samedi 20 mars 2010

Québec — « [re]Faire des élèves des perroquets »

Patrice Potvin, professeur-chercheur en didactique des sciences à l'UQAM, progressiste dans l'âme, a participé à une des étapes de validation des travaux relatifs aux programmes de formation du secondaire.
« Les fonctionnaires du MELS ont ces derniers temps travaillé sur une « commande » émanant du bureau de la Ministre les contraignant à produire ce qu’ils appellent la « Progression des apprentissages ». Ce document avait été annoncé initialement comme étant un outil permettant aux enseignants de mieux cerner les moments (la Ministre a même parlé récemment d’une progression « mois après mois » très réductrice et contraignante pour les enseignants) où ils doivent aborder les contenus et de savoir également jusqu’où ces contenus devaient être approfondis. Il était également présenté comme un moyen de réhabiliter la place des connaissances dans l’enseignement, ce qui n’est peut-être pas, a priori, une si mauvaise idée, étant donné l’état de confusion assez avancé dans lequel les enseignants sont plongés depuis quelques années. »
Pour M. Potvin, à la lecture des objectifs, ce nouvel outil constituerait une formidable régression qui simplifierait à outrance la transmission de connaissances et des compétences qui dépassent la simple restitution de faits.
« [...]

Premièrement, parce que la manière dont on présente les contenus nous renvoie vingt ans en arrière. On colle tout simplement un verbe à une connaissance. Exemple : « Nommer les différents groupes sanguins ». Cette façon de faire, pourtant abandonnée dans la plupart des pays du monde, pourrait encore se justifier par le choix de revenir aux anciens programmes, mais le véritable problème, c’est que les seuls verbes autorisés sont d’un niveau d’exigence médiocre : « nommer, identifier, associer, définir, choisir, reconnaître, etc. » Il s’agit ici uniquement d’apprentissages de très bas niveau qui ne présentent que la vertu de pouvoir être vérifiées facilement avec un test « papier-crayon » et pour lesquels le cours magistral suffit à les faire « apprendre ». Le document se suffit donc de faire de nos enfants des perroquets. Exit la réflexion ! Nivellement par le bas total.

[...]

Deuxièmement, le document est dangereux parce qu’il contredit explicitement les programmes de formation malgré la prétention qu’il a de les compléter. Par exemple, il ne fait aucune mention des compétences, les fonctionnaires ayant été explicitement interdits de les évoquer, alors que les programmes les présentent comme très importantes, bien que non exclusives. Confusion. De plus, il suggère que les connaissances doivent précéder chronologiquement leur mobilisation, ce qui est contraire aux nouveaux programmes où il est indiqué que les connaissances et leur utilisation doivent être abordées en concomitance. Confusion encore. Il est clair depuis longtemps que la Ministre souhaite revenir à ce qu’elle appelle l’« essentiel » (comme si les enseignants l’avaient oublié), mais les effets de son document ne seront pas ceux escomptés : en envoyant aux enseignants de tels messages contradictoires à répétition, elle alimente la confusion quant aux cibles que les enseignants doivent atteindre dans leur pratique.

Que l’on soit pour ou contre la réforme, on peut donc facilement anticiper les effets de cette dés-information et de ce recul sur les enseignants : simplification du travail de l’enseignant à des répétitions techniques, démotivation, perte de sens, ingrédients privilégiés du décrochage enseignant. Un phénomène qui n’a pas vraiment besoin d’être alimenté actuellement, puis-je ajouter.

Ce document ressemble de plus en plus à un testament que la Ministre semble vouloir laisser derrière elle (sans consulter, comme d’habitude) et qui est à l’image de toute sa contribution au monde de l’éducation… Qu’elle n’a jamais très bien compris d’ailleurs et qu’elle admet avoir hâte de quitter. Le plus vite possible s’il vous plaît… »






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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Pendant la campagne électorale de l'automne 2008, la Fédération des syndicats de l'enseignement avait réclamé ce qui suit:

"5. Poursuivre la réforme de la réforme, notamment en précisant le niveau de progression des connaissances attendu des élèves pour l'ensemble des programmes et pour chacune des années scolaires".

C'est, si l'on comprend bien, ce que Mme Courchesne a précisément demander de faire à ses fonctionnaires et qui met en rogne un "intellectuel" (encore un!) de l'UQAM.

Mieux aurait valu que la ministre demande aux enseignants eux-mêmes plutot qu'à ses fonctionnaires de faire le nécessaire. Après tout, c'est eux qui savent.

Aurait-on idée de demander au ministre de la Santé (et donc à ses fonctionnaires), de déterminer la séquence des opérations dans les interventions chirurgicales pratiquées dans nos hôpitaux?