jeudi 18 juin 2009

Le « dialogue » assure-t-il un meilleur « vivre ensemble » ?

Christopher Caldwell commente dans le magazine Slate le livre Going to Extremes de Cass Sunstein, professeur de droit constitutionnel à l'université Harvard. Caldwell, journaliste dont les chroniques sont publiées dans le Financial Times et le New York Times, est l’auteur de Reflections on the Revolution in Europe: Immigration, Islam and the West.

Dans son commentaire, Caldwell observe que la théorie de Sustein n'apporte aucune contribution à la lutte contre l'extrémisme malfaisant. Il souligne les points suivants :
  1. Sustein confirme que les campagnes publiques bien-pensantes et le « dialogue » sont une perte de temps. Les gens ont une préférence naturelle pour ceux qui leur ressemblent et qui partagent leurs valeurs. Les personnes dont les valeurs sont sincères et profondément ancrées éviteront l’entourage de celles qui ne les partagent pas.
  2. Le « dialogue » entre groupes renforce souvent les camps qui se braquent sur leurs positions. [Il peut, bien sûr, en aller différemment pour des individus très minoritaires dans un groupe.]
  3. L’extrémisme, que Sustein voudrait contrer, n’est pas en soi une mauvaise chose. Les arguments de Sustein pourraient tout aussi bien servir à contrer l’extrémisme désirable, par exemple celui d’une Mère Thérésa, d’un Martin Luther King ou, pour citer des exemples non mentionnés par Caldwell, d’un Gandhi ou d'un dalaï lama.




Voici une traduction d’extraits de la chronique de Caldwell : How on Earth Do You Tame Extremists ? Cass Sustein tackles an impossible task, Slate, 15 juin 2009 :

Lors des primaires démocrates de 2008 qui virent Barack Obama l’emporter sur Hillary Clinton, en grande partie grâce au soutien des États qui utilisaient le système de caucus, les partisans de Mme Clinton se sont plaints que le système délibératif des caucus n’a pas uniquement permis d’exprimer le sentiment des électeurs, mais il l’a également déformé [en le radicalisant : le groupe relativement uniforme adopte une position plus radicale que l'opinion moyenne de ses membres].

[…]

Si vous réunissez les deux côtés opposés à une question, ils ne trouvent pas un terrain d’entente. Chaque camp se braque. Sunstein nous apprend que si on demande de lire « un ensemble d’articles mesurés et réfléchis » à des groupes qui s’opposent sur les questions de l’avortement ou de la discrimination dite positive, chaque côté filtre simplement l’information pour y trouver ce qui confirme son point de vue. Il s’avère que l’idéologie n’est pas simplement une question d’opinion ou de point de vue, c’est aussi une prédisposition à accepter un certain type d’arguments et à en refuser d’autres. Complication supplémentaire : certains types d’arguments extrémistes bénéficient d’un « avantage rhétorique automatique » dans un débat; il est plus difficile de se rallier à « Moi, aussi, mais moins » qu’à « Quand le vin est tiré il faut le boire. » Ces dernières années, on n’a vu aucun argument efficace contrer l’augmentation constante des peines de prison contre les trafiquants de drogue ou les demandes constantes de diminution des impôts.

[…]

Si Sunstein est à la recherche de principes neutres qui entraveraient les extrémistes de mauvais aloi mais qui favorisent les bons – et pour une bonne partie de son livre, il semble le faire – sa quête est vaine. Il cherche une solution dans les travaux du juriste philosophe Heather Gerken, qui semble, selon la description de Sunstein, avoir effectué une analyse plus étoffée et subtile des groupes qui s’affrontent que tout ce que Sustein a décrit dans son propre livre.

Gerken opère une distinction entre la diversité de premier ordre (diversité au sein d’organismes) et la diversité de second ordre (la diversité entre les organismes). Pour faire simple, la première consiste à s’assurer que la rédaction du Los Angeles Times ait un certain nombre de Latinos, alors que la seconde signifie que le public puisse choisir entre, disons, le Los Angeles Times, la New Republic et le Final Call. Ce n’est alors pas grave si certains organismes ne sont pas divers pour autant que la société bénéficie une diversité d’organismes.

La version de la diversité selon Gerken serait que mille fleurs fleurissent. Elle s’accorde mieux avec le concept de liberté que la diversité de premier ordre, en vogue actuellement, qui se fonde sur une suspension ciblée de la liberté d’association. Toutefois, cette version ne permet pas d’éviter les difficultés que Sunstein a décrites avec une admirable audace au début de son ouvrage. Car, cette variété de groupes, quelques soient leur ampleur et diversité au départ, se rangent à la longue en deux camps qui s’enguirlanderont avec un mépris insensé et mutuel. Est-ce que ce n’est pas précisément ce qui a empoisonné la culture politique américaine depuis l’essor d’Internet ?

Tant que le lecteur suppose que l'extrémisme est un problème en soi, on pourrait penser que la solution consiste à renforcer la diversité de façon à ce qu’elle ne se dissolve pas au contact d’esprits obstinés. À titre d’exemple, c’est ce que suggère Sunstein pour le terrorisme. « Si une nation tente d’éviter les activités terroristes », écrit-il, « une bonne stratégie est d’empêcher l’établissement d’enclaves formées de personnes partageant les mêmes idées. » Mais que se passe-t-il lorsqu’une enclave n’est pas constituée de terroristes ? Que faire s’il s’agit d'un syndicat ? D’un cercle privé masculin ? D’un département d'études féminines ? De militants des droits civiques ? De croyants ordinaires ? Aime ton prochain comme toi-même et We shall overcome (nous triompherons !) répondent aussi à la description de l’extrémisme. Il s’agit là aussi de visions partielles du monde qui ont tendance à s’autorenforcer.

Sunstein est déchiré. L'idée centrale de cet ouvrage est que la délibération, loin d’unir les gens, peut les mener à l’extrémisme. Les campagnes bien-pensantes d’information du public et le « dialogue » risquent donc de faire plus de mal que de bien. Les arguments de Sunstein minent les idéaux de la démocratie délibérante, mais il refuse de l'admettre. « Mon livre se borne à suggérer que nous devons simplement faire mention de l’idée de délibération, plutôt que d'en faire l’apologie » écrit-il, sur un ton défensif.

Que signifie « faire mention de l'idée de délibération » ? Cela ne peut signifier autre chose qu’un raisonnement à rebours. Pour des raisons éthiques, on ne serait plus à la recherche des résultats désirables, mais des balises désirables dans les débats. Pour Sunstein, les mauvais extrémistes ont une « épistémologie déficiente » : ils en connaissent moins qu’ils ne le pensent, et ce qu’ils connaissent est biaisé. Mais en réalité, on peut dire la même chose de Martin Luther King et de Mère Theresa. Ce n'est pas l'épistémologie qui les sépare, par exemple, des bouchers du Rwanda. C’est la morale. Au plan conceptuel, l’« extrémisme » n’explique pas grand-chose. C'est un ruisselet qui se déverse dans un vaste océan de bien et de mal. La seule façon de contrer le genre d'extrémisme que vous n'aimez pas, que vous soyez à la tête d'un conseil scolaire ou d'un État, consiste à dire : « Nous croyons en ceci et nous ne croyons pas en cela », en espérant que vous serez suffisamment nombreux pour prévaloir – probablement, hélas, au moyen de tactiques qui sont moins délibératives que vous ne l’auriez souhaité.




Une partie de la traduction et de l'introduction vient du Poste de veille.

Réponse de la communauté orthodoxe juive au cours ECR

Le 28 mai 2009, l'hebdomadaire juif Canadian Jewish News (CJN) a publié, dans son édition montréalaise, une publicité bilingue pleine page (page 17) qui annonçait la formation d'un mouvement populaire, le Conseil sur l’éducation juive au Québec (CEJQ) qui représente la « réponse du judaïsme orthodoxe vis-à-vis du programme d’éthique et de culture religieuse ». Le directeur général du CEJQ est le rabbin Chalom Spira.

Le CEJQ félicite, habilement, le gouvernement du Québec pour sa promotion de l'amitié universelle entre les peuples et, dans cette optique, décrit le gouvernement québécois comme honorable, juste et digne d'éloges. Toutefois, selon ce mouvement populaire, les juifs orthodoxes doivent limiter l'étude de la religion à la Torah tel que le rappellent des décisions ecclésiastiques comme celles de Chlomo Zalman Auerbach, Joseph Ber Soloveitchik, Avigdor Nebenzahl, Norman Lamm et Moché Feinstein et que la manière orthodoxe de mettre en œuvre le programme d'Éthique et de culture religieuse est d'utiliser le code noachide (ou de Noé) comme base, puisque le code noachide est la religion universelle que tous, juifs et non-juifs, doivent suivre.

Le code noachide représente, selon l'opinion rabbinique, les sept principes moraux auxquels toute l'humanité doit obéir. Il s'agit de lois qui ordonnent l'établissement de tribunaux, et interdisent l’idolâtrie, le blasphème, l’homicide, l’inceste, le vol, et la consommation d’un membre prélevé sur un animal vivant (cruauté envers les animaux). Elles constituent pour les rabbins la fondation de toute moralité. Celles-ci s’étendraient, par des lois dérivant d’elles, à tous les aspects du comportement moral humain.

Le CJN a publié une publicité identique le 4 juin (page 19). Le même jour l'hebdomadaire orthodoxe juif « Hade'ah Vihaddibour » rapportait des sentiments similaires de la part de l'arbitre rabbinique (halakhique) Yosef Chalom EliaChiv.

Pour ce qui est du dialogue autour de sujets éthiques ou religieux, le CEJQ le considère comme absurde :
« Il faut comprendre que le « dialogue » est plus qu'une conversation polie, plus encore qu'une discussion érudite. Elle implique le logos, un engagement plein et entier de la foi. Il s'agit d'une confrontation profonde dans laquelle tout est mis en jeu et dont le résultat est toujours imprévisible, et dont les deux parties sortent rarement indemnes. C'est à cause de la nature unique et intime du logos, de l'incommensurabilité d'une foi par rapport à une autre, que nous considérons que le dialogue théologique est une absurdité...

Non, en ce qui concerne la foi et l'engagement ultime, le seul dialogue authentique est celui entre D_u et l'homme. Débattre de telles matières entre des membres de communautés religieuses représente une distraction et non une contribution au grand dialogue. »

Rabbin Norman Lamm,
chancelier de l'Université Yeshiva


Dans sa constitution, le CEJQ s'insurge contre des passages comme ceux-ci tirés du programme officiel :
«- p. 45 : "Des doctrines: le monothéisme, [sic] le panthéisme, l'animisme, le polythéisme, le déisme, l'agnosticisme, etc. Des critiques et des dénonciations: l'athéisme, l'idée de l'aliénation religieuse du Marc, Freud et Sartre, l'idée de la mort de [sic] Dieu chez Nietzsche, etc."
Le programme requiert donc de l'enseignant qu'il sensibilise l'élève qu'il y a (d'une certaine façon) plusieurs manières de représenter le divin, ainsi que des créatures mythiques et surnaturelles.

Il s'agit d'une équation relativiste de toutes les doctrines religieuses. Il faut respecter (en quelque sorte) le monothéisme, le polythéisme, l'agnosticisme et l'athéisme tous à la fois. En outre, on doit introduire les élèves à l'idée que D_u peut (pour ainsi dire) mourir. »
Le 5 juin, le Devoir publie enfin un long article informant ses lecteurs que le programme ECR ne se donne pas dans les écoles juives orthodoxes.

Étude de trois manuels du primaire d'ECR

Nous avons obtenu un rapport qui étudie les trois premiers manuels d'éthique et de culture religieuse du primaire publiés par les éditions CEC (Québécor). Ces trois manuels ont été approuvés par le ministère de l'Éducation (plus particulièrement le BAMD). La critique est souvent de nature religieuse (et non de nature politique ou sociologique, ce qui serait pourtant intéressant).

RÉSUMÉ
  1. Les manuels sont fortement illustrés, de bonne facture, plaisants au niveau graphique, pleins de contes. Tout dans la forme est fait pour plaire aux jeunes enfants. On distribue même des mascottes (une abeille et une fourmi en peluche) en classe.

  2. Ces manuels sont moins caricaturaux que ceux de Modulo pour les mêmes années du primaire.

  3. Nombreuses références à des contes autochtones (pour respecter le programme sans doute), on retrouve comme pour les manuels Modulo environ 20 % de pages consacrées aux spiritualités autochtones dans les pages à contenu religieux.

  4. Traitement assez libre des récits bibliques sur le même mode du conte, parfois adapté librement, d’où la possibilité que l’enfant considère la Bible comme un ensemble de contes, similaires aux contes autochtones ou hindouistes que rien ne semble distinguer dans leur véracité (ou manque de véracité).

  5. Les trois manuels étudiés n’abordent pas jamais la notion de péché, ni pour parler de la création, ni des raisons du Déluge. Le mot péché n’apparaît pas; quand le texte du Nouveau Testament parle de pécheur (Zachée), le manuel parle de « malhonnête ». On ne parle nulle part non plus de salut ou d’âme.

  6. Ailleurs, en éthique, forte promotion de la liberté chez de jeunes enfants (6 ans) qui auraient plus besoin de repères clairs et de discipline.

  7. Renforcement d’idées « progressistes » et « multiculturelles » à la mode : indien écologiste avant l’heure, extrêmement forte natalité au Québec il y a 60-70 ans (treize enfants ?), la diversité permet de faire un tout harmonieux (plus que l’homogénéité ?), égalitarisme candide (en prenant exemple sur les autochtones, les bons sauvages) et un certain irénisme béat (le dialogue respectueux comme solution aux problèmes, même le mal ?).

  8. Les religions ne sont que des formes particulières essentiellement inutiles, quoique pittoresques et folkloriques que l’on retrouve par exemple dans un musée, seule l’éthique planétaire (Weltethos) semble compter. Elle est représentée dans ces manuels par la « spiritualité » amérindienne. Tout revient – et tout doit aboutir – à une sorte de panthéisme humaniste, assez pélagien, on ne croit pas au mal ou du moins on le prend tellement peu au sérieux qu’on croit suffisant de le combattre par le « dialogue » et l’établissement égalitaire de règles consensuelles sans aucune mention à une quelconque transcendance.

  9. En éthique, on introduit également un certain relativisme en soulignant que les sociétés ont des règles différentes, les religions aussi. De même, les différences entre les religions n’ont peut-être aucune importance (on donne simplement des noms différents à Dieu), alors qu’en définitive il existe pourtant – en dehors du cours ECR – des différences qui portent sur les définitions mêmes de Dieu, du bien, de l’homme, etc.


L'étude est ici (PDF).

Le lecteur averti aura remarqué que l'expertise de M. Guy Durand, théologien et éthicien, reprend un certain nombre de ces critiques (voir annexe 6).

Réal Gaudreault — ECR = multiculturalisme et finalités politiques

Capsule 37 - ÉCR = Le multiculturalisme canadien



Résumé de Réal Gaudreault :
« Qui aurait cru qu’un jour le P.Q. servirait les intérêts du multiculturalisme canadien de Pierre Elliot Trudeau ? En souscrivant à l’imposition du cours ÉCR dans les écoles québécoises, Pauline Marois contribue à l’affaiblissement de l’identité québécoise. Mme Marois, pourquoi voulez-vous l’indépendance ? Ou plutôt pour qui ? Dans 30 ou 40 ans, il n’y aura plus de petits Québécois au Québec, mais juste de petits «  multiculturalisés » dopés aux idéologies de l’État. »

L'État désormais entièrement responsable de la formation en matière de religion
« Le second défi est celui du relai institutionnel de la formation en matière de religion. Conçue et contrôlée jusqu’ici par les Églises, celle-ci passe cette fois totalement sous la responsabilité de l’État.  »

Georges Leroux,
résumé de son intervention au congrès de l'ACFAS
mardi 16 juin 2008
source (complaisante)
Texte complet reproduit dans
Les défis de la formation à l'éthique et à la culture religieuse,
Presses de l'université Laval, 2008




Capsule 38 - ÉCR = Finalités politiques de l’État



Résumé de Réal Gaudreault :
« Dans divers articles, Georges Leroux y va de déclarations très claires : le cours ÉCR veut assigner des finalités que l’État détermine pour lui-même, et qui sont d’abord sociales et politiques. Ce projet politique qu’est le cours ÉCR serait le « remède » pour contrer le fondamentalisme religieux au Québec. Eh oui, les croyants sont des gens qu’il faut dès maintenant « guérir » de leur fondamentalisme religieux. »

L'État, seul propriétaire de l'enseignement des religions et de l'éthique
« Cette situation a pour conséquence que, pour la première fois dans l’histoire du Québec, la société peut se reconnaître, par la voix de l’État, seule propriétaire de cet enseignement, elle peut l’assumer comme sa vocation propre, au même titre que la santé ou la justice. »

« Elle peut surtout lui assigner des finalités qu’elle détermine pour elle-même, et qui sont d’abord sociales et politiques : assurer un vivre ensemble harmonieux. »

Georges Leroux
Éthique, culture religieuse, dialogue, chez Fides, p. 21



M. Georges Leroux est un défenseur zélé du cours ECR ; il a témoigné en faveur de son imposition à tous les élèves sans exception lors des procès de Drummondville et Loyola. Il est assez fier qu'on considère son option comme jacobine.