mercredi 4 août 2010

Le bon combat

Chronique de Joseph Facal, de retour au Québec après son année sabatique en Espagne :

Dans une récente chronique, Richard Martineau déplorait sa difficulté à intéresser ses enfants aux grandes œuvres classiques, noyées dans le fast-food culturel qui nous submerge. Je livre le même combat.

Il ne faut évidemment pas compter sur l’aide de l’actuel Ministère de l’Éducation. Une dame œuvrant dans le monde de l’édition me rapportait qu’au niveau collégial, des œuvres classiques pourtant très accessibles, comme celles de Jacques Godbout ou d’Albert Camus, sont partout remplacées par du Guillaume Vigneault ou du Marie-Sissi Labrèche.

En tout respect, on peut se demander si ces derniers seront lus dans cinquante ans. Mais l’idéologie dominante dans le monde québécois de l’éducation ne se pose plus cette question. L’important est de mettre le jeune en contact avec des œuvres qui parleront de sa réalité à lui. Sinon, pense-t-on, le livre lui tombera des mains au bout de deux pages.

Toutes les époques ont évidemment produit du fast-food culturel. Qui se souviendrait aujourd’hui du médiocre Antonio Salieri (1750-1825), grande figure musicale de son époque, si le magnifique film de Milos Forman, Amadeus, ne l’avait tiré de l’oubli ? Le passage du temps est le plus impitoyable des juges, mais il faut justement lui laisser du temps pour faire le tri.

Avec mes enfants, j’ai choisi la ruse. Un chef-d’œuvre peut aussi être accessible. Un film d’Hitchcock, par exemple, passe mieux que le Rashomon de Kurosawa. Dans cette brèche, on glisse ensuite du Sergio Leone ou du Spielberg, puis on augmente progressivement le niveau.

Quand notre époque produit quelque chose de bon, je fais du judo. Tous les enfants ont vu les trois volets du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson. Avec les miens, je me tape ensuite les minables Twilight. Puis, je leur montre, en parallèle, qu’au-delà de leurs goûts personnels, il y a, dans la trilogie de Jackson, une profondeur, une subtilité, une originalité, une maîtrise qui déclassent totalement les ados vampires. La démonstration devient plus aisée si les enfants sont a priori réceptifs à ce que vous proposez comme modèle.

Pour la littérature, j’ai un autre subterfuge. La version originale de Moby Dick fait plus de 800 pages et contient de longs développements sur l’industrie de la pêche. Vingt mille lieues sous les mers, de Jules Verne, a environ 500 pages et fourmille de considérations sur la flore sous-marine. Les auteurs du XIXe siècle publiaient souvent leurs romans sous forme de feuilletons dans les journaux. Comme ils étaient payés à la ligne, ils rallongeaient la sauce.

Il existe cependant des versions abrégées de bonne qualité. On garde l’intrigue, on ne touche pas au style, mais on enlève tout ce qui est du remplissage. Dans quelques années, il y a des chances que le jeune veuille se frotter à la version longue originale.

J’ai aussi un certain succès avec Conan Doyle (Sherlock Holmes), Edgar Allan Poe, Robert L. Stevenson, Jack London, etc. Évidemment, ce n’est pas Flaubert, mais mon but premier est de tuer l’idée que si c’est vieux, c’est forcément ennuyeux. Appelons-ça de l’étapisme culturel.

La question qui tue est : pourquoi notre système d’éducation a-t-il renoncé, sauf d’heureuses exceptions, à transmettre la culture classique ?

Ce renoncement a plusieurs causes liées entre elles. L’école québécoise baigne dans cette idée perverse selon laquelle des exigences trop élevées pourraient conduire l’enfant à l’échec. Or, un roman de Balzac ou de Steinbeck, un film de Fellini ou de Kubrick, demandent des efforts considérables. Tant pis si ce jeune découvre ensuite que la vie adulte lui réserve des échecs pour lesquels il n’a pas été préparé.

Fondamentalement, notre système ne veut pas former et élever l’esprit du jeune, mais le mouler professionnellement pour répondre aux exigences de la société. On se dit que ne rien connaître de ces œuvres ne l’empêchera pas de gagner sa vie. Ce n’est pas faux, mais cela donnera forcément une société dont le niveau culturel moyen sera très bas.

Notre système véhicule aussi, je l’ai dit, l’idée qu’il faut partir de la culture vécue par le jeune. Ce n’est pas entièrement mauvais si on la dépasse rapidement. L’accès à la connaissance authentique exige une rupture avec notre monde quotidien pour entrer dans autre univers, comme un explorateur débarquant dans une contrée inconnue. Il ne faut pas conforter le jeune dans sa certitude que rien n’est meilleur que Simple Plan.

C’est un peu comme ces gens qui vont en vacances dans le Sud. Soir après soir, ils ne prennent que les pâtes dans le buffet. Ils ne goûteront pas aux mets locaux parce qu’ils n’ont pas été habitués à penser qu’il peut y avoir autre chose que leurs petites habitudes. Personne n’a rompu leurs certitudes culinaires.

Nos facultés des sciences de l’éducation forment aussi depuis longtemps des cohortes entières de professeurs qui, eux-mêmes, ne connaissent rien de Molière, de Hubert Aquin ou de Charlie Chaplin, à moins de les avoir découverts par eux-mêmes ou à cause de leurs parents. Comment pourraient-ils ensuite transmettre ce qu’ils ne possèdent pas ? Il y a évidemment des exceptions.

Une autre cause de cette démission est que le relativisme est devenu l’idéologie dominante de notre époque. Au plan culturel, le relativisme, c’est de laisser chaque personne être l’unique juge de ce qui est bon ou mauvais en fonction de ce qu’elle aime ou n’aime pas. Si j’aime, c’est bon, si je n’aime pas, c’est mauvais. Les jeunes ne croient pas qu’il y ait des critères objectifs, indépendants de leurs goûts personnels, permettant de soutenir que Marie-Sissi Labrèche ne vaut pas Stendhal ou que Marie-Mai ne vaut pas les Beatles.

Quand vous discutez avec des jeunes et que vous les coincez en leur démontrant que leur opinion ne tient pas la route, au lieu de reconnaître leurs torts et de changer d’opinion, ils se réfugieront derrière : « chacun a droit à son opinion ». Ils confondent le droit à une opinion avec l’idée que toutes les opinions ont la même valeur.

Pourquoi, me demanderez-vous, la connaissance de cette culture classique est-elle importante ? Parce que nos jeunes se posent les mêmes questions qu’on se pose depuis 2 500 ans. En sachant comment les plus grands esprits y ont répondu, ils s’éviteront de radoter en s’imaginant faussement qu’ils inventent.




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5 commentaires:

Jean-Luc a dit…

voilà encore un bon plaidoyer. Vous touchez du doigt l’essentiel du problème actuel nous nous trouvons présentement confrontés en matière de maturité sociale et politique. Vous plaidez en faveur de ce que l’on appelait, il y a quelques années, « la culture générale ».

Il fallait passer par là si on voulait ensuite se spécialiser dans une domaine ou une discipline quelconque donnant accès à l’université. Et pour avoir accès aux fondements de notre civilisation, il fallait apprendre le latin et le grec, comme le souligne si bien Gilles.

La culture et la formation de base devaient être rigoureuses et se vérifier par des résultats concrets mesurables. Sinon, il y avait des conséquences.

C’était un appel à se surpasser, une condition de succès. Et je crois que nous devrons, non pas revenir en arrière, mais reprendre cette direction logique si on veut avancer sur des bases solides. Sinon, on assistera à un recul.

C’est réjouissant de vous voir prendre une position si claire, si franche. C’est ce qu’on appelle du courage politique car ce genre d’idées n’est pas nécessairement populaire.

Marc P. a dit…

Vous ne me croirez pas mais en secondaire 4, en classe d'éducation sexuelle, on nous a fait écouter un extrait de Crusing Bar pour aborder le chapitre sur la séduction!!!!! Heureusement qu'il n'y avait pas de travaux pratiques à faire! :D On nous avait également fait faire un travail sur des bandes dessinées, en cours de français.

Le drame en éducation, c'est qu'on jette la serviette avant même d'avoir essayé! On veut être moderne et "cool"... Prenez cette idée d'intéresser les garçons à la lecture par la bande dessinée. Je ne dis pas que c'est totalement mauvais, surtout pour des très jeunes, mais je constate que le débat sur l'importance du sport et des images excitantes chez les garçons est en train de convaincre les principaux intéressés qu'ils sont des cancres congénitaux et qu'ils ne peuvent apprendre que si on les amuse comme des petits enfants.

Si on consacrait à leur donner le goût de l'effort intellectuel le dixième de l'énergie qu'on met à vouloir les faire bouger et manger sainement, on ferait des merveilles! On ne saura jamais si on ne tente rien. C'est vrai que l'activité physique favorise l'apprentissage mais encore faut-il que l'activité physique ne soit pas le seul apprentissage auquel on accorde de l'importance

Romanus a dit…

Certains classiques sont de véritables thrillers. Commencez a lire Crime et Châtiments et ensuite, tentez d'en abandonner la lecture. Même chose pour le Père Goriot... mais qui sont donc ces dames?

Romanus a dit…

L'école, selon Alain Finkielkraut:

http://www.youtube.com/watch?v=DvBtpEAJF90&NR=1

Ah que ce discours me rappelle mes chers cours de littérature française!

RJR a dit…

Romanus,

Je pense que vous avez copié le mauvais lien YouTube.

Finkielkraut n'y parle pas de l'école que je sache, mais de la théorie du complot, de l'internet, etc.