vendredi 20 juin 2008

Une décision judiciaire stupéfiante sur l’autorité parentale soulève des questions sur le droit des parents à choisir l’éducation de leurs enfants

Ottawa Citizen, le 19 juin 2008

Si vous empêchez vos enfants de regarder la télévision ou les privez de leur argent de poche, peuvent-ils vous traîner en justice ? Et avoir gain de cause ?

Ce scénario invraisemblable s’est réalisé alors qu'un juge de Gatineau a donné raison à une jeune fille de 12 ans qui avait défié son père après que celui-ci lui eut refusé de la laisser partir en excursion scolaire parce qu’elle n’avait pas respecté son interdiction d’utiliser l’Internet.

Des experts en droit de la famille et de la protection de la jeunesse se disent sidérés par le jugement rendu vendredi passé par la juge Suzanne Tessier de la Cour Supérieure.

« Cela semble incroyable » bredouille Gene Colman, avocat de la famille chevronné de Toronto il a fondé la Revue canadienne de droit familial. « Je n'ai jamais entendu parler de ceci auparavant. »

« En tant qu'avocat et en tant que parent, » déclare Fred Cogan, avocat de la famille à Ottawa, « je pense qu’il s’agit d’une ingérence de la part de l’État dans un domaine où les tribunaux devraient s’abstenir d’intervenir. »

« J'ai six enfants », ajoute M. Cogan. « Je ne désire certainement pas que les juges surveillent tout ce que je fais, ni que mes enfants puissent se précipiter au tribunal. »

Mais peut-être tout le monde devrait-il prendre un Valium. Il y a peu d’indices qui suggèrent que les tribunaux canadiens suivront l’exemple de la juge Tessier.

« Les juges des tribunaux de la famille sont peu enclins à statuer dans le domaine de l’autorité parentale » a dit Peter Dunning, chef de la direction de la Ligue pour le bien-être de l’enfance du Canada.

Joan Durrant, pédopsychologue clinique et professeure en sciences sociales de famille à l'université du Manitoba, nous a confié que les tribunaux préfèrent habituellement ne pas intervenir dans le domaine de la discipline parentale, même lorsqu'elle implique l’usage excessif de la force.

« Quelques cas assez graves ont débouché sur un acquittement parce qu’on a décidé que les parents avaient le droit de décider. » Selon Mme Durrant, dans les rares cas où des enfants ont trainé leurs parents en justice, il existe souvent des antécédents de conflit au sein de la famille : « il ne s’agit habituellement pas d’un incident isolé au sein de la famille. »

Cheryl Milne, avocat pour la Canadian Foundation for Children, Youth and the Law, a indiqué que le scénario de Gatineau pourrait bien être spécifique au Québec en raison du Code civil qui lui est propre. « Je ne peux pas imaginer qu’une telle cause soit entendue en Ontario. »

Même au Québec, la décision est pratiquement sans précédent. Kim Beaudoin, avocate du père – on ne peut l’identifier afin de protéger l'identité de sa fille – dit ne pas avoir pu trouver de jugement comparable.

Le père, divorcé, a la garde légale de sa fille. Il lui avait interdit l’accès à
internet après que sa fille ait clavardé sur des sites Web qu’il réprouvait. Elle a alors utilisé la connexion internet d'un ami pour afficher des photos d’elle indécentes, devait préciser Mme Beaudoin.

Après avoir découvert ceci, le père a appris à sa fille qu’elle ne participerait pas à l’excursion de trois jours que son école organisait. Selon Mme Beaudoin, la fille « a alors claqué la porte » et s’est réfugiée chez sa mère qui était disposée à la laisser partir en voyage.

Cependant, l'école ne voulait pas permettre à la fille d'aller en excursion sans l’autorisation des deux parents ou qu’un juge statue en sa faveur. C’est ce qui a incité la fille, soutenue par sa mère, à intenter une action judiciaire contre son père. Action qui a abouti au jugement.

Selon Mme Beaudoin, la juge Tessier a trouvé que priver la jeune fille de son excursion de trois jours constituait une punition trop sévère. Le fait que la fille vit désormais avec sa mère a également joué un rôle dans la décision de la juge, a-t-elle ajouté.

Le père, qui en appelle de la décision, était « atterré » par le jugement, selon Mme Beaudoin. Il refuse de reprendre sa fille chez lui « car il n'a aucune autorité sur elle. »

Mme Beaudoin a dit qu'elle était « vraiment, vraiment étonnée » par la décision. « On aurait dû conseiller à la mère de respecter la décision du père. Au lieu de quoi, le tribunal a encouragé une dispute familiale, où l’enfant sert à marquer des points. »

Mais Mme Beaudoin ne veut pas exagérer l'impact de cette affaire. « Je ne pense pas que la plupart des enfants poursuivront leurs parents. »

Cependant, Dave Quist, chef de la direction de l'Institut du mariage et de la famille Canada, pense que le passage à une société fondé sur les droits [des enfants] sape l'autorité parentale.

« L’idée qu’un État ou un tribunal, mandataire de l'État, puisse empêcher un parent d’élever son enfant comme il le juge bon me fait peur » d’ajouter M. Quist.

Il y a quatre ans, la Cour suprême a interdit que des châtiments corporels soient infligés à des adolescents et à des enfants de moins de deux ans. Mais elle a confirmé la « Loi sur la fessée », comme on la nomme, pour les autres enfants.

M. Quist s’inquiète que nous ayons perdu de vue le droit des parents à élever et corriger leurs enfants dans certaines limites. « Si les tribunaux commencent à se mêler de ce domaine, je pense que les enfants passeront du monde familial à celui de l’État impersonnel et froid ».

« Quelle est la limite si un enfant peut aller au tribunal pour exiger qu'il parte en voyage scolaire? À un moment donné, cela devient ridicule. »

M. Quist a rappelé que l’intervention trop zélée par des directions de la protection de la jeunesse est un problème croissant. « Plusieurs familles ont été détruites ou lésées par l'intervention de l'État plutôt que protégées comme unité. »

M. Dunning a déclaré que les services de protection de l’enfance ont commencé à accepter plus d'enfants à la suite de plusieurs enquêtes très médiatisées dans les années 90. En près de six ans, le nombre des enfants protégés en Ontario est passé d’environ 10 000 à presque 20 000, a-t-il ajouté.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

J'avais vu passer un article sur cette décision judiciaire, mais je croyais que ça s'était produit ailleurs au Canada. Le fait de savoir que c'est au Québec, que les fameux clavardages d'adolescent(e)sur Internet sont au coeur du débat (on connait bien les dangers me semble-t-il) et que ça vient de ce passer me semble extraordinairement important et inquiétant.

Car je crois qu'il faut voir le lien direct avec la modification récente de l'article 41 de la Charte québécoise des droits et libertés. La nouvelle formulation met en effet tout parent sous la tutelle de l'État. On lui laisse la "possibilité" d'instruire son enfant selon ses convictions, valeurs ou principes, À CONDITION que le "bien de l'enfant" ne soit pas mis en cause. Et c'est désormais l'État ou ses représentants qui décident sans appel de ce qui est le "bien de l'enfant".

Or, s'il est légitime de garantir un enfant abusé physiquement ou même psychologiquement par des parents irresponsables et de mettre ces derniers en tutelle (temporaire ou prolongée) dans un cas démontré, il me semble absolument abusif et totalitaire (je pèse mes mots) de mettre tous les parents québécois "à priori" dans une telle situation.

La DPJ commence à prendre l'apparence d'une Gestapo, même si les professionnels qui y travaillent n'ont surement pas de telles intentions, personnellement du moins. L'État est en train de détourner cette institution et la met en position de devenir une "police idéologique", puisque ces dernières modifications à la loi le définissent comme le "seul parent et propriétaire ultime" de tout enfant, de nos enfants.

Si c'est avec les meilleures intentions du monde que ces nouvelles législation sont mises en place, et je l'espère de tout coeur, il faut quand même voir que qu'on le veuille ou non on est en train de détruire toute liberté parentale et en bout de ligne toute liberté de conscience réelle aux perents et aux familles.

On joue avec le feu. Et la juge de Gatineau n'a fait que d'utiliser la loi en vigueur, elle n'a rien tordu. Voilà le résultat des changements récents. Il semble que ce ne soit pas les derniers du genre, peu importe le parti au pouvoir (c'est à se demander ce que vaut notre vote quand des changements aussi profonds peuvent être IMPOSÉS à notre société contre l'avis de la population ou sans la consulter).

Le peuple doit réagir. L'article 41 doit revenir à sa formulation précédente. Les parents (biologiques) doivent redevenir ...les parents reconnus et respectés de leurs enfants.