mercredi 19 mars 2008

Les manuels scolaires québécois d'histoire...

Attaque en règle dans le numéro de l'Actualité du 1er avril 2008 contre les nouveaux manuels québécois d'histoire du secondaire par Christian Rioux et Magali Favre. Selon ces deux auteurs, ces manuels proposent une vision nombriliste inféodée à l’éducation civique plutôt qu'un point de vue réellement historique.

Quelques extraits :
« Vous pensiez que la construction et la chute du mur de Berlin étaient des moments marquants du 20e siècle ? Au moins deux des six nouveaux manuels d’histoire générale destinés aux élèves du premier cycle du secondaire n’en font même pas mention.

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Avant le renouveau pédagogique [la mode du socioconstructivisme récemment imposée aux écoliers québécois], l'histoire avait pour fonction de répondre à la question « D'où venons-nous ? » Elle avait pour rôle de saisir la séquence complexe des évènements qui nous avait engendrés. Dorénavant, elle a pour but essentiel d'« amener [l'élève] à développer des compétences qui l'aideront à comprendre les réalités sociales du présent à la lumière du passé ». Il ne s'agit donc plus de comprendre le passé, mais bien le présent !

La différence est de taille et les éditeurs de manuels ont saisi le message. Dans le chapitre sur la Rome antique de L'Occident en 12 événements (éditions Grand Duc), on commence par demander aux élèves de 1re secondaire de « formuler des hypothèses concernant l'influence des États-Unis sur la société québécoise et canadienne ». On ira ensuite puiser dans l'histoire de Rome quelques renseignements, souvent hors contexte, pour montrer que les États-Unis sont aussi un empire.

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Il ne s'agit plus de comprendre la dynamique de l'Antiquité ou les causes de la Révolution française. Il s'agit de voir si, au supermarché de l'histoire, il n'y aurait pas quelque chose d'utile à nos débats sur le réchauffement climatique ou le mariage homosexuel.

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Le manuel D'Hier à demain — supervisé par l'un des principaux concepteurs de programmes, le didacticien Christian Laville — se termine d'ailleurs sur un chapitre inédit, où l'on pose la question suivante : « Sommes-nous satisfaits de notre présent ? Serait-il mieux autrement ? Pouvons-nous le changer ?» Une première dans un manuel d'histoire ! [À n'en point douter, on nous dira que le Québec innove et est, à nouveau, à l'avant-garde de la conception de manuels scolaires...]

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la méthode est celle d'un aller-retour entre le présent et le passé. Ce zappage tient plus du mauvais journalisme que de la méthode historique. Et le saucissonnage de l'histoire qui en découle peut difficilement éviter de sombrer dans le simplisme et le nombrilisme.

« Aurais-tu aimé être une femme vivant à Athènes ?» demande naïvement le manuel Regards sur les sociétés. Comme s'il y avait le moindre intérêt historique à s'interroger sur l'égalité des sexes... au Ve av. J.-C. !

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Certains auteurs obsédés par le présent ne craignent pas le ridicule. Le manuel L'Occident en 12 événements pousse la prétention jusqu'à citer le renouveau pédagogique québécois parmi les expressions modernes de l'humanisme... juste à côté du préambule de la Déclaration universelle des droits de l'homme !

Le manuel Histoire en action (Modulo) accuse nos ancêtres du néolithique d'avoir causé la plus grande catastrophe écologique de l'humanité. « Dès le 4e millénaire av. J.-C., les populations agricoles de l'Europe de l'Ouest dévastent d'immenses forêts de chênes. [...] Jusqu'à nos jours, ce sont les plus importants dommages que le sol de cette région ait connus ! » Notez le point d'exclamation et le titre, dignes de la presse à sensation : « La forêt assassinée ».

[À la lecture de ces extraits de manuels, on se demande si la seule fonction de ceux-ci n'est pas de former de futurs bobos, dont l'archétype pourrait être le fiston Glucksmann, Raphaël, lui qui ne peut concevoir que des choses aient pu être mieux dans le passé. Dans la vidéo ci-dessous, il reste sans voix et lève les yeux quand Éric Zemmour lui rétorque que les choses étaient mieux dans les années soixante — époque que le jeune Gluckmann n'a pas connue — qu'aujourd'hui.]



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Les manuels sont truffés de ces jugements péremptoires. L'effet recherché est particulièrement évident dès que l'on aborde la chrétienté. Le « crois ou meurs de la chrétienté » (D'hier à demain) annonce la couleur. le Moyen Âge apparaît comme une époque particulièrement austère et noire. Au point que l'on se demande si les auteurs ont lu les grands historiens Jacques Le Goff, Georges Duby et Régine Pernoud, qui ont depuis longtemps rompu cette vision manichéenne héritée des Lumières. Pour noircir un peu le portrait, certains manuels n'hésitent pas à situer au Moyen Âge la grande chasse aux sorcières (Réalités, ERPI), alors qu'elle a été principalement le fait de la Renaissance. Ce détail risquait de contredire la sombre description des auteurs.

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Ne cherchez pas, vous ne trouverez à peu près rien sur l'invasion de l'Espagne par les musulmans au VIIIe siècle. Mais on insiste lourdement sur le fait qu'ils s'en font chasser 800 ans plus tard. On passe sous silence les razzias et la pratique de l'esclavage, courantes chez les populations arabes. Toutefois, les manuels ne manquent pas une occasion de citer Les Milles et une nuits et le philosophe [musulman] du XIIe siècle Averroès. [Suspecté d’hérésie, mais le manuel n'en dit rien, il n’aura pas de postérité en terre d’Islam. On aurait pu choisir une figure plus représentative de l'islam...] Par contre, Dante, les troubadours, l'amour courtois et la renaissance carolingienne sont aux abonnés absents. Les Arabes sont en quelque sorte devenus les « bons sauvages » du Moyen âge.

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Multicultarisme oblige, chaque fois qu'un auteur français est nommé, son nom doit aussitôt être suivi de celui d'un Anglais ou d'un Chinois. Avec pour résultat que la France est le plus souvent noyée dans l'Europe. On ne trouve presque pas trace de François Ier et d'Henri IV qui envoyèrent Cartier et Champlain au Canada. La célèbre ordonnance de Villers-Cotterêts (1539), par laquelle François Ier amorçait la généralisation d'un état civil en français n'y figure pas.

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À la fin du chapitre sur l'Antiquité [pour les 12-13 ans], L'Occident en 12 événements propose quelques références pour « approfondir » le sujet. Ni L'Iliade, ni L'Odyssée n'en font partie, contrairement à Astérix aux Jeux olympiques et à Troie, péplum de Wolfgang Peterson — dont le philosophe Luc Ferry disait récemment qu'il dénaturait complètement la compréhension que les hommes de l'Antiquité avaient de la guerre de Troie, puisque les dieux en étaient absents ! Mais comment en vouloir aux auteurs ? Parmi la vingtaine de textes littéraires cités comme « repères culturels » dans le programme officiel, on ne trouve ni les chefs-d'œuvre d'Homère, ni la Bible. Le Coran et Tintin et le Lotus bleu ont pourtant droit à cet honneur.

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Losqu'on sait que la moitié des profs d'histoire du secondaire [au Québec] n'ont pas la moindre formation dans ce domaine, on comprend l'importance des manuels. Or, l'hécatombe ne semble pas terminée. La révision du cours Histoire du XXe siècle (aujourd'hui facultatif en 5e secondaire [16 ans]) augure du pire. Certes, ce cours deviendra obligatoire, mais les puissants didacticiens songent à en faire un cours centré sur l'actualité du « monde contemporain », où l'histoire sera dissoute dans les matières dites de « l'univers social » en général (géographie, économie, sociologie...). »

« Je suis un homme du passé et de l'avenir lointain. Je n'habite pas le présent, car j'ai compris la nécessité de combattre la mémoire courte. »
Pierre Legendre

Menaces sur l'instruction à domicile au Québec ?

Le bulletin de l'ACPEQ signale quelques signes menaçants de la part du Monopole de l'Éducation (MELS) qui pourraient bien annoncer de nouvelles restrictions aux libertés parentales dans le domaine de l'instruction à domicile. Nous les reprenons ci-dessous en les commentant.

En effet, le Monopole de l'Éducation manifeste depuis au moins 2002 l'intention de restreindre davantage la liberté des parents dans la pratique de l'instruction à domicile. Les trois éléments suivants viennent étayer l'opinion de ceux qui pensent que le MELS s'apprête à empiéter encore un peu plus sur la liberté de choix des parents québécois.
  1. Adoption en juin 2005 de la Loi 95: Loi modifiant diverses dispositions législatives de nature confessionnelle dans le domaine de l'éducation. L'adoption de cette loi permettra l'enseignement du nouveau cours Éthique et culture religieuse dans les écoles publiques et privées du Québec à partir de septembre 2008. Ce cours pourrait être aussi éventuellement imposé aux familles qui font l'école à la maison en prétextant que ce cours est dans l'intérêt de tous enfants et que l'État protège l'enfant en lui donnant accès aux lumières dispensées par ce cours. Rappelons que l'État restreint désormais la liberté fondamentale des parents d'enseigner leurs convictions morales et religieuses, car il ne protège ce droit que pour pour autant que cet enseignement se fasse dorénavant « dans le respect des droits de leurs enfants et de l'intérêt de ceux-ci » (cette restriction a été ajoutée à l'article 41 de la Charte québécoise des droits et libertés en 2005 sans aucun débat public). Évidemment, l'État s'arroge en réalité de la sorte la tutelle spirituelle des enfants, car qui décidera si les parents respectent les droits et l'intérêt moral et spirituel de leurs enfants ?

  2. L'apparition sur le site du MELS en septembre 2007 de balises pour la scolarisation à la maison. Bien qu'il n'y ait pas encore de nouvelle politique officiellement émise de la part du MELS, nous retrouvons l'extrait suivant sur leur site :
    « Bien que la fréquentation scolaire soit obligatoire jusqu'à 16 ans, certains parents peuvent vouloir choisir l'enseignement à la maison. Cela est possible en autant [sic, calque] que certaines exigences soient respectées. Ainsi, l'enfant peut être dispensé de fréquenter un établissement scolaire s'il reçoit à la maison un enseignement scolaire et y vit une expérience éducative équivalents à ce qui est dispensé ou vécu à l'école. Afin de s'assurer de l'atteinte par leur enfant des objectifs d'apprentissage des programmes d'études en application dans les écoles du Québec, les parents auront à présenter à leur commission scolaire, un plan de scolarisation conforme au Programme de formation de l'école québécoise. Ils devront également décrire les moyens d'évaluation employés, présenter le matériel didactique utilisé et soumettre l'enfant à une évaluation par la commission scolaire. Cette dernière a la responsabilité de procéder à l'évaluation et de s'assurer que l'enfant peut intégrer ou réintégrer à tout moment le système scolaire public ou privé. La commission scolaire doit conserver les preuves de réussite ou d'échec dans le dossier de l'élève. »
    On voit que l'on passe d'un « équivalent » à un « conforme », à une restriction donc des choix, le tout bien sûr maquillé sous le voile d'un intérêt altruiste de l'État à l'égard de l'enfant qui doit pouvoir retourner à tout instant à la normalité scolaire, enfin telle que la conçoit le Monopole.

    On remarquera l'absence de mention explicite au sujet du rôle des commissions scolaires dans le suivi des familles, qui sont convoquées de plus en plus fréquemment à des rencontres. On ne précise rien non plus des circonstances pouvant amener une famille à être signalée à la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ). On remarquera également la différence qui existe avec l'Ontario où prévalent la liberté de choix dans le programme d'études et aucune obligation en ce qui a trait à l'évaluation sans que l'on puisse dire que cette liberté supplémentaire menace la richesse de la première province canadienne. Pourquoi ces contrariétés et ces contrôles supplémentaires au Québec ?

  3. La recommandation par le Comité consultatif sur l'intégration et l'accommodement raisonnable en milieu scolaire pour retrouver les élèves non inscrits par un recoupement des banques de données. Ce comité constitué de plus de 20 personnes généralement proches du MELS, fait la recommandation qui suit, à l'Annexe A de son rapport en date du 15 novembre 2007 à l'intention de Michelle Courchesne, la ministre de l'Éducation, du Loisir et du Sport :
    « couplage de données informatisées entre ministères et organismes gouvernementaux, conditionnel à l'autorisation de la Commission d'accès à l'information et à la protection des renseignements personnels. Une concertation interministérielle permettrait d'établir les bases d'une telle démarche. »

Qui va gérer les formulaires d'exemption ?

Selon la Voix de l'Est de ce mardi 19 mars, la commission scolaire du Val-des-Cerfs ignore ce qu'elle fera des formulaires d'exemption au cours d'éthique et de culture religieuse. Celle-ci attend les directives du Monopole de l'Éducation (MELS), qui lui renvoie la balle.

Au cours d'une manifestation organisée par des membres de la Coalition pour la liberté en éducation de la Haute-Yamaska, samedi dernier, des dizaines de ces formulaires ont été distribués tant pour les écoles privées que publiques. Des centaines de personnes ont participé à cette marche populaire afin de dénoncer l'implantation du cours d'éthique et culture religieuse. Ce dernier sera obligatoire pour tous les élèves du primaire et du secondaire dès cet automne. Les opposants réclament que ce cours soit optionnel.

Selon la Voix de l'Est, le formulaire d'exemption a été rédigé par Jean-Yves Côté, un avocat de Sainte-Julie. En réalité, plus d'un avocat a participé à sa rédaction, bien que Me Côté ait tenu un rôle de premier plan dans celle-ci. Parmi les autres rédacteurs, on peut citer Me Sylvie Fortin.

« Pour l'instant, nous recevons les demandes. Nous attendons les indications du Ministère. Il n'y a pas de ligne claire encore », note la coordonnatrice des communications à Val-des-Cerfs, Sandra Thibodeau, en précisant que près d'une dizaine de formulaires ont été reçus.

La Voix de l'Est continue en affirmant que Val-des-Cerfs risque toutefois d'attendre longtemps les fameuses directives. « C'est vraiment du côté de la commission scolaire que l'exemption peut être acceptée ou refusée selon l'article 222 de la
Loi sur l'instruction publique. Cette exemption ne se fait toutefois pas juste sur la base d'un formulaire. Le parent doit démontrer qu'il y a préjudice », a fait
savoir Stéphanie Tremblay, agente de communication au MELS.

Est-ce que le Monopole de l'Éducation était aussi exigeant quand il s'agissait d'exempter en vertu du même article les enfants de parents réfractaires aux cours de religion ?