer les besoins des élèves et l’action constructive des parents au cœur de son fonctionnement. Les parents et leurs enfants doivent commander l’attention première et ultime des gestionnaires des écoles primaires et secondaires.

Les responsabilités et l’imputabilité des conseils d’établissement doivent être rehaussées, quitte à en faire de véritables conseils d’administration, afin qu’ils puissent exercer pleinement leur leadership en matière de pédagogie et d’administration. Une fois les écoles autonomes et responsables, les commissions scolaires deviendraient inutiles.

Les directions d’école devraient pouvoir négocier elles-mêmes la rémunération de leur personnel enseignant avec leur syndicat respectif et elles devraient, dans le cadre d’une évaluation juste, pouvoir congédier ceux qui n'ont pas de bons résultats et promouvoir ceux qui le méritent.

Le ministère de l’Éducation devrait continuer d’établir le cadre général de l’éducation québécoise et de déterminer un cahier de charges par cycle, mais les curriculums doivent être décidés par les directions d’école avec leurs enseignants. Pour éviter que le ministère ne soit juge et partie, je propose qu’une commission d’évaluation (relevant de l’Assemblée nationale plutôt que du ministère) fixe les standards à atteindre au primaire et au secondaire en les relevant progressivement. Elle serait aussi chargée de concevoir et de faire passer les examens nationaux et de diffuser largement les résultats obtenus par les écoles.

Tout en respectant l’universalité de l’accès à l’éducation, je préconise un nouveau mode de financement des écoles qui mettrait un levier de premier ordre entre les mains des parents. Il s’agit d’un système de bons d’étude universels comme on le retrouve notamment en Nouvelle-Zélande, au Danemark et en Suède. Tout parent d’un enfant inscrit à l’école primaire ou secondaire recevrait un bon d’étude pour couvrir les coûts de l’année scolaire et il pourrait ensuite « magasiner » son école, soit l’école publique de son quartier, l’école publique du quartier voisin, ou encore l’école privée (OSBL ou à but lucratif) de son choix.

Je n’invente rien : le ministère de l’Éducation utilise déjà une formule qui s’apparente aux bons d’étude pour financer les universités et les CÉGEPS. En effet, les étudiants des niveaux postsecondaires ont le choix de leur programme à l’intérieur de ces institutions, lesquelles reçoivent une subvention correspondant au nombre de cours suivis par ces étudiants inscrits dans les programmes à une date donnée. En exerçant ces choix, les étudiants soumettent les institutions universitaires et collégiales à la concurrence.

En effet, les bons d’étude universels, offerts à tous les parents, seront de nature à augmenter la qualité des écoles au moyen d’un mécanisme de choix du parent, lequel choix signifie un financement supérieur pour l’école. Il semble évident que les écoles offrant les meilleures formations et celles les mieux adaptées aux besoins des élèves seront choisies plus souvent.

Finalement, il faut vraiment valoriser les professeurs — ils ont un impact majeur sur nos enfants. Les fonctionnaires du ministère ne devraient plus prescrire les méthodes d’enseignement. Désormais imputables de leurs résultats devant leurs patrons ultimes — les parents —, les enseignants, de concert avec les directions d’écoles, auraient la responsabilité d’adopter les méthodes leur apparaissant les plus efficaces. Cette liberté diversifiera l’offre de services éducatifs aux parents.

L’establishment scolaire ne cesse de dire qu’il faut placer l’élève au centre des préoccupations du système alors que, dans les faits, c’est l’intérêt des enseignants syndiqués qui fait l’objet de toutes les attentions. Tant que les enfants et leurs parents n’auront pas le pouvoir de choisir et seront traités comme les récipiendaires des largesses de l’État plutôt que comme des clients, il y a fort à parier que les syndicats continueront d’avoir la main haute sur l’éducation de ceux qui feront l’avenir du Québec.

dimanche 30 août 2015

Québec — éducation sexuelle : dispense en 1992, aucune exemption en 2015.

En 1992, à la suite de la mise en place d’un cours d’éducation à la sexualité par le monopole de l’Éducation du Québec, des parents avaient obtenu la possibilité de voir leurs enfants dispensés de ce programme pour peu qu’ils reçoivent un cours équivalent à la maison. Voir au bas de ce billet.

On apprenait aujourd’hui que, en 2015, « il n’y aura aucune exemption ». Tout cela sans doute au nom de la valorisation de la diversité, de la tolérance et d’une sage modestie...

La dépêche de la Presse canadienne qui relate cette raideur étatique commence ainsi :
La connaissance des choses du sexe est trop importante pour être facultative, aux yeux du ministère de l’Éducation. Au même titre que le français et les mathématiques, l’éducation sexuelle sera donc obligatoire pour tous, de la maternelle à la cinquième secondaire dans les écoles du Québec, sans égard aux convictions religieuses et valeurs des parents issus de différentes communautés.

Aucune exemption ne sera tolérée.

Bien évidemment tout dépend de la manière et à quel âge cette « connaissance des choses du sexe » est imposée par l'État... Mais le ministère semble feindre la possibilité d’une divergence légitime sur ce sujet pourtant éminemment subjectif et moral.
Dans un premier temps, un projet pilote d’éducation sexuelle, qui démarre dans quelques jours, dès la rentrée scolaire, dans une quinzaine d’écoles, durera deux ans. Ce programme, dont bénéficieront 8200 élèves, devrait par la suite être intégré au curriculum des élèves dès 2017.

Mais on sait déjà que ce programme est loin de faire l’unanimité, comme en font foi divers documents obtenus par La Presse canadienne et une série d’entrevues menées sur le sujet au cours des dernières semaines.

Qu’il s’agisse du caractère obligatoire du cours, du manque de formation des enseignants, de l’absence de consultation du milieu ou de l’approche pédagogique retenue par le ministère de l’Éducation, les sujets de controverse ne manqueront pas au cours des prochains mois.

Et que cela leur plaise ou non, les parents plus frileux en matière de sexualité devront se faire à l’idée que leurs enfants vont entendre parler des manifestations de la puberté, voire des différentes pratiques sexuelles, pendant un cours sur la règle de trois ou un autre sur l’accord des participes passés.

« Pour l’instant, aucune exemption n’est prévue », a indiqué un porte-parole du ministère, Pascal Ouellet.

Notons que nous ne sachions pas que des organisations vraiment représentatives des parents de tous milieux et convictions morales aient été conviées à donner leur avis sur le contenu de ce programme ou sa précocité. L’État sait. Cela suffit.

À ce sujet, rappelons cette remarque faite le 10 janvier 2011 par Benoît XVI sur les cours d’éducation sexuelle obligatoires :
« Je ne puis passer sous silence une autre atteinte à la liberté religieuse des familles dans certains pays européens, là où est imposée la participation à des cours d’éducation sexuelle ou civique véhiculant des conceptions de la personne et de la vie prétendument neutres, mais qui en réalité reflètent une anthropologie contraire à la foi et à la juste raison. »
La dépêche de la Presse canadienne se poursuit ainsi :
Des enseignants inquiets

Sur le terrain, on se demande si le ministère a tenu compte de la diversité culturelle et religieuse du Québec. Ainsi, comment devra agir l’enseignant ou la direction d’école avec un élève dont les parents s’opposent, pour motif religieux, à ce que leur fils ou leur fille de 12 ans apprenne en classe à identifier les différentes pratiques sexuelles ?

Car certains parents « ne veulent pas que leur ado entende parler de masturbation » en classe, commente la présidente de la Fédération québécoise des directeurs d’école (FQDE), Lorraine Normand-Charbonneau. « On va faire quoi, on va sortir les élèves ? », demande-t-elle.

Pas question, réplique le ministère.

« L’éducation à la sexualité est prévue pour tous les élèves du Québec », explique M. Ouellet. Car ses effets seront bénéfiques pour « prévenir les agressions sexuelles, la violence dans les relations amoureuses, les infections transmissibles par le sang et sexuellement, les grossesses non désirées ».

Encore faut-il que les personnes appelées à transmettre ce savoir aient la compétence requise.

Or, d’aucuns affirment que ce ne sera pas le cas, laissant craindre un dérapage du projet pilote.

Le constat du président de la Fédération autonome de l’enseignement (FAE), Sylvain Mallette, est lapidaire : « C’est des incompétents. Là, je pèse mes mots, ce sont des incompétents qui jouent avec l’intime » des élèves, dit ce professeur d’histoire, choqué de voir que le ministère de l’Éducation s’apprête à confier l’enseignement d’une matière aussi délicate que la sexualité humaine à des gens n’ayant aucune expertise en la matière.
Encore faut-il être sûr que les experts qui seraient un jour choisis par le Monopole de l’Éducation n’apporteraient pas avec eux une philosophie bien particulière (on se rappelle de cours d’éducation à la sexualité donnés par une propriétaire de boutiques de jouets érotiques en Ontario..., voir Macleans)
Cet enseignement devrait être prodigué par des professionnels compétents, renchérit Mme Normand-Charbonneau, « pour éviter les dérapages » éventuels en classe.
Même cela ne sera peut-être pas suffisant. La notion de dérapage est subjective, elle dépend des valeurs des gens (conservateurs, progressifs, libertaires, etc.)
Or, au moment où s’effectue la rentrée scolaire, il est difficile de dire qui au juste assurera l’éducation à la sexualité dans les écoles. Le ministère prévoit que ce pourrait être des enseignants, infirmières, psychologues, voire des responsables d’organismes communautaires.
LGBT ? Comme lors des ateliers contre l’« intimidation » ?  Sinon, quels autres types d’organismes communautaires ?
S’il s’agit d’enseignants, la tâche pourrait aussi bien revenir au professeur de mathématiques qu’à celui de français ou de géographie.

Les cours d’anatomie ou ceux abordant les maladies transmises sexuellement pourraient donc, pendant quelques heures, entrer en compétition avec les cours de français ou d’algèbre. L’enseignant devra donc parler de sexe « sur le temps de sa matière », confirme une autre porte-parole du ministère, Esther Chouinard.

« Les personnes qui feront l’éducation à la sexualité n’ont pas besoin d’être des experts de haut niveau pour que la qualité des interventions avec les élèves soit assurée », ajoute-t-elle, estimant que « quelques heures » de formation suffiront, aux yeux du ministère.

À ce jour, aucune personne chargée d’enseigner la sexualité n’a encore été choisie, aucune formation n’a été donnée.

Il reviendra aux commissions scolaires et surtout aux directeurs des écoles visées de recruter des « volontaires ».

Mais « s’il y a personne qui veut, on fait quoi ? », demande la présidente de la FQDE, de peur que les enseignants s’abstiennent, compte tenu du flou qui entoure la démarche. Car les enseignants « ne cognent pas aux portes » pour participer au projet, confirme Sylvain Mallette.

Controverse en Ontario

En Ontario, la ministre Liz Sandals a déchanté, le printemps dernier, en constatant que son cours d’éducation sexuelle suscitait la controverse, au point où de nombreux parents ont décidé de retirer leur enfant de la classe. La ministre a calmé le jeu en disant aux parents qu’ils avaient le droit de retirer leurs enfants de la classe.
 Disons qu’elle a tenté de calmer le jeu. Voir ci-dessous une vidéo en anglais où la Dr Miriam Grossman décrit le programme d’éducation à la sexualité ontarien, non pas comme de la science comme le prétend le gouvernement libéral, mais de l’idéologie.



Autre vidéo, la session questions-réponses.

Selon la Presse canadienne :
Au Québec, ce serait difficile de faire de même puisque l’éducation sexuelle ne sera pas un cours en soi et n’aura pas de case horaire définie. La matière sera intégrée aux cours réguliers ou fera l’objet d’activités. Ainsi, si c’est le professeur de français qui donne le cours, l’élève qui sortirait de la classe serait donc privé à la fois d’éducation sexuelle et de son cours de grammaire.
Quels éléments de grammaire verra-t-on pendant le cours d’éducation à la sexualité ? Ne se moque-t-on pas un peu du monde ?
Le projet-pilote, « c’est un euphémisme que de dire que c’est de la broche à foin », ajoute Sylvain Mallette.

Ce qui n’arrange rien : ce projet survient en pleine période de négociations et de moyens de pression de la part des enseignants.

Le ministère de l’Éducation, qui planche depuis cinq ans sur ce projet visant à ramener l’éducation sexuelle dans les classes, affirme cependant que tout est en place pour assurer le succès du projet pilote. Il soutient que la matière enseignée tiendra compte de l’âge de l’enfant et de son développement et que la formation et tous les outils pédagogiques nécessaires seront fournis à temps aux écoles.
Le ministère dit toujours cela pour imposer en fin de compte ce qu’il veut. Voir les cours d’ECR...

Le ministre François Blais a décliné une demande d’entrevue à la Presse canadienne.



La lettre du ministre Michel Pagé en 1992 qui permettait la dispense du cours tant que l’enfant dispensé recevrait de l’information équivalente :





mercredi 26 août 2015

Apprendre à programmer dès l'école primaire ?


Des enseignants américains veulent faire de l’informatique la pierre angulaire des programmes scolaires, dès l’école primaire.

Extraits du Wall Street Journal, plutôt pour :

Vous filez à travers les États-Unis au volant de votre camion à tacos. Imaginez, vous devez combattre des animaux ayant muté à cause des retombées radioactives d’une guerre nucléaire et les transformer en une délicieuse garniture pour les tacos que vous vendez dans des villes fortifiées. Votre mission : vous rendre dans la ville de Winnipeg, au Canada. Vous êtes dans Gunman Taco Truck (GTT). « C’est tout simplement un jeu qu’un enfant pourrait imaginer », estime Brenda Romero, conceptrice de jeux vidéo depuis plus de trente ans et maman de Donovan Romero-Brathwaite, âgé de 10 ans et inventeur du jeu. Il n’en reste pas moins que GTT, pris en charge par un éditeur de jeux vidéo, est déjà disponible sur Mac, PC, iOS [système d’exploitation pour appareils mobiles d’Apple] et Android [autre système d’exploitation mobile, développé par Google] et pourrait bientôt arriver sur consoles.


Avoir des parents programmeurs à ses côtés, comme Donovan, n’est pas chose commune. En fait, un grand nombre d’enfants développent une compétence qu’en général les parents ne possèdent pas : le codage. À en croire les personnes en chargées de cet enseignement, la programmation n’est qu’un prélude. Ce que ces enfants apprennent – ce qu’ils doivent apprendre s’ils veulent trouver un emploi au XXIe  siècle – c’est ce que les enseignants appellent l’« intelligence procédurale ».


Fondamental. « Quand vous apprenez à coder, vous commencez à réfléchir au fonctionnement du monde », explique Mitchell Resnick, professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT) et directeur du projet Scratch, un langage de programmation adapté aux enfants. Que ce soit dans la compréhension de systèmes complexes comme l’économie ou dans la résolution d’un problème pas à pas, le codage est une méthode idéale pour former les enfants à régler des problèmes, mais aussi à s’exprimer, affirme Mitchell Resnick.

« Ce qui est fascinant dans l’informatique, c’est qu’elle nécessite des compétences analytiques, de la créativité et une capacité à résoudre des problèmes. De plus, cette science est à la fois fondamentale et à visée professionnelle », constate Hadi Partovi, cofondateur de Code.org, une organisation à but non lucratif qui promeut l’apprentissage du code. Les enfants qui apprennent à écrire ne deviennent pas tous écrivains, ceux qui apprennent l’algèbre ne deviennent pas tous mathématiciens, pourtant, nous considérons ces matières comme des compétences fondamentales que tous les enfants doivent acquérir. Pour le codage, c’est la même chose, affirment des enseignants comme M. Resnick. Une affirmation étayée par le Bureau américain des statistiques du travail, qui estime que, d’ici à 2020, 1 million de postes de programmeurs seront vacants aux États-Unis.

[Note du carnet : et pourtant de nombreux informaticiens américains se font remplacés par des programmeurs asiatiques (et là l’offre est quasiment illimitée) moins chers accueillis grâce aux visas H1-B. Ces informaticiens américains doivent parfois formés leurs remplaçants moins onéreux avant d’être licenciés (autre cas). La seule Inde a diplômé 800.000 ingénieurs et informaticiens en 2010, ce nombre augmente de 10 % par an.



En outre, le salaire médian des informaticiens aux États-Unis ne progresse plus depuis quelques années ce qui tend à montrer que le manque de postes d’informaticiens n’est pas si criant que cela...

Le chômage chez les étudiants en sciences et en génie (professions souvent masculines) est plus élevé que dans d’autres professions, comme les médecins, les dentistes, les avocats et les infirmières (professions de plus en plus féminines). Le taux de chômage pour les diplômés récents dans des domaines que l’on décrit comme en « pénurie » grave est étonnamment élevé, c’est le cas de de l’ingénierie (7,0 pour cent), de l’informatique (7,8 pour cent) et des techniques de l’information (11,7 pour cent). (Source)]


« Et ce chiffre est sans doute sous-estimé », ajoute M. Partovi. J’irai même plus loin : comprendre qu’à l’avenir aucune profession ne s’exercera sans machine revient à admettre que le codage fait partie des arts libéraux [connaissances indispensables ; durant l’Antiquité et au Moyen Âge, les « arts libéraux » étaient les disciplines intellectuelles dignes des hommes libres] et il constitue donc une compétence fondamentale que tout enfant doit acquérir.

Interactif. Les enseignants qui participent à des formations professionnelles pour apprendre comment intégrer le code à leur programme de cours n’enseignent pas que les maths ou la technologie, on trouve aussi des professeurs d’anglais, explique Hadi Partovi. Le codage est, dans une certaine mesure, une forme d’écriture, dont l’objectif est de créer des histoires interactives et dynamiques, considère Mitchell Resnick.

Les écoles publiques tardent encore à se mettre au diapason. La plupart, y compris celle de Donovan, ne proposent pas de cours pour apprendre à coder, ce qui, selon Hadi Partovi, représente un obstacle majeur. Toutefois, pour les parents qui s’impatientent, les possibilités d’enseigner le code à leurs enfants à la maison se multiplient. Les tablettes sont un bon support d’apprentissage, même pour les enfants qui ne savent pas encore lire. Avec ces appareils, ils n’ont pas besoin de savoir utiliser une souris ou un clavier. Les enfants intègrent facilement les leçons grâce à des jeux de programmation comme Lightbot, explique Gretchen LeGrande, responsable de Code in the Schools [coder dans les écoles], un groupe à but non lucratif qui cible les filles et les minorités. Codestudio, le programme éducatif en ligne proposé par Code.org est déjà utilisé par 1 écolier sur 10 aux États unis, affirme Hadi Partovi. Sur ces élèves, 43 % sont des filles et 47 % sont des Africains-Américains ou des Hispaniques. Si seulement 1 % des collégiens inscrits sur Codestudio se lançaient dans des études d’informatique, le nombre de femmes diplômées dans ce domaine triplerait, précise le cofondateur de Code.org.

[Quelle importance ? Est-ce vraiment une carrière si intéressante ? Plus que les métiers en contact avec les gens que privilégient les filles dans les pays riches (mais moins dans les pays pauvres et inégalitaires...) ?]

Extraits du Guardian de Sydney, plutôt contre :

Les partisans de l’enseignement du code informatique sont de plus en plus nombreux. Bill Shorten, Malcolm Turnbull et Tony Abbott [hommes politiques australiens, respectivement leader de l’opposition, ministre des Communications et Premier ministre] sont à présent convaincus que tous les jeunes enfants doivent apprendre à coder dès l’école primaire. Et l’affaire est en train de devenir une cause nationale en Australie. Mais, comme toujours, il est bon de faire une pause et de réfléchir à deux fois avant de signer.

Aux yeux des partisans de l’enseignement du code, les enfants doivent acquérir cette compétence sous peine de rester sur la touche sur le marché du travail. Dans la société dystopique qu’ils imaginent, les machines occupent la plupart des emplois et les humains sont désœuvrés – à l’exception de ceux qui connaissent le code.

Mais ils se trompent (probablement) à la fois sur le futur et sur la nécessité de faire du langage informatique une compétence de base au même titre que la lecture, l’écriture et le calcul.

En 1993, quand je suis entré à l’école secondaire, un de mes professeurs prédisait qu’apprendre à taper à la machine était une perte de temps parce que, quand nous aurions quitté l’école, la reconnaissance vocale aurait remplacé la dactylographie.

Aujourd’hui, alors que la reconnaissance vocale existe et fonctionne plus ou moins (prenez l’exemple de Siri [application de commandes vocales pour les téléphones et tablettes d’Apple]), il est manifeste que sa théorie ne tient pas debout. Tous les boulots décents que j’ai eus dans ma vie passent par un clavier. C’est même une compétence joliment utile que de savoir taper 100 mots par minute. Et le fait est que le clavier prend le dessus sur le stylo dans les écoles. La Finlande, un des exaspérants bons élèves du monde de l’éducation, est en train d’éliminer progressivement les cours d’écriture à la main au profit de la dactylographie.

[Note du carnet : ce n’est pas tout à fait exact : l'écriture cursive (liée) ne sera plus enseignée, mais l’écrite manuscrite en lettres détachées oui, ce qui pourtant moins rapide pour la production de textes manuscrits lisibles...]

Prédire l’avenir est toujours un jeu risqué, encore plus dans l’éducation.

Une compétence précieuse aujourd’hui ne le sera peut-être pas dans vingt ans. Comme il est impossible de prédire quelles seront les compétences prisées à l’avenir, il est plus logique pour l’instant d’enseigner les compétences généralistes que sont la lecture, l’écriture et le calcul que de se concentrer sur cette compétence plus spécifique qu’est le code.

Formation décente. La technologie était censée nous libérer des tâches élémentaires, or nous sommes toujours aussi occupés à travailler ; malgré le bond en avant des innovations technologiques, la productivité et la hausse des revenus stagnent dans la majeure partie du monde occidental. La théorie de Malcolm Turnbull, selon laquelle le code sera un outil clé pour la prospérité à venir de l’Australie, a peut-être l’air visionnaire, les données économiques ne vont pas dans ce sens.

De nombreux partisans de l’enseignement du code le martèlent : quel risque y a-t-il à équiper nos étudiants de cet outil si les prédictions selon lesquelles nous nous trouvons à l’aube d’une nouvelle ère dominée par l’impression 3D et l’intelligence artificielle se réalisent ? ne devons-nous pas les armer de cette compétence, juste au cas où ?

Pour Paul Krugman [Prix Nobel d’économie 2008], « parler à qui mieux mieux de tout ce que changent les nouvelles technologies peut sembler anodin, mais en pratique cela nous distrait de problèmes plus concrets ». Dans l’éducation, ces problèmes sont les établissements poubelles, le niveau médiocre de l’enseignement, le manque d’aide spécialisée pour les étudiants en situation de handicap, la fuite des élèves des écoles publiques vers le système éducatif privé, le mauvais classement mondial du pays au chapitre lecture, écriture et calcul, et d’innombrables autres problèmes graves et bien réels. Or, pour les résoudre, il faudra bien plus que quelques lignes de code.

Certains voudront apprendre le langage informatique, au lycée ou à l’université, et la meilleure façon de garantir qu’ils pourront le faire est d’offrir à l’ensemble des jeunes une éducation décente dans les premières années de formation. Il en est d’autres qui ne voudront pas apprendre le code, parce qu’ils se tourneront vers l’apprentissage d’autres choses, des choses que nous ne connaissons pas encore – et nous aurons beau faire des prédictions et former à l’envi nos jeunes aux compétences les plus prisées aujourd’hui, nous ne les y préparerons pas.

Au programme dans plusieurs pays

Une heure pour coder, l’Année du code, Les Filles qui codent, Yes We Code, le Festival du code… Les initiatives pour initier le plus grand nombre – les jeunes filles, les Africains-Américains, les enfants, les personnes à faible revenu, etc. – aux rudiments de la programmation informatique se multiplient.

Et certains pays inscrivent désormais l’apprentissage de cette compétence dans leurs programmes scolaires nationaux. C’est le cas du Royaume-Uni, par exemple, qui a instauré à la rentrée dernière l’enseignement du code aux enfants à partir de 5 ans. « Le gouvernement finlandais a récemment annoncé que la programmation ferait partie du programme scolaire en 2016, remplaçant un cours de maths par semaine », faisait savoir début août l’Australian Financial Review, ajoutant que, de son côté, « le gouvernement fédéral [australien] a alloué 3,5 millions de dollars [22,4 millions d’euros] pour accroître les capacités d’enseignement du code dans les écoles ».

Imitant les États-Unis, où le codage a fait son entrée à l’école dès 2011, la Sardaigne a conclu un accord avec la jeune entreprise américaine Codeacademy. « La plateforme [d’apprentissage en ligne qui a déjà plus de 24 millions d’utilisateurs à travers le monde] est traduite en italien », indique au quotidien Corriere della Sera Nicola Fioraventi, directeur du projet de la région Learn to Code [apprenez à coder en anglais pour ce projet italien...] « Elle sera accompagnée d’autres projets afin de mettre en application cet enseignement à l’aide d’initiatives concrètes : la création d’un site web à l’école sur les espèces animales en voie de disparition ou d’une application pour téléphone mobile pour calculer le flux de touristes en Sardaigne. »

Au Canada, Craig Hunter, le jeune PDG de Bitmaker Labs – un centre d’enseignement du développement web –, a même lancé une pétition destinée au gouvernement fédéral pour désigner « le code » comme troisième langue officielle du pays.

Au 24 août elle n’avait recueilli que 133 signatures, mais cette initiative serait une façon pour Craig Hunter d’« encourager le gouvernement fédéral à investir dans l’enseignement de la programmation et à veiller à ce qu’il fasse partie du programme des écoles publiques », écrit Globe and Mail.

Air de déjà-vu

Ce n’est pas la première fois que l’on prêche l’évangile de l’informatique pour enfants.

Écolière française devant un ordinateur Goupil
apprenant la programmation Logo en 1986
En 1967, Seymour Papert, chercheur au MIT, a créé un langage de programmation appelé Logo qui pouvait servir à contrôler [à l’écran] un robot en forme de tortue. Logo a prospéré pendant un moment [en France, il a été enseigné dès le milieu des années 1980 dans le cadre du « plan informatique pour tous » mis en place par Laurent Fabius alors Premier ministre], mais a fini par tomber dans l’oubli. C’était sûrement une idée en avance sur son temps, car dans les années 1960 et 1970, les ordinateurs étaient encore des machines exotiques que les simples mortels utilisaient rarement au quotidien.

Aujourd’hui, le risque serait précisément inverse. Les ordinateurs sont devenus omniprésents et si fiables que, pour une majorité, l’idée d’en programmer un soi-même semble aussi bizarre que d’assurer l’entretien de son frigo ou de sa machine à laver. Les plus cyniques risquent de demander qui, après tout, a vraiment besoin de savoir comment fonctionne un ordinateur.

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dimanche 23 août 2015

Finkielkraut : « L’école des savoirs cède la place à l’école de la thérapie par le mensonge »

Extrait d’un entretien publié dans le Figaro du 11/05/2015 avec le philosophe Alain Finkielkraut sur l’école :

[La ministre de l’Éducation française] Najat Vallaud-Belkacem a affirmé dans Le Point : « il y a une différence essentielle entre les progressistes et les conservateurs. Les premiers combattent les inégalités quand les seconds en théorisent la nécessité ». [...]

Alain FINKIELKRAUT. — Il n’appartient pas à l’école républicaine de combattre toutes les inégalités, mais d’assurer, autant que faire se peut, l’égalité des chances pour donner à chacun sa juste place selon ses aptitudes et son mérite. Mais il ne s’agit plus de cela : c’est au scandale ontologique d’un partage inégal de la pensée entre les hommes que s’attaque, depuis quelques décennies, l’Éducation nationale. Confondant l’ordre de l’esprit, où prévaut la hiérarchie la plus stricte, et l’ordre de la charité, où règne l’amour universel, elle promet la réussite pour tous et rabaisse continuellement le niveau d’exigence afin de ne pas déroger à son serment. Les sociologues lui ayant de surcroît révélé que les « héritiers » avaient accès par droit de naissance à la culture que l’école a pour mission de transmettre au plus grand nombre, l’institution a pris le taureau par les cornes et décidé à mettre l’essentiel de cette culture au rebut. L’école est devenue la nuit du 4 août permanente de ce que Malraux appelait « l’héritage de la noblesse du monde ».

Voici, une fois cet héritage liquidé, la liste d’objectifs assignés aux classes de français de 4e et de 3e : « se chercher, se construire » ; « vivre en société, participer à la société » ; « regarder le monde, inventer des mondes » ; « agir sur le monde ».

La culture générale est détrônée par une culture commune faite de tout ce dont le jeune a besoin pour s’orienter dans son environnement. Et François Dubet, l’un des initiateurs de ce remplacement, prévient : « On ne peut concevoir que certains élèves aient plus de culture commune que d’autres. »La réforme proposée par Najat Vallaud-Belkacem, qui accélère un processus engagé bien avant elle, n’est ni conservatrice hélas — qu’est-ce qu’enseigner sinon transmettre ce qui mérite d’être conservé ? — ni progressiste, mais destructrice. Sa fureur anti-élitiste déloge, une fois pour toutes, la République de l’école qui porte encore son nom.

— Au sujet du latin, notre ministre assure que la réforme va contribuer à « démocratiser cet enseignement »…

— « Démocratiser » est en train de devenir un synonyme d’« anéantir ». Intégrer comme l’écrit Cécilia Suzzoni, « l’enseignement des langues anciennes dans les enseignements pratiques interdisciplinaires au prétexte de familiariser les collégiens avec des expressions grecques ou latines est une triste caricature ». Les langues mortes et les humanités en général sont un fardeau inutile pour notre hypermodernité numérique et niveleuse. On ne va tout de même pas faire ingurgiter les derniers reliefs d’un enseignement de classe à nos « nés dans le numérique » si merveilleusement égaux devant leurs téléphones portables et leurs écrans d’ordinateur.


— L’interdisciplinarité a pour objet d’apprendre aux élèves à « mener ensemble des projets ». Les disciplines appartiennent-elles au passé ?

— Ce ne sont pas les disciplines qui appartiennent au passé, c’est le passé qui appartient aux disciplines. C’est à l’histoire, à la littérature, à la philosophie, aux matières scientifiques qu’il incombe de donner corps à ce droit fondamental de l’homme souligné par Ortega y Gasset : le droit à la continuité. L’interdisciplinarité fait tout le contraire. Elle néglige le besoin vital du passé et va au plus facile : les sujets d’actualité. Au lieu d’enseigner le goût des belles choses, elle suit, docilement, le goût du jour. La télévision a donné en exemple deux professeurs d’histoire et d’espagnol invitant ensemble leur classe à rédiger un tract sur les vertus du développement durable. Là où il y avait les œuvres, il y a maintenant les tracts. Mais on aurait tort de s’inquiéter : c’est pour la bonne cause.

— Cette réforme est critiquée pour son aspect « jargonnant ». Que révèle, selon vous, cette novlangue que l’on retrouve dans les rapports administratifs, l’école, la politique et les médias ?

— « Plus c’est savant, plus c’est bête », disait Gombrowicz du formalisme ultrasophistiqué de la théorie littéraire. Je dirai à mon tour du pédagogisme : « Plus ça fait le vide, plus ça prend l’air savant. » Le néant s’habille en jargon. Les éradicateurs de la culture se donnent, par l’apparence de la scientificité, l’illusion d’être des chercheurs.
[...]

— Les programmes d’histoire conservent l’étude obligatoire de l’islam quand celles de la chrétienté médiévale et des Lumières deviendront facultatives. Que vous inspire ce choix ?

— Il ne s’agit pas simplement d’imposer l’étude de l’islam, mais de lutter contre « l’islamophobie », à travers une présentation embellissante de la religion et de la civilisation musulmanes. Convaincus, avec Emmanuel Todd, que Mahomet est « le personnage central d’un groupe faible et discriminé » et que le vivre-ensemble passe par le redressement de l’image de ce groupe dans l’esprit des autres Français, nos gouvernants proposent, en guise de formation, un endoctrinement aussi précoce que possible des élèves. On ne veut plus les instruire, mais les édifier afin de les rendre meilleurs. Le reste — l’essor des villes, l’éducation au Moyen Âge ou la pensée humaniste — est facultatif.

— L’accent est mis aussi sur les périodes sombres de l’histoire de France. Comment aimer et faire aimer un pays toujours coupable ?

— Les nouveaux programmes ne se préoccupent absolument pas de faire aimer la France. Ils appliquent à la lettre le dogme de la critique sociale : le mal dans le monde résulte de l’oppression ; c’est l’inégalité qui est la source de toute violence. Le fanatisme islamique, autrement dit, est le produit de la malfaisance coloniale et de sa continuation postcoloniale. Si l’on aborde l’histoire du XVIIIe et du XIXe siècle sous l’angle : « Un monde dominé par l’Europe, empires coloniaux, échanges commerciaux, traites négrières », le nouveau public scolaire retrouvera son « estime de soi », l’ancien perdra son arrogance et tous les problèmes seront réglés. L’école des savoirs cède ainsi la place à l’école de la thérapie par le mensonge.

— Manuel Valls dans le mensuel L’Œil estime que la culture et la gauche sont consubstantielles. Il recommande l’installation de cours d’improvisation à l’école « à la Jamel Debbouze ». Faut-il adapter la culture aux goûts et aux désirs de la jeunesse ?

— « Ce qui est désirable, disait Hegel, est inversement proportionnel à la proximité dans laquelle il se tient et qui le relie à nous. La jeunesse se représente comme une chance de quitter son chez-soi et d’habiter, avec Robinson, une île lointaine. » Cette chance, l’école contemporaine la lui refuse. Ceux-là mêmes qui professent avec ostentation le culte de l’Autre combattent sous le nom d’ennui ce grand dépaysement qu’est la fréquentation des chefs-d’œuvre du passé. Pour eux, l’humanisme est mort : on n’a pas besoin, pour accéder à soi-même, de faire un détour par les signes d’humanité déposés dans les œuvres de culture ; on se connaît par intuition immédiate. Plutôt que d’aller voir chez les morts ce qu’il en est de la vie, on demandera donc aux élèves de mettre la leur en scène.

— Que peuvent encore dire à notre temps Racine, Baudelaire ou Mauriac ? Quand la connaissance est accessible en un « clic », l’idée de transmission n’appartient-elle pas au passé ?

— Ce que peuvent dire à notre temps Racine, Baudelaire ou Mauriac c’est qu’il y a autre chose que lui-même : d’autres mots, d’autres formes, d’autres visages. Ce temps qui se prétend si ouvert ne veut rien savoir. Allergique à l’altérité, il ordonne aux enseignants de choisir des « problématiques » proches des élèves.

« Être jeune, écrivait justement François Mauriac, c’est être épié, c’est entendre autour de soi craquer les branches. » Les jeunes d’aujourd’hui sont épiés sans trêve. On guette leur moindre démangeaison. On va au-devant de toutes leurs convoitises. Il y avait un lieu autrefois où ils pouvaient échapper à ce destin, se quitter et, pour le dire avec les mots de Hegel, « rechercher la profondeur dans la figure de l’éloignement ». Cette école n’existe plus.

— Beaucoup de professeurs s’opposent à cette réforme. Comment expliquer le décalage entre ceux qui enseignent dans les classes et les théoriciens de l’éducation que l’on qualifie souvent de « pédagogistes » ?

— La désintellectualisation du métier de professeur dont témoigne, entre autres, l’abandon progressif du cours magistral, blesse au plus intime d’eux-mêmes ceux qui se conçoivent encore comme les représentants « des poètes et des artistes, des philosophes et des savants, des hommes qui ont fait et qui maintiennent l’humanité ». Cette formule, empruntée à Péguy, est emphatique, mais l’heure est grave et réclame qu’on monte sur ses grands chevaux.

(1) Voir Marie-Claude Blais, « Au principe de la République, le cas Renouvier », Gallimard.

Cannabis chez les adolescents : le QI en fumée

Grâce à des études cliniques et épidémiologiques de qualité, publiées dans les meilleures revues scientifiques, les préoccupations sanitaires prennent désormais le pas sur le débat idéologique. La dernière en date, parue en ligne le 27 août dans les Comptes rendus de l’Académie américaine des sciences (PNAS), est particulièrement frappante.


Après avoir suivi un millier d’individus pendant vingt ans, des chercheurs néo-zélandais et anglo-saxons concluent qu’une consommation régulière et prolongée de cannabis, commencée à l’adolescence, peut entraîner une altération des performances intellectuelles. Avec une baisse du quotient intellectuel (QI) à l’âge adulte allant jusqu’à 8 points. Ce niveau est loin d’être anodin, insistent les auteurs de l’article. « Les personnes qui perdent 8 points de QI à l’adolescence ou dans la vingtaine peuvent être désavantagées par rapport à leurs pairs du même âge, dans la plupart des aspects importants de la vie et pour les années à venir », écrivent-ils. Et de rappeler que le QI est corrélé à de nombreux paramètres : accès à des études supérieures et à un bon emploi, performances au travail, niveau de revenus, mais aussi tendance à développer des maladies cardiaques ou un alzheimer, risque de décès prématuré...

Sur le fond, les conclusions de l’étude néo-zélandaise ne sont pas vraiment surprenantes. Des atteintes cognitives — troubles de mémoire, de l’attention et de la concentration, manque de motivation — ont été décrites depuis longtemps chez les consommateurs de cannabis au long cours. Mais Madeline Meier et ses collègues enfoncent le clou sur la vulnérabilité du cerveau adolescent à cette drogue. Et la démonstration est d’autant plus crédible qu’elle s’appuie sur une méthodologie béton, et inédite. Jusque-là, les données provenaient surtout d’enquêtes rétrospectives comparant les performances intellectuelles de fumeurs de cannabis à celles de sujets témoins, non consommateurs. Ici, les participants ont été enrôlés avant qu’ils ne goûtent au haschich, et ont été suivis régulièrement pendant deux décennies. Tous appartiennent à la cohorte dite de Dunedin (du nom de la ville néo-zélandaise où ils résident), qui étudie de façon prospective plusieurs aspects de la santé et du comportement de 1 037 individus, depuis leur naissance — en 1972-1973.

Pour ce volet cannabis, les volontaires ont été interrogés, de façon confidentielle, sur leur consommation et leur dépendance, à cinq reprises : à 18, 21, 26, 32 et 38 ans. Des tests neuropsychologiques ont été pratiqués à l’âge de 13 ans et 38 ans. Un déclin marqué du quotient intellectuel (jusqu’à 8 points entre les deux mesures) a été retrouvé chez ceux qui ont commencé leur expérimentation dans l’adolescence, et qui sont ensuite devenus des fumeurs réguliers — au moins quatre fois par semaine —, pendant une longue période. « L’altération était globale, portant sur les cinq domaines du fonctionnement neuropsychologique, et elle ne pouvait pas être expliquée par d’autres facteurs comme un moindre degré d’éducation ou l’usage d’alcool ou d’autres drogues », précisent les auteurs. Au-delà des tests, elle semble avoir eu un impact sur leur existence puisque les amis et membres de la famille de ces consommateurs réguliers initiés très tôt au cannabis ont remarqué chez leurs proches des troubles de mémoire et des pertes d’attention.

Autre point important, l’arrêt ou la réduction de la consommation de la drogue n’a pas restauré complètement les capacités intellectuelles. Une initiation plus tardive, à l’âge adulte, ne s’est en revanche pas accompagnée d’une baisse des performances aux tests de QI, soulignent Madeline Meier et ses collègues.

« Certains pensaient que les troubles de la mémoire et de l’attention disparaissaient à l’arrêt de la prise de cannabis. Cette étude montre que les perturbations sont peut-être irréversibles, et suffisamment importantes pour être gênantes dans la vie quotidienne », commente Philippe Arvers, médecin épidémiologiste et addictologue (Centre de recherche du service de santé des armées, Grenoble). « C’est un très beau travail, dont l’intérêt majeur est dans la démonstration de l’interaction du cannabis avec le développement cérébral, renchérit le professeur Mickaël Naassila, directeur du Groupe de recherche sur l’alcool et les pharmacodépendances (Inserm, Amiens). Cela renforce l’idée qu’il faut retarder le début de la rencontre avec cette drogue. »

Dans cette cohorte néo-zélandaise, le sous-groupe des sujets les plus vulnérables aux effets du cannabis sur le QI (début précoce, usage régulier et prolongé de la drogue) correspond à un effectif modeste : une quarantaine de personnes, soit 5 % de la population étudiée, note de son côté Jean-Luc Martinot, pédopsychiatre et directeur de recherche à l’Inserm (unité imagerie et psychiatrie ; CEA, universités Paris-Sud et Paris-Descartes). « Cet élément incite à la prudence dans l’interprétation des résultats, tout comme le fait que seuls des comportements ont été mesurés. Il n’y a pas eu d’analyses objectives au niveau cérébral, en imagerie par exemple », insiste le chercheur français.

Analyser les cerveaux d’une cohorte d’adolescents en IRM anatomique et fonctionnelle, c’est justement ce qu’est en train de faire Jean-Luc Martinot, dans le cadre d’un projet européen, dont le but est de rechercher des liens entre les facteurs biologiques et d’environnement qui influencent la santé mentale et les addictions des jeunes.

Terra incognita avant l’an 2000, le cerveau des adolescents commence seulement à livrer quelques secrets sur son développement. « On sait maintenant, grâce aux examens d’imagerie, que la maturation cérébrale normale s’accompagne d’une diminution de l’épaisseur de la substance grise, qui correspond à une sélection des circuits neuronaux contrôlant les régions sous-corticales, explique Jean-Luc Martinot. Cette perte de volume commence dans la partie postérieure du cerveau, siège de fonctions sensorielles, puis elle gagne les régions antérieures, qui contrôlent l’impulsivité, les émotions, les interactions sociales... Il y a aussi des modifications au niveau de la substance blanche, avec un renforcement de la connectivité entre les neurones. » Pour ce spécialiste, l’adolescence est une période sensible : « Les facteurs environnementaux, affectifs ou toxiques comme les drogues, ont des interactions encore méconnues avec les stades de maturation du cerveau. »

Selon Mickaël Naassila, ce processus dure jusqu’à environ 20-25 ans, mais le cerveau adulte garde ensuite une certaine plasticité, avec formation en permanence de nouveaux neurones. Que se passe-t-il quand cet organe en plein remaniement rencontre des substances addictives ? Ont-elles toutes les mêmes effets ? Certains sont-ils prédisposés plus que d’autres à sombrer dans une addiction ?

« Le seul produit réellement neurotoxique est l’alcool, qui attaque directement les membranes des cellules cérébrales, précise le psychiatre Michel Reynaud, chef du département de psychiatrie et d’addictologie à l’hôpital universitaire Paul-Brousse, et coauteur d’Addiction au cannabis (Médecine-Sciences Flammarion, 2009). Le tabac, le cannabis, l’héroïne et les autres drogues ont en commun de perturber le fonctionnement de récepteurs qui modulent la transmission dopaminergique. Ils agissent ainsi sur les voies de la récompense, de la gestion des émotions, de la motivation... » Un mode d’action qui, selon l’addictologue, explique la particulière vulnérabilité à ces produits dans l’adolescence.

Les dégâts de l’alcool sur le jeune cerveau sont les mieux connus, grâce à des expériences sur des modèles animaux et des études cliniques. Il a ainsi été établi que l’alcoolisation précoce, sous forme de « bitures express » (binge drinking des Anglo-saxons), entraîne des lésions anatomiques, et notamment une réduction du volume de l’hippocampe, une petite structure qui a un rôle majeur dans l’apprentissage et les processus de mémorisation. Mickaël Naassila, qui étudie le cerveau de centaines d’étudiants en collaboration avec une équipe britannique, s’attend aussi à trouver chez les bitureurs (buveurs excessifs) une hyperactivité dans les noyaux amygdaliens — impliqués dans les émotions — et un retard de maturation cérébrale.

Quid du cannabis ? « Des études chez des consommateurs adultes ont permis de détecter des déficits anatomiques de régions contribuant aux émotions et à la mémoire (hippocampe, amygdale), indique Jean-Luc Martinot. Nos propres travaux, chez des adultes dépendants au cannabis et au tabac, ont mis en évidence une baisse de 20 % des transporteurs de la dopamine. C’est presque de l’ordre de ce que l’on peut voir dans des maladies neurologiques. Chez l’adolescent, on manque encore de données, y compris sur le développement normal. » L’étude européenne en cours devrait permettre d’en savoir plus.

Chiffres

En 2010, un collégien français (12-16 ans) sur dix a déjà expérimenté le cannabis, selon des données de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes). La tendance est surtout marquée chez les élèves de quatrième (11 %) et de troisième (24 %). La consommation est plus rare en sixième (1,5 %) et en cinquième (4 %).

24 % des jeunes de 16 ans ont fumé du cannabis au moins une fois par mois en 2011, estime la dernière enquête de European school survey project on alcohol and other drugs (Espad, uniquement en anglais puisqu’« européen »...). Soit une augmentation de 60 % par rapport à 2007.

La France a repris la tête du classement des pays européens pour la consommation de cannabis chez les jeunes.

Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), la résine de cannabis coûte de 5 à 7 euros le gramme et l’herbe une dizaine d’euros le gramme.


Source, renseignements 

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jeudi 20 août 2015

Les étudiants seraient moins bons en orthographe que leurs aînés

Rares sont ceux qui auront fait des dictées sur la plage pour préparer leur rentrée à l’université dans quelques semaines. Et pourtant les étudiants en auraient bien besoin, comme l’a constaté Loïc Drouallière, enseignant-chercheur à l’Université de Toulon et auteur d’Orthographe en chute, orthographe en chiffres1. Ce dernier a étudié les copies d’examen de fin de première année d’étudiants de sciences économiques sur les 20 dernières années. Et les résultats sont accablants : la moyenne des fautes est passée de 2,73 % en 1994 à 5,92 % en 2012. « La moitié des erreurs sont des fautes d’orthographe pures et l’autre moitié des erreurs grammaticales. Mais je n’ai pas pris en compte les fautes de syntaxe et de ponctuation, ce qui aurait abouti à un constat bien pire », explique l’enseignant-chercheur.

Selon lui, aucune filière universitaire n’est épargnée. « Le français est malmené à l’écrit par les étudiants. Mais les titulaires d’un bac [DEC] technologique ou professionnel éprouvent encore plus de difficultés dans ce domaine », souligne Loïc Drouallière.

Les dictées moins à la mode

Pour expliquer ce phénomène, Jean Maillet, grammairien et auteur de Langue française Arrêtez le massacre2 pointe d’abord la moindre place consacrée à l’orthographe dans le système scolaire : « La dictée est moins pratiquée et elle se résume parfois à une suite de mots ».

Un avis partagé par Loïc Drouallière qui souligne la baisse du volume horaire hebdomadaire du français au collège et au lycée depuis vingt ans. « Par ailleurs, les programmes ont évolué et demandent aux enseignants de privilégier le fond sur la forme ».

Autre responsable de la situation, selon Jean Maillet : l’objectif fixé en 1985 par Jean-Pierre Chevènement de mener 80 % d’une classe d’âge au niveau bac [DEC au Québec] pour l’an 2000 : « Il a tiré les enfants vers le bas, car les enseignants se sont montrés moins exigeants, notamment sur la maîtrise de la langue écrite ». La preuve, selon Loïc Drouallière : « Les correcteurs du bac ont des consignes de tolérance vis-à-vis des fautes d’orthographe. Il faut vraiment faire vingt fautes par page pour se voir retirer des points. Et à l’université, la sévérité dans ce domaine est laissée à la discrétion des enseignants, qui n’en font pas souvent montre », constate-t-il.

Des cours de remise à niveau à l’université

Les nouvelles technologies sont aussi incriminées dans cette piètre orthographe des étudiants : « Le langage SMS a causé des ravages, car les jeunes écrivent et lisent des mots mal orthographiés. Et comme ils lisent de moins en moins de livres, c’est le mauvais usage du français qui s’imprime dans leur mémoire », observe Loïc Drouallière. Enfin, selon Jean Maillet « l’anglicisation à outrance de notre langue conduit à des confusions entre l’orthographe de certains mots dans les deux langues ».

Orthographe : « Faire des fautes n’est pas lié à l’intelligence »

Bien conscientes du problème, certaines universités ont pris le taureau par les cornes : « Des remises à niveau en orthographe sont proposées dans plusieurs d’entre elles aux étudiants sur la base du volontariat, en présentiel ou à distance », souligne Loïc Drouallière. À l’université de Nanterre (Hauts-de-Seine), un atelier de langue française est même obligatoire pour tous les étudiants de première année de licence et sanctionné par un examen. Mais selon Loïc Drouallière, il faut aller plus loin : « les enseignants d’une même université doivent s’entendre sur l’application d’une sanction dans les copies truffées de fautes », estime-t-il. Pour Jean Maillet, les progrès en orthographe viendront aussi si l’on parvient « à intéresser à nouveau les jeunes à la langue française, en leur parlant d’étymologie par exemple ».

Bibliographie

1 — Orthographe en chute, orthographe en chiffres par Loïc Drouallière aux éditions L’Harmattan, 2015, 25,65 € (papier) et 20,99 € (version numérique).

2 — Langue française Arrêtez le massacre par Jean Maillet aux éditions de L’Opportun, 2014, 9,90 €.

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La rentrée de l'instruction à domicile

De plus en plus de familles choisissent de faire l’éducation à leurs enfants à domicile. En six ans, on estime que le nombre d’enfants québécois scolarisés à la maison a augmenté de presque 50 %. À quelques jours de la rentrée scolaire, Patrick Masbourian de la radio de la SRC discute d’éducation à domicile avec trois mamans, Marie-Jo Demers, Julie Lapierre et Édith Chabot, qui ont fait ce choix éducatif.

Approche très Radio-Canada. La première raison donnée en introduction pour ce choix grandissant : le manque de « spécialistes » dans les écoles parce qu’« il y a des ressources qui... disparaissent ».

Écouter l’émission (23 minutes).

À partir de la 16e minute, bonne discussion sur la « socialisation » des enfants et sur « le jugement » des autres parents (la pression sociale) dans cette société qui prétend ne plus juger.


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Rentrée des « classes inversées »

À l’aube de la rentrée scolaire, la Presse Canadienne nous apprend de plus en plus de parents se montreraient intéressés par la « classe inversée », une nouvelle tendance dans le milieu de l’éducation dans laquelle l’enfant apprend ses leçons à la maison et fait ses devoirs à l’école.

Dans le cadre de ce programme, les élèves visionnent une vidéo en ligne qui lui permet de maîtriser les notions et après, il se rend en classe pour mettre en pratique ces apprentissages.

Cette méthode d’enseignement est de plus en plus répandue au pays alors que les vidéos sont facilement accessibles, en l’occurrence à l’aide du site YouTube ou par un téléchargement quelconque.

L’école secondaire Sir William Mulock, à Newmarket, en Ontario, a décidé de faire le saut. Dans ce qu’ils appellent communément l’école « Apportez vos appareils personnels », chaque étudiant doit avoir en main un ordinateur portable ou une tablette pour avoir accès à la technologie.

Donna Green, professeure de mathématiques, a opté pour ce virage dans sa classe de 10e année (l’équivalent de la quatrième année du secondaire au Québec). Elle utilise un logiciel qui lui permet de capter ce qu’elle fait sur son propre écran et d’enregistrer sa voix en simultané.

Les vidéos sont généralement plus courtes qu’une leçon en classe parce qu’il n’y a pas de perturbations, a-t-elle indiqué.

« Ce que j’aime avec cela, c’est que je passe plus de temps avec les étudiants qu’à écrire au tableau. Ce que je n’aime pas, c’est que quand ils regardent la vidéo à la maison et qu’ils ont une question dans l’immédiat, il n’y a personne pour (leur répondre) », a-t-elle expliqué.

Mme Green tente de palier cette difficulté en demandant aux étudiants d’écrire leurs questions, et elle s’y attarde au tout début de la séance en classe.

Malgré les lacunes soulevées par certains — notamment du fait que certains parents n’ont pas les moyens d’acheter un ordinateur portable ou une tablette à leur enfant — Mme Green et d’autres enseignants croient qu’il s’agit d’un meilleur programme que les cours traditionnels pour les enfants.

Certaines preuves confirment leur point de vue. Une école du Michigan qui était l’une des pires de l’État quant aux aptitudes des étudiants a adopté elle aussi la « classe inversée » et a vu son taux d’échec diminuer considérablement alors que le taux de diplomation est monté en flèche.

Mme Green et sa collègue Amanda Bélanger ont interrogé leurs élèves sur le nouveau système à l’aide d’un questionnaire en ligne et les deux tiers ont répondu qu’ils le préféraient à la méthode en classe avec la craie et le tableau.

Les étudiants apprécient le fait de fonctionner à leur propre rythme ; ils peuvent appuyer sur « pause », reculer la séquence, et la revoir plusieurs fois s’ils ne comprennent pas, souligne Mme Green.

Les cours de mathématiques et de sciences se prêtent naturellement à cet exercice, mais un professeur d’anglais du même établissement a tenté l’expérience quelques fois avec ses étudiants, notamment pour qu’ils apprennent la mythologie.

« Ils regardaient la vidéo à l’avance et ensuite, nous avons déconstruit [Note du carnet : déconstruit la mythologie ?] l’idée en classe. Après, nous l’avons appliquée à un film, à une nouvelle, à un roman ou à une pièce de théâtre », a souligné Derrick Schellenberg.

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mercredi 19 août 2015

Le progrès, valeur en berne ?

Dans son ouvrage Apocalypse du progrès, Pierre de La Coste rappelle que son préfacier, Frédéric Rouvillois, fait remonter « l’invention du progrès » à la fin du XVIIe siècle. C’est l’époque de la querelle entre les Anciens et les Modernes. En raison de la sécularisation du christianisme, mais également sous l’influence de Galilée, Bacon et Descartes, Frédéric Rouvillois note justement : « Le progrès, tout comme l’utopie, est foncièrement artificialiste : depuis le XVIIe siècle, on considère que la technique est l’objet par excellence de l’accumulation quantitative du savoir, et que c’est donc aux ingénieurs que revient le pouvoir d’asservir la nature. »

Au XXe siècle, le progrès emprunte la voie d’une hypermodernité spectaculaire et technomarchande décrite par Pierre de La Coste comme délétère pour les sociétés : « Les différents processus techniques qui permettent la reproduction des images de la télévision, des magazines, des affiches dans la rue se sont tendus comme une sorte de filet pour recueillir tous les rêves de bonheur conçus par l’Humanité moderne [...] : consommation infinie, plaisir sexuel sans borne, beauté parfaite, jeunesse éternelle, jouissance de toutes sortes, émotions fortes, violences fascinantes... » Pour l’auteur, l’hypertrophie matérielle et virtuelle évacue le mal de la représentation humaine. Le mystère chrétien et le péché originel sont remplacés par l’optimisme technicien et le « meilleur des mondes ».

Dans leur ouvrage précis et tonitruant — en référence au livre d’Aldous Huxley —, Résistance au meilleur des mondes, Éric Letty et Guillaume de Prémare soulignent un curieux paradoxe : l’utopie progressiste fait des ravages dans notre monde à mesure qu’elle signe son échec. « Nous vivons une époque paradoxale : tandis que la révolution technologique ouvre à l’homme des horizons de progrès qu’il ressent comme illimités, nous assistons à la fin de l’idéologie du progrès, qui veut que le monde avance continûment du bien vers le mieux. Démentie par les faits, cette forme de matérialisme historique est un échec. L’homme occidental a cru qu’il était inscrit dans l’histoire que chaque génération vivrait mieux que la précédente ; il a cru que la civilisation du loisir et de la consommation ouvrait une ère nouvelle d’accomplissement de soi, d’épanouissement individuel, en un mot de bonheur. Or, les promesses de la modernité ne sont pas tenues : ni celle du progrès matériel continu ni celle d’un bonheur croissant. »

Et les auteurs d’énumérer quelques-uns des stigmates du progrès en cours : effacement des nations et des corps intermédiaires dans la perspective d’une gouvernance mondiale, ébranlement des fondations de la famille, négation de l’identité des individus, production artificielle de l’être humain, transhumanisme, contrôle mondial des naissances et eugénisme. Il en résulte le citoyen du « meilleur des mondes », avant tout un consommateur atomisé, désaffilié et en voie de robotisation. À l’instar de l’ange qui fait la bête, « le meilleur des mondes » s’avère le pire des mondes !

Autre plaie de l’idolâtrie du progrès : le gigantisme. Dans Une question de taille, Olivier Rey remet en cause le culte de la croissance, en matière architecturale, depuis le baron Haussmann et Le Corbusier. Il actualise son réquisitoire contre le gigantisme étendu à toute la modernité en plaidant en faveur d’une harmonie d’ensemble : « Il est hors de doute qu’à l’heure actuelle, dans un monde en proie aux excroissances monstrueuses, à la mondialisation compulsive, à une babélisation effrénée, le sens des proportions réclame, à peu près partout, une réduction d’échelle. Mais cet aspect conjoncturel ne doit pas faire oublier le principe fondamental : non pas l’apologie du petit en tant quel tel, mais la recherche, en toutes choses, de la taille appropriée à l’épanouissement et à la fécondité des existences. »

Face au « no limit » de la postmodernité, Gaultier Bès avec Marianne Durano et Axel Norgaard Rokvam — membres des Veilleurs durant les « manifs pour tous » — préconisent de renouer avec « nos limites, pour une écologie intégrale ». Ce petit essai vif et intelligent défend une écologie humaine, sociale et environnementale. S’insurgeant contre le mariage homosexuel, la PMA, la GPA, l’idéologie du genre et le transhumanisme, les auteurs vilipendent parallèlement la société de consommation et le turbocapitalisme, destructeurs de la nature humaine et de notre écosystème : « L’écologie intégrale, écrivent-ils, ne choisit ni l’humain contre la nature ni la nature contre l’humain. Elle cherche au contraire à réconcilier l’humanisme et l’environnementalisme, à faire la synthèse entre respect absolu de la dignité humaine et préservation de la biodiversité. »
Et de justifier le titre de leur ouvrage par ces mots inspirés d’un aristotélisme de bon aloi aux antipodes de l’individualisme contemporain : « L’invention perpétuelle de soi, fiction chaque jour plus plausible, est le but d’un individu qui, à force de chercher à s’abstraire de ses limites, s’émancipe de sa propre réalité charnelle et sociale, et de la condition commune. Niant sa condition d’être relatif, il s’éloigne de ce qui caractérise et fonde sa dignité propre d’animal politique : sa sociabilité. »

L’idéologie du progrès a été rendue possible — de façon paroxystique — en raison du travail de sape effectué par les philosophes soixante-huitards de la « déconstruction », tels que Gilles Deleuze, Jacques Derrida ou Michel Foucault. Prônant la déconstruction des grandes structures traditionnelles (famille, métier, région, nation, Église, dans leur acception classique), ils ont contribué à renforcer l’individualisme narcissique, le relativisme moral et l’anomie sociale. C’est la raison pour laquelle le grand philosophe camusien, maurrassien et heideggérien Jean-François Mattéi a achevé son œuvre solaire et d’une grande qualité par la publication d’un livre posthume au titre symptomatique : l’Homme dévasté. Son objectif était de déconstruire les déconstructeurs qui demeurent des nihilistes intégraux, voulant éradiquer l’architecture de toute société traditionnelle en Europe. Il résume son propos ainsi : « La déconstruction a donc pour but de désagréger ce qui relève du principe, arché, et de disséminer les figures majeures de l’architectonique : le roi comme origine de la cité, le père comme origine de l’homme, le soleil comme origine de la vie, et finalement Dieu comme origine du monde. On aura compris que les déconstructeurs s’en prennent à tout ce que la culture spirituelle de l’Europe avait réussi à édifier. La déconstruction est l’ennemie mortelle de toutes les formes d’édification. »

Et Mattéi d’ajouter que la nouvelle menace réside dans l’utopie transhumaniste puisque celle du progressisme ne fait plus recette. Il reste néanmoins confiant dans l’homme face à son effacement : « On ne pourra jamais effiler l’humain puisque c’est l’homme lui-même qui en file à chaque moment le tissu. » Une conclusion riche d’enseignement sur les ravages, mais aussi sur les impasses d’un progrès illimité. On n’arrête pas le progrès, assure le dicton... Mais, l’idéologie, qui l’exalte, a du plomb dans l’aile.

Source : Valeurs actuelles

L’Homme dévasté, de Jean-François Mattéi, préface de Raphaël Enthoven, Grasset, 288 pages, 19 €.

Résistance au meilleur des mondes, d’Éric Letty et Guillaume de Prémare, Pierre-Guillaume de Roux, 224 pages, 19 €.

Une question de taille, d’Olivier Rey, Stock, 288 pages, 20 €.

Nos limites, pour une écologie intégrale, de Gaultier Bès, avec Marianne Durano et Axel Norgaard Rokvam, Le Centurion, 112 pages, 3,95 €.

Apocalypse du progrès, de Pierre de La Coste, préface de Frédéric Rouvillois, Perspectives libres, 254 pages, 22 €.