lundi 23 mars 2015

Prof Maclure : « Quitte à utiliser la clause dérogatoire » contre Loyola

Jocelyn Maclure
Pour Jocelyn Maclure, professeur à la Faculté de philosophie de l’Université Laval et membre de la commission Bouchard Taylor, la Cour suprême du Canada aurait commis une « erreur » dans le dossier Éthique et culture religieuse.

Erreur et non, simplement, un souci plus scrupuleux de la liberté de religion ou une plus grande sensibilité aux arguments des appelants (nous pensons que dans ce genre de causes « philosophiques » la sensibilité des juges teinte fortement leurs décisions), non mais bien une erreur pour l’éminent et influent professeur.

Loyola aurait concédé

Pour Maclure, comme pour Antoine Robitaille du Devoir, Loyola aurait modifié sa demande initiale :


C’est pourtant inexact. Dès avant le premier procès, en 2008, l’école Loyola écrivait à la ministre :

Le directeur de Loyola, Paul Donovan, a toujours dit qu’il invitait des imams pour présenter l’islam et des rabbins pour présenter le judaïsme. En fait, Donovan a insisté dès le 9 mai 2008 qu’il était plus troublé par le volet éthique que par le volet culture religieuse ! Il déclarait ainsi en mai 2008 à la Gazette de Montréal que son « école n’enseignera pas certaines parties de la composante éthique du programme ». « Les enseignants sont supposés rester neutres vis-à-vis des points de vue éthiques que les élèves pourraient défendre. Mais il s’agit d’une “neutralité feinte, pas d’une réelle neutralité” », devait-il ajouter.

L’école Loyola a donc été très — trop ? — raisonnable dès le début. Pourquoi l’État peut-il même imposer que la présentation d’autres religions soit respectueuse ? Qu’est-ce que cela veut même dire ? Comment espérer que des Coptes persécutés par les musulmans en Égypte représentent l’islam à la manière irénique des manuels québécois approuvés par le Monopole de l’Éducation ? Ces manuels sont très « respectueux » des religions exotiques, peu du christianisme (voir ici et ), sont-ils objectifs ?

Répéter les mêmes vœux pieux... 

Maclure ressasse la même vulgate : le cours ECR permettrait de comprendre le « phénomène » religieux.


Le programme ECR est superficiel, il permettra au mieux de connaître des rites, quelques grands principes, quelques règles, mais pas de comprendre les religions présentées. Le cours est trop superficiel, n’occupe pas assez de temps pour vraiment se familiariser avec les religions et son but n’est pas de vraiment comprendre de l’intérieur les religions au programme, mais d’apprendre aux élèves à toutes les trouver d’une égale valeur, à les « respecter » comme disent certains. Valeur égale qui peut très bien signifier, en fin de compte, qu’elles sont toutes folkloriques ou de vieilles sornettes.

... et décréter que seul ECR peut assurer le bien commun

Maclure semble aussi penser que seule la version « laïque » d’ECR peut assurer le bien commun et la reconnaissance de l’autre, sans preuve :

Peut-être Maclure n’a-t-il pas bien suivi la cause en justice ?

Ces objectifs font partie de la doctrine catholique, notamment de Dignitatis humanae... Loyola ne peut y être opposé, en fait elle promeut ces objectifs. Quand un des pères d’ECR, Georges Leroux, fut interrogé dans le cadre du procès Loyola, il dut admettre que rien dans le programme de Loyola n’empêchait d’atteindre les objectifs fixés par le programme ECR. C’est d’ailleurs ce qui a poussé les trois juges minoritaires de la Cour suprême à considérer que le programme Loyola est équivalent à ECR, voir par exemple :
 « [148] À notre avis, il n’y a rien d’inhérent aux objectifs du programme ÉCR (reconnaissance des autres et poursuite du bien commun) ou aux compétences qu’il vise à inculquer aux élèves (religions dans le monde, éthique et dialogue) qui exige que l’on adopte une démarche culturelle et non confessionnelle. »

Ajoutons que rien ne prouve en fait que le programme ECR « laïque » atteindra ses objectifs, surtout s’il est « neutre », ou qu’il le fera mieux que le programme proposé par Loyola. Où sont les études, les faits qui permettraient de l’affirmer ?


Maclure n’aime pas l’éthique de référence catholique dans une école catholique

Pour Maclure, « Concrètement, la décision signifie que la morale catholique sera le système éthique de référence dans les discussions sur les dilemmes éthiques à l’école secondaire Loyola. » Cela lui semble très grave. Il déclare également que « Puisque Loyola est un collège privé jésuite, il est tout à fait normal qu’il fasse la promotion de la foi catholique. »

Le philosophe déclare que « le volet “éthique”, pour sa part, n’est pas conçu comme un prêchiprêcha moraliste et vaguement humaniste. Il s’agit plutôt d’outiller les élèves pour qu’ils acquièrent les aptitudes à la réflexion automne [sic] et critique sur les questions éthiques, c’est-à-dire qu’ils apprennent à réfléchir par eux-mêmes et avec les autres sur les enjeux éthiques et politiques qui meublent la discussion publique. »

Apprendre la logique, le dialogue, réfléchir, c’est bien. L’école Loyola a clairement dit qu’elle est d’accord avec cela. Mais pour Loyola la discussion comprend la présentation non neutre (la défense) par le professeur de la position catholique sur la question éthique posée. L’État ne peut l’empêcher de faire sans brimer sa liberté de religion. Car, en fin de compte, sur quoi aboutiront les discussions éthiques « neutres » en classe ? Des matchs nuls ? Une absence de conclusion selon que les participants adoptent une position éthique utilitariste, déontologiste, émotiviste, maximaliste, minimaliste, relativiste, égoïste, etc.

Dans les classes « laïques » souhaitées par Maclure, il y a fort à parier qu’on aboutira à une absence de conclusion ou alors à une recherche du consensus guidée par un mimétisme entre les élèves ou la recevabilité des opinions selon leur rectitude politique. En général, le programme ECR souffre d’une aporie : comment peut-il former au vivre ensemble et à la reconnaissance d’autrui, tout en étant neutre ?

Des parents qui envoient leurs enfants à des écoles comme Loyola pensent que c’est là un exercice tronqué, qu’il peut aboutir à un certain relativisme ou une légitimation de positions morales contraires à leur foi. Ils veulent compléter l’apprentissage de la logique, du dialogue par un enseignement des préceptes catholiques. Où est le problème, à moins que M. Maclure veuille expressément détacher les enfants des convictions de leurs parents ?

Appel au collègue devenu ministre : utilise la clause « nonobstant » s’il le faut !

Le billet du philosophe se termine par un appel au nouveau ministre de l’Éducation :

Mise à jour : Le ministre rejette l’appel à la clause dérogatoire.





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3 commentaires:

Passisimple a dit…

Maclure affirme aussi allègrement « l’intérêt légitime du gouvernement du Québec d’offrir une éducation laïque et pluraliste. »

J’aimerais croire que l’intérêt légitime du gouvernement est d’offrir une éducation PLURALISTE.

Mais je vois bien plus de professeurs d’ÉCR athé(e)s que laïques. Et c’est là la dérive.

Et c’est là le danger…

Et croyez-moi, le professorat est MA profession… Qui va enfin dire les choses comme elles se passent vraiment dans les cours d’ÉCR?

Quand on hait la religion et les religieux comme notre peuple, quand on ignore l’histoire des communautés du Québec et celle de leurs oeuvres, quand on amalgame tout, les torts et les histoires d’horreur de l’Église et les émotions des uns et des autres, difficile de bien enseigner la culture religieuse et l’éthique et de présenter d’une façon NEUTRE les grandes traditions religieuses et spirituelles accordant plus de temps à celles qui sont présentes aux Québec.

Si quelqu’un peut croire que la NEUTRALITÉ existe rationnellement dans un enseignement de l’histoire, je doute qu’il ait déjà enseigné.

La boîte à valeurs (l’école) demeurera toujours un lieu qui ne peut pas se dire NEUTRE.

Surtout pas dans un contexte de peur et d’appréhension comme le Québec d’aujourd’hui.

mithys a dit…

Bonjour,
Je me permets d'exprimer un point de vue différent.
Le jugement de la Cour suprême me déçoit profondément. En effet, c'est à tort que la « liberté de religion » est invoquée par les juges, puisque, par définition, aucune liberté n'existe en l'absence d'alternatives ! Or le cours ECR privilégie anormalement la religion catholique et la soumission religieuse, et il occulte l'athéisme et donc l'autonomie de la conscience et la responsabilité individuelle. Cela constitue à mes yeux une malhonnêteté intellectuelle et morale, pour ne pas dire un crime contre l'esprit.
Le prosélytisme catholique, le communautarisme, le repli sur soi, l'intolérance, etc. vont donc se renforcer ...

Les parents croyants (en particulier les musulmans, exemple extrême) ne se demandent jamais s'ils ont vraiment choisi leur religion, et même de croire.
D'abord parce que la foi a été imposée dès la prime enfance, affectivement et en l'absence d'esprit critique à leur cerveau émotionnel, ce qui y laisse des traces indélébiles (que tendent à confirmer la psycho-neuro-physiologie lorsqu'elle constate son origine éducative et culturelle, ainsi que sa fréquente persistance neuronale).
Ensuite parce qu'à l'adolescence et à l'âge adulte, les religions occultent malhonnêtement les options non confessionnelles.
Enfin parce que se poser ces questions, cela les déstabiliserait dans leurs certitudes.
Il importe à mes yeux que l'école compense les influences religieuses familiales, certes légitimes, mais unilatérales et communautaristes, incompatibles avec l'acceptation de la différence de l'autre par le dialogue, et avec le vivre-ensemble.
Je joins un article que j'ai publié l'an dernier :
http://www.souslavouteetoilee.org/2014/08/liberte-de-conscience-oui-bien-sur-mais-laquelle.html
Bien à vous,
Michel THYS,
à Ittre en Belgique.



Mieuxvaut a dit…

Lire ce billet bien informé sur Maclure et le clergé post-moderne :

http://samizdat.qc.ca/cosmos/sc_soc/ECR_religion_dEtat.htm