mercredi 23 juin 2010

Deuxième journée du procès de Loyola : Gérard Lévesque et Douglas Farrow

La journée du mardi 9 juin 2009 a commencé par le témoignage de l'expert philosophe Gérard Lévesque.

Le mandat que les avocats de Loyola avaient confié à M. Lévesque consistait à vérifier la compatibilité du programme d'éthique et de culture religieuse (ECR) avec l'enseignement catholique.

M. Lévesque a procédé à l'analyse du programme ÉCR sur la version approuvée du programme. Pour éviter que ses considérations ne soient trop abstraites ou paraissent gratuites, il les a abondamment illustrées en se référant a huit (8) des cahiers ou manuels ÉCR.

La question de l'approbation de ces manuels et cahiers a fait l'objet de questionnement. M. Lévesque a dit ne pas savoir vraiment si ceux-ci avaient déjà été en tout ou en partie approuvés, mais il sait qu'ils sont utilisés en classe. En outre, il a dit n'attacher que peu d'importance à cette question d'approbation car il juge que ces manuels tout à fait conformes au contenu prévu par le programme et à l'esprit du programme. M. Lévesque a ajouté que, si des manuels ECR étaient substantiellement différents, ils ne pourraient être approuvés, car ils ne seraient alors pas conformes au programme.




Le philosophe de Lévis a distingué trois (3) niveaux de savoir en matière de religion : les connaissances théoriques, la foi et le culte qui en découle, et enfin la moralité qui se dégage de la foi, du culte et des connaissances.

Selon M. Lévesque, le programme ECR ne se préoccupe que des manifestations extérieures de la religion comme l'affirme clairement une des compétences visées du programme : « manifester une compréhension du phénomène religieux ».

Le mot phénomène provient du grec φαινόμενoν phainomênon, « ce qui est perceptible par les sens ». Le programme d'ECR n'utilise que l'approche « phénoméniste » pour aborder les religions. Cette méthode « phénoméniste » discrédite la religion catholique, ainsi que les autres religions, parce qu'elle omet de parler de la foi, qui est au cœur de la religion. Il a donné en exemple la façon dénuée de sens, dont le programme parle de certains objets de culte et rituels reliés au culte, en omettant de parler de la source et du fondement de ces objets et rituels, qui est la foi elle-même. La foi étant une subordination volontaire de l'intelligence à des vérités qu'elle reconnaît, et qui plus est, dans le cas du christianisme, dans une relation d'amour avec Dieu.

Il a souligné l'absence du « Notre Père » (dans le programme ECR et les cahiers analysés), prière qui révèle le Dieu des chrétiens comme un père aimant, en qui nous sommes tous frères. La relation du chrétien à Dieu en est une d'amour, et d'amour filial.

La véritable connaissance des religions ne peut être atteinte par la méthode « phénoméniste » préconisée par le programme ECR, elle est en outre réductrice et déformatrice pour les religions.

M. Lévesque a alors fourni quelques exemples tirés des cahiers ECR pour illustrer cette présentation réductrice des religions comme des fantaisies de l'imagination opposées à la raison. (« Youpi, créer ma religion ! »)


Activité d'ECR sur le thème créer sa religion, ici les judoïtes

Le philosophe a poursuivi en abordant la confusion des genres présente dans les cahiers ECR où se mêlent citations bibliques, philosophiques et celles tirées de la sagesse populaire. Selon lui, le programme ECR dévalorise le patrimoine religieux catholique et chrétien, et sa valeur civilisatrice. Le supplément de pages qui est alloué au christianisme dans les manuels et cahiers ECR ne sert souvent qu'à le déformer et à le représenter comme désuet et dépassé (c'est par exemple le cas dans un texte sur les interdits sexuels). Dans un des cahiers ECR, le « progrès » en matière de mœurs au Québec est clairement associé à la déchristianisation de la province.

M. Gérard Lévesque a également dénoncé l'imposition d'une posture professionnelle « neutre » à l'enseignant pour souligner qu'elle contredit le sens même de l'instruction et de l'enseignement : proposer et justifier des idées.

Il a rappelé qu'au contraire dans le programme ECR tenir une chose pour vraie devant des jeunes s'apparente à de l'endoctrinement.

M. Lévesque a ensuite cité le nouvel article 41 de la Charte des droits et libertés de la personne du Québec pour rappeler les droits des parents qui y demeurent inscrits : les parents « ont le droit d’assurer l’éducation religieuse et morale de leurs enfants conformément à leurs convictions ». Gérard Lévesque a insisté sur le mot du législateur « ASSURER », c'est-à-dire rendre sûr et certain, protéger, mettre à l'abri. Ceci alors que, pour le philosophe, le programme ÉCR compromet ce droit des parents d'assurer cette éducation religieuse.

Le programme ÉCR compromet aussi la possibilité pour les jeunes de s'ENGAGER en faveur d'une religion, car pour s'engager, il faut que la valeur d'une chose soit manifeste et évidente.

M. Gérard Lévesque a terminé son témoignage en soulignant que le programme ECR sème le doute et la confusion au niveau des religions en citant plusieurs exemples tirés des cahiers ECR.

Contre-interrogatoire de Me Boucher

Me Boucher a été amené à faire porter un certain nombre de ces questions sur des aspects secondaires : par exemple, le fait que les mots programme et cours étaient utilisés indifféremment et que cela créait de la confusion ou le fait qu’un extrait du programme retranscrit dans le rapport de M.  Lévesque ne contenait pas de guillemets. ! Dans une objection soulevée par Me Phillips, avocat de Loyola, ce dernier a fait remarquer qu’on avait perdu au moins vingt minutes sur des questions de détails. Cette première partie du contre-interrogatoire donnait donc à penser que la partie adverse n’avait pas grand-chose à reprocher de sérieux à mon témoignage. Arguties qui ont suscité la fatigue manifeste du juge.

La seconde partie du contre-interrogatoire porta sur des aspects plus sérieux. Le témoignage de M. Gérard Lévesque étayait son analyse du programme sur des exemples concrets tirés de l’un ou l’autre des huit cahiers ECR sur les dix qui existent pour le secondaire, cahiers bien en vue aux yeux du juge et truffés d’onglets en signe de lecture studieuse.

Me Boucher ne s’est pas risqué à mettre en doute l’existence de ces extraits de manuels, ni l’interprétation que le philosophe de Lévis en faisait, bien que des échanges ont aussi eu lieu sur le fait dont il avait été question lors du témoignage du directeur de Loyola, Paul Donovan, à savoir si ces cahiers étaient ou non approuvés par le Ministère. M. Lévesque a donné quelques raisons pour lesquelles, même s’ils ne l’étaient pas, cela n’était pas très important puisque leur contenu était en parfaite conformité avec le programme.

Le rapport d'expertise de M. Lévesque fait état que l’intériorité de la foi, peu importe les religions, est totalement absente du programme et des manuels et que les contenus de foi ou croyances sont rapportés de façon qui ne leur rend pas justice. Et qu’à l’inverse, en raison de l’approche phénoméniste retenue à tort par le programme, il est abondamment question, là aussi sans les explications requises, de ce que le programme nomme les « expressions du phénomène religieux » : des objets et lieux de culte, des symboles religieux, des postures de prières, des règles vestimentaires, etc. Ces éléments de culte sont textuellement qualifiés par le programme d’« essentiels ».

Me Boucher a d’abord essayé de faire dire à M. Lévesque qu'il affirmait que le programme ne traitait que de ces aspects extérieurs. Objection facilement écartée.

Une objection souleva ensuite une objection de type « colle », sans aucun doute la meilleure. N’est-il pas vrai que l’expérience religieuse est une dimension qui fait partie de ce que que le philosophe appelle l’intériorité de la foi et du sentiment religieux ? Ce à quoi M. Lévesque a répondu par l’affirmative sous réserve de ce qu’on peut entendre par expérience religieuse. Me Boucher a alors demandé de à M. Lévesque de se référer au contenu du volet religieux où au deuxième cycle du secondaire, il y a toute une section sur l’expérience religieuse ! « Cela ne contredit-il pas ce que vous rapportez du programme, M. Lévesque ? »

Le philosophe lui a répondu que, de même qu’on peut à tort citer un extrait en dehors de son contexte, il faut éviter de rapporter un contenu de cours en dehors de l’ensemble du contenu où il se situe. Or cette section sur l’expérience religieuse ne fait que suivre la section où on prend bien soin de faire ressortir les critiques de philosophes renommés (Marx, Nietzsche, Sartre, etc.) étalant les méfaits de la religion. Que faut-il penser de cet ordre ?

Deuxième élément de réponse : la section sur l’expérience religieuse ne fait qu’affirmer, non pas qu’il s’agit là d’une caractéristique essentielle, mais simplement d’« une dimension essentielle pour des personnes ou des groupes de personnes liés à une religion ». Autrement dit, selon des philosophes réputés, la religion n’a pas d’importance et est même dangereuse, mais certaines personnes y accordent quand même de l’importance. De plus, leur expérience religieuse est présentée comme quelque chose de tout à fait subjectif. Ce qui, précisa M. Lévesque, ne faisait que rejoindre l’activité d’apprentissage et d’évaluation (SAÉ) intitulée « Ma religion à moi » dans le manuel « Partons à l’aventure » commenté lors de son exposé antérieur, le juge ayant esquissé une expression d’indignation quant à un traitement aussi désinvolte et irrespectueux de la religion.

Ce fut la dernière intervention de Me Boucher. On avait l'impression que Me Boucher sortait blessé de ce contre-interrogatoire.

Conclusion

Avant de lever la séance du matin, le juge a demandé à M. Lévesque s'il ne trouvait pas que cette histoire était la répétition de celle de Galilée.

M. Lévesque a répondu qu'il n'y avait pas pensé. Certes, les agents ne sont pas les mêmes a souligné le philosophe, mais c’est la même liberté d’opinion et de conscience qui est en cause. L’Église a reconnu son erreur trop longtemps après. Mais, tout de même, erreur avouée, à moitié pardonnée. Dans le cas en présence, l’État n’excommunie pas ; il coupe les vivres ou retire le droit d’enseigner. Et, dans ce cas-ci, la ministre Courchesne ne semble pas du tout vouloir reconnaître ses fautes…

C’est ainsi que s'est conclu le témoignage de M. Gérard Lévesque long de cinq heures devant la barre : trois heures et demie d’exposé et une heure et demie de contre-interrogatoire aux mains de Me Boucher, avocat du Monopole de l'Éducation.

Séance de l'après-midi, Douglas Farrow

Selon Douglas Farrow, professeur de pensée religieuse à l'Université Mc  Gill, qui témoignait hier dans l'affaire qui oppose le collège Loyola au Monopole de l'Éducation, les élèves de cette école secondaire ne peuvent tout simplement pas arrêter d'être catholiques pendant qu'ils suivent le nouveau cours gouvernemental d'éthique et de culture religieuse.

Douglas Farrow a déclaré que les objectifs du programme — la reconnaissance de l'autre et la poursuite du bien commun — sont complètement compatibles avec les visées éducatives du concile Vatican II. Où le bât blesse c'est dans l'exigence d'exclure absolument Dieu et la religion de ce cours.

« [Le ministère de l'Éducation] ne s'intéresse pas à une analyse plus profonde de la religion, mais n'observe la religion qu'en tant que phénomène religieux » a déclaré M. Farrow. Le ministère demande que le collège mette de côté ses méthodes d'éducation pendant ce cours, a-t-il ajouté, mais ces méthodes prennent naissance dans une vision du monde qu'on ne peut pas ignorer.

« Un établissement catholique... devrait-il être forcé de changer sa manière de faire pour se conformer à la vision du monde d'autrui ? » de demander le professeur.

« D'un point de vue catholique, il n'est possible d'être catholique 22 heures par jour, puis d'adopter une autre vision du monde pendant les deux autres heures. » « J'ai essayé, c'est impossible ».

Le fait qu'on ne puisse pas parler de Dieu pendant le cours d'ECR rend l'enseignement de celui-ci « quasiment impossible » dans une école comme Loyola a-t-il ajouté.

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